Le livre de Curtis est une mine. Il présente de nombreux textes officiels britanniques rédigés par des responsables politiques, diplomatiques ou des services secrets à l’appui de son analyse.
Certains étaient déjà connus, mais le plus grand nombre de documents, récemment déclassifiés et particulièrement éloquents, se découvre dans l’ouvrage.
Précisée en noir sur blanc, la politique de diviser pour régner qui anime depuis des lustres la perfide Albion est confirmée. Dans un rapport du 6 novembre 1964, le Foreign Office (ministère britannique des Affaires étrangères) écrivait : « Il est dans notre intérêt, à la fois politique et économique, que se maintienne dans le Proche-Orient arabe un équilibre des forces, plutôt qu’une concentration des pouvoirs au Caire. » (p. 90)
Un rapport des services secrets de l’été 1993, destiné aux Affaires étrangères, révèle une vision claire et précise de l’iintégrisme : « Les groupes fondamentalistes partisans de la violence et de la révolution sont une minorité. Néanmoins, il existe un puissant courant anti-occidental au sein des principaux mouvements politiques fondamentalistes de la région. » Ce qui n’empêche pas le rapport d’en relativiser la dangerosité et de laisser entendre de possibles manipulations : « Le fondamentalisme ne constitue pas de menace cohérente et monolithique pour les intérêts occidentaux à la manière dont a pu l’être le communisme. Il n’a pas l’appui d’une super-puissance. Son pouvoir d’attraction en Occident reste limité aux minorités musulmanes et le risque de subversion est, du moins dans le Royaume Uni, minime. Traiter avec des régimes fondamentalistes extrémistes serait hautement imprévisible, mais pas pour autant ingérable. » (p. 173)
La permanence des enjeux est aussi précisée : « Le nouveau Grand Jeu est déterminé par divers facteurs différents de celui, ostensiblement proclamé, de vaincre le terrorisme… La clé de la situation se trouve dans la volonté britannique et étasunienne de contrôler l’Asie centrale et le Moyen-Orient… “L’ensemble de la région où se situe l’Afghanistan est d’une importance stratégique vitale pour le Royaume Uni”, affirmait le secrétaire à la défense Bob Ainsworth… en juillet 2009. » (p. 339)