Le Tribunal spécial pour le Liban collecte des informations confidentielles sur l’ensemble de la société libanaise indistinctement, un procédé qui dépasse largement les compétences qui lui ont été attribuées.
Le 13 décembre 2005, le gouvernement libanais, présidé alors par Fouad Siniora, sans l’accord du président de la république, Emile Lahoud, et sans le vote du Parlement, demanda aux Nations Unies de créer un tribunal à caractère international destiné à juger toutes les personnes présumées responsables de l’attentat du 14 février 2005 ayant causé la mort de l’ancien Premier Ministre libanais Rafiq Hariri et tué ou blessé plusieurs autres personnes. En vertu de la résolution 1664 (2006) du Conseil de Sécurité, les Nations Unies et le gouvernement de la République libanaise ont négocié un accord portant sur la mise en place du Tribunal spécial pour le Liban. A la suite de l’adoption de la résolution 1757(2007) du Conseil de Sécurité à la date du 30 mai 2007, les dispositions de la création du TSL sont entrées en vigueur le 10 juin 2007.
La création de ce tribunal était vivement encouragée par la France de Jacques Chirac, ami personnel de Rafiq Hariri, et par G.W. Bush, avec comme objectif à peine dissimulé : provoquer la chute du régime syrien présidé par Bachar al-Assad. Elle était également soutenue par l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte.
Après avoir dirigé l’enquête à charge contre la Syrie, les divers procureurs de ce tribunal ont changé de cible en cours de route. Désormais la Syrie, redevenue « fréquentable » aux yeux des pays occidentaux, est presque blanchie, avant même l’ouverture du procès. Le fils de Rafiq Hariri, Saad, qui a succédé à Fouad Siniora à la tête du gouvernement libanais, s’est rendu à Damas et a reconnu dans une interview au quotidien saoudien Al-Shark al-awsat, que les accusations qu’il avait portées contre la Syrie concernant l’assassinat de son père n’étaient pas « fondées ». Du coup, la Syrie est remplacée par le Hezbollah libanais, qui serait le principal auteur de cet assassinat.
L’acte d’accusation final est aujourd’hui entre les mains des juges de ce tribunal. Sa publication, prévue avant le 15 mars, semble pour l’instant reportée de quelques semaines.
En attendant, le juge Antonio Cassese, Président du Tribunal spécial pour le Liban, a annoncé le 4 mars dans un communiqué la publication du deuxième rapport annuel du TSL, qui "rend compte des progrès accomplis par le Tribunal durant l’année écoulée, et des défis auxquels il a fait face."
Selon lui, "la présentation du premier acte d’accusation au Juge de la mise en état par le Procureur a constitué un événement majeur et marqué l’ouverture de la phase judiciaire du TSL". Le rapport décrit, dans ses grandes lignes, l’activité de tous les organes du Tribunal. Parmi les points importants de l’année passée, il cite notamment "l’intensification des enquêtes menées par le Bureau du Procureur" ainsi que "le dépôt d’un acte d’accusation." Le Bureau de la Défense a joué "un rôle important dans la procédure judiciaire, et a également établi une liste de conseils aux fins de la représentation des accusés," indique le rapport, qui poursuit en précisant : "le Greffe a une fois encore veillé au bon fonctionnement du Tribunal, le Greffier ayant été particulièrement actif dans la mobilisation des fonds." Le communiqué souligne qu'au cours de l’année 2010-2011, la Chambre d'appel, en février 2011, a clarifié la définition du terrorisme et le droit applicable aux procès organisés devant le TSL. Le juge Antonio Cassese aborde enfin dans le communiqué "les défis auxquels est confronté le TSL dans l’accomplissement de son mandat, à savoir notamment une situation difficile sur le plan de la sécurité ainsi que l’importance des coûts liés à l’efficacité et à la transparence des travaux du Tribunal." Il réitère "sa volonté de voir les enquêtes achevées et l’ensemble des actes d’accusation présentés au Juge de la mise en état avant la fin de février 2012."
Parallèlement à ce communiqué d’autosatisfaction, le président du TSL a laissé entendre que la publication de l’acte d’accusation aura des « répercussions graves » sur le Liban. Lesquelles ? Une reprise de la guerre civile ? Tout est désormais possible.
Il suffit d’observer les réactions des uns et des autres au Liban pour s’en convaincre. Aujourd’hui, la classe politique libanaise est divisée entre partisans et adversaires du TSL. Mais d’ores et déjà, le Hezbollah a fait savoir que toute accusation portée par le TSL contre l’un de ses membres équivaut à une déclaration de guerre contre « la résistance ».
Par ailleurs, les informations parues dans la presse libanaise ces temps-ci « révèlent » que le procureur Daniel Bellemare a adressé une série de requêtes au Liban, au nom du Tribunal spécial pour le Liban, afin de poursuivre son enquête sur l’assassinat de Rafiq Hariri, sept ans après les faits et alors que l’acte d’accusation est déjà rédigé et remis au TSL.
Vérité ou intox, le procureur exigerait que lui soit transmis un fichier complet des empreintes digitales de tous les ressortissants et habitants du Liban (soit environ 4,5 millions de personnes).
Aucune explication précise n’a été fournie sur la nécessité de ces données pour les besoins de l’enquête. Par contre, il n’échappe à personne qu’elles intéressent au plus haut point les agences de renseignement états-uniennes et israéliennes avec lesquelles le Tribunal collabore.
Au cours des années précédentes – toujours sans explication sur leur nécessité – le Tribunal spécial pour le Liban s’est procuré en violation des lois libanaises, mais avec la complicité des gouvernements Siniora et Hariri :
– Toutes les données sur les communications téléphoniques libanaises depuis l’année 2003 (aussi bien pour les téléphones fixes et les cellulaires que pour les cartes prépayées).
– Tous les dossiers universitaires de tous les étudiants pour la période 2003-2006.
– Les empreintes digitales et les scans d’iris de tous les détenus (aussi bien les justiciables en détention provisoire que les personnes condamnées).
– Les copies de tous les passeports des ressortissants libanais et des résidents étrangers.
– Tous les dossiers des abonnés à Électricité du Liban.
– Toutes sortes de fichiers, dont ceux de la Banque centrale, de la Circulation routière, du ministère du Travail, des Hôpitaux, du Casino du Liban, etc.
Dans aucun pays au monde, un « tribunal » n’a été autorisé à consulter, et encore moins à détenir, une telle quantité d’informations.
Ces données étaient par contre systématiquement collectées par l’armée israélienne durant l’occupation du Liban jusqu’à sa défaite et son retrait en 2000.
En parlant de « graves répercussions sur le Liban », le président du TSL insinue-t-il que cet acte d’accusation va rallumer la guerre civile ? L’opposition libanaise, et à sa tête le Hezbollah, n’a pas tardé à réagir violemment à toutes ces informations
Le Porte-parole du Hezbollah, Mohammad Raad, a tiré à boulets rouges, au cours d’une conférence de presse, sur le procureur du TSL, Daniel Bellemare. C’est un tribunal, affirme-t-il, « illégitime, anticonstitutionnel, un produit fabriqué par des intérêts internationaux qui foulent aux pieds les intérêts des Libanais et leurs institutions. C'est un tribunal politisé, doté de tous les éléments de l'arbitraire et qui ne respecte pas les hauts critères de la vraie justice. Nous n'en attendons aucun établissement du droit. Et il ne nous étonnerait pas que ce tribunal ne soit qu'une passerelle pour imposer des tutelles internationales sur le Liban, sur sa sécurité, sa stabilité et sa souveraineté ». A suivre.