Témoignage Anti-impérialiste refusant d’émigrer en Palestine, Victor Segré a toujours été fidèle à ses combats des années 1930-1950. Un récit éclairant sur la vie des juifs dans un Moyen-Orient complexe avant la création de l’État d’Israël.
L’histoire débute en 1926. Victor Segré naît et grandit en Égypte dans un quartier très pauvre. Il goûte aux plaisirs de l’Orient et s’épanouit au sein de sa famille. Juif, il a dès son jeune âge fréquenté des amis musulmans et chrétiens. La religion n’était alors nullement objet de querelle ou de dissensions au sein de la société égyptienne cosmopolite. En fait, dès le départ, Segré a compris que les vrais problèmes étaient ailleurs. Sous le règne du roi Farouk, l’exploitation des pauvres battait son plein dans un pays où 90 % de la terre appartenait à 5 % de la population, alors que 90 % de la population ne détenait que 5 % de la terre.
L’injustice sociale révolte le jeune Victor. Celui qui lisait Zola fait alors le serment de « contribuer à la lutte pour venir en aide à cette pauvre population, à ces Égyptiens qui, souvent affamés, n’ont même pas un endroit où se loger ».
Un combat rude mené pour Al Sha’ab, Yahaia Al Sha’ab, pour que vive le peuple. Membre du mouvement Hadetou ou du Mouvement démocratique de libération nationale, il tient à lutter contre les injustices avec les ouvriers, les étudiants et les travailleurs. Mais sa bataille est conduite dans un Orient compliqué. En pleine Seconde Guerre mondiale, les Français et les Anglais se battent contre les Italiens et les Allemands. La communauté juive égyptienne appuie les alliés dans leur guerre contre les nazis.
Le refus d’émigrer
Le jeune communiste et ses camarades critiquent néanmoins l’impérialisme des Occidentaux et la manière dont ils exploitent le pétrole de la région pour leur propre profit. Ils se rebellent également contre le discours sioniste. En effet, alors que la brigade juive veut chasser les Arabes de leur terre pour établir un État, Victor Segré réclame haut et fort son refus d’émigrer en Palestine. Une conviction qu’il forge même lorsque son pays d’origine connaît une vague d’antisémitisme à la suite des événements qui secouent le Moyen-Orient.
Durant des années, avec ses compagnons, il distribue des tracts anti-impérialistes et antisionistes. En 1948, l’Égypte entre en guerre avec Israël. Segré et ses compagnons communistes sont emprisonnés plus d’un an et demi sous prétexte qu’ils constituent un danger pour leur pays. Leur détention ne fait que les convaincre davantage de la légitimité de leur cause. Certains d’entre eux tiennent tête au gouvernement qui veut les pousser à l’exil. Victor Segré refuse de signer un document qui stipule un « départ sans retour ». Jusqu’à son dernier souffle, il défend son identité égyptienne. « Je suis né ici, en Égypte, l’Égypte est ma patrie, la patrie des musulmans, des juifs et des chrétiens, tous unis dans le même pays, dans la même lutte. »
Ses mots résonneront longtemps dans le cœur des lecteurs.
Un aller sans retour.
L’histoire d’un communiste juif égyptien, Victor Segré,
Éditions L’Harmattan,
244 p., 22 euros.