Depuis l’aube des âges, les hommes sillonnent l’Arabie, y multiplient leurs créations. Le musée du Louvre à Paris, épaulé par les prêts de riches collections saoudiennes, permet de le découvrir.
Encaissée entre les antiques civilisations de la vallée du Nil, du Croissant fertile, du plateau iranien, du Yémen et de l’Indus, le cœur de la péninsule arabique reste aux yeux du plus grand nombre un immense désert culturel d’où serait sorti, quasiment de rien, l’islam. Les choses sont bien différentes, comme l’ont révélé plusieurs spécialistes. Depuis plus de deux siècles, de Jean-Louis Burckhardt aux pères Jaussen et Savignac jusqu’à Saint-John Philby, en passant par William Palgrave, Aloïs Musil et autres Ryckmans, plusieurs voyageurs, souvent savants, quelque peu espions et parfois prosélytes, ont tenté d’exhumer l’énorme héritage que recèle cette contrée. Grâce à eux de nombreuses cités, populations, écritures et civilisations tombées dans l’oubli sont sorties de l’ombre. Certes, depuis le xixe siècle, l’arriération de cette immense région, traversée de courants religieux rétrogrades, en interdisait l’exploration scientifique et condamnait son passé à un méprisant oubli. La chape du wahhabisme, souvent synonyme d’obscurantisme, y a longtemps tenu en suspicion le savoir. Il aura fallu l’intermède du roi Fayçal (1964-1975) et aujourd’hui le règne de son frère Abdallah pour que ce tabou soit un peu levé. Il nous vaut une éclairante exposition au musée du Louvre, à Paris, dont la majeure partie provient du royaume saoudien.
Position centrale
A posteriori, il est commode d’affirmer que la position centrale de l’Arabie, à égale distance des grands empires antiques, ne pouvait qu’en faire un lieu de passage privilégié entre eux. Sur ces longues voies de communication sont nés de vastes royaumes, où se sont fondaient les influences culturelles et cultuelles de leurs voisins, produisant des créations artistiques originales et des syncrétismes religieux propres. Cette richesse est remarquablement illustrée par les pièces rares rassemblées et parfaitement mises en valeur au Louvre. Le catalogue exceptionnel qui les accompagne, en plus de les commenter, fait appel à la collaboration de chercheurs de pointe, tels Christian Robin, Arnulf Hausleiter, Laïla Nehmé, Daifallah al-Talhi, Paul Sanlaville et bien d’autres. Ils y développent, selon leur domaine, les acquis les plus récents de la science, ajoutant au plaisir de découvrir celui de s’instruire à la source. Des index de lieux et de noms et une bibliographie en arabe et en langues européennes complètent ce travail de référence.
L’exposition s’ouvre sur d’impressionnantes statues du ive millénaire av. J.-C. abordant les traces de la préhistoire et de l’âge du bronze arabes. Pour l’époque préislamique, trois régions focalisent l’attention des exposants. Le Nord-Ouest, de la frontière jordanienne jusqu’à la ville sainte de Médine, découvre ses cités millénaires : Tayma’ où Nabonide, ultime souverain de Babylone, résida une vingtaine d’années, Al ‘Ula’, nom moderne de la biblique Dedan, dans le fertile Wadi’l Qura, qui fut le centre du royaume de Lihyân, sa voisine la nabatéenne Hegra, aujourd’hui Madaïn Saleh, dont l’architecture des tombeaux évoque sa sœur jumelle de Pétra, Madian et ses ruines. À chaque pas des pièces originales témoignent du passé : inscription latine, attestant de l’occupation romaine à Hegra sous Marc Aurèle, texte cunéiforme évoquant Nabonide à Teyma’, influences égyptienne, mésopotamienne, ou grecque dans la statuaire, colossale dans le cas de Lihyân. Ces indices et bien d’autres permettent de réévaluer les récits de l’Antiquité classique.
Traditions préislamiques
Dans le sud de l’Arabie Saoudite, la tradition arabe, relative au royaume préislamique de Kinda, est confortée par les fouilles effectuées dans les ruines de sa capitale, Qariyat al-Faw. Située aujourd’hui en plein désert, sa localisation confirme les hypothèses qui affirmaient la péninsule moins aride il y a quelques millénaires. On y a découvert une grande quantité d’objets raffinés de la vie quotidienne. La qualité des verreries exposées y est telle que celles-ci conservent leur transparence après deux mille ans, renouvelée sous la lumière des spots. Les frises de bouquetins gravés dans la pierre, les statues d’albâtre, les délicats brûle-parfums, les bronzes, de grande taille ou miniature, consacrés aux dieux grecs (Harpocrate, Héraclès, Artémis), tout comme les peintures murales aux couleurs toujours fraîches, les bijoux ou les instruments de table, dont une superbe louche en argent doré, témoignent d’un art consommé, attentif à enchanter le quotidien. Najrân encore plus au sud participe à cette culture, avec une saisissante gargouille à tête de lion.
La troisième région présentée se situe au nord-est de la péninsule et couvre l’actuelle province de Hofouf. Célèbre à l’époque hellénistique sous le nom de royaume de Gerrha pour les Grecs et de Hajar en Arabie, elle fut un centre opulent du commerce des encens. Au bord du golfe arabo-persique, à ‘Ayn Jawan, un trésor de bijoux en or et en pierres précieuses ravit. Mais c’est le site de Thaj, à l’intérieur, qui a conservé les plus riches vestiges de Gerrha, dont un masque funéraire en or repoussé, un gant en or, de magnifiques colliers et bracelets en or incrustés de perles.
Dans toutes les régions d’Arabie, se retrouvent les différents alphabets qui utilisés localement : sabéen, lihyanite, thamoudéen, mais aussi araméen, hébreu et moins souvent grec ou latin. Plusieurs exemplaires en sont présentés. Diverses langues étaient aussi pratiquées. Curieusement l’arabe semble y avoir une histoire plus ancienne qu’on ne l’avait cru. Il est émouvant de découvrir le plus ancien texte connu en cette langue, rédigé avec un alphabet sud-arabique, au ier siècle avant notre ère, à Qariyat al-Faw.
La dernière partie de l’exposition relate l’avènement de l’islam et la nouvelle ère qu’il ouvre. Sont en particulier proposés de très anciens textes du Coran, rédigés ou gravés, certains datant des deux premiers siècles de l’hégire. Des bornes milliaires, des souvenirs du pèlerinage à diverses époques et la description de ses principales routes manifestent la persistance de ces chemins qui traversent la péninsule en tous les sens depuis des millénaires. À la fin de la visite, de nombreuses dalles du cimetière d’Al-Ma‘la à La Mecque, alignées les unes à la suite des autres, retracent de manière touchante le parcours de ces hommes et femmes qui ont voulu être enterrés en ces lieux sacrés. Beaucoup étaient des notables, quelques-uns descendaient du Prophète depuis peu de générations. On se souvient alors du déchaînement iconoclaste des wahhabites contre les cimetières après leur entrée à La Mecque et à Médine, en 1924 et 1925. Une bonne partie des tombes de personnalités historiques y avait été ravagée.
* Routes d’Arabie – archéologie et histoire du royaume d’Arabie Saoudite, jusqu’au 17 septembre 2010, musée du Louvre.
Catalogue du même nom,
624 p., 45 euros.