Les pratiques juridiques des Etats-Unis, qui reflètent celles qui ont eu lieu en Grande Bretagne, produisent des dénis de justice dont un certain nombre d’Egyptiens ont pu faire les frais.
Dans l’Égypte de l’après-Moubarak, les hommes comme Abboud al-Zomor – l’agent de renseignement qui a fourni les balles qui ont assassiné le président Anwar al-Sadate en 1981 – et autres, émergent après une trentaine d’années de prison pour être courtisés par les médias et jouer des rôles clef dans la lutte pour le pouvoir concernant le futur du pays. Des milliers d’opposants politiques ont été emprisonnés sous Sadate et, après son assassinat, des dizaines de milliers les ont rejoints. La torture était une pratique permanente et les opposants au régime étaient pourchassés dans le pays et à l’étranger.
Ceci explique, en partie, le départ d’Hosni Moubarak, et, au Caire, la nouvelle opinion respectable dont bénéficient certains de ses anciens opposants politiques. L’une de ces personnalités de l’opposition a passé douze ans dans les prisons britanniques sans procès, ce qui fait honte à la justice britannique, mais qui, dans le nouveau contexte politique en Égypte, pourrait prendre fin. Aujourd’hui, l’un des avocats les plus célèbres d’Égypte et également ancien prisonnier, Montasser al Zayat, prépare un dossier pour l’Union des avocats égyptiens afin qu’elle intervienne au nom de son ancien confrère.
Adel Abdul Bary, un avocat des droits de l’Homme qui fut pendant des années l’une des sources importantes d’information pour Amnesty International, a payé son opposition par des années de prison et de torture si dures qu’elles furent jugées suffisantes pour lui accorder l’asile politique en Grande-Bretagne, en 1993, avec le soutien d’Amnesty.
Il fut arrêté à Londres en 1998, peu après l’attaque d’al-Qaeda contre deux ambassades américaines en Afrique de l’est. Il fut relâché cinq jours plus tard, quand la police britannique comprit qu’elle ne pouvait retenir aucune accusation de terrorisme contre lui. Il fut accusé de détention de bonbonnes de gaz, libéré sous caution et acquitté. Il existe une lettre officielle de la police anti-terroriste qui dit qu’après neuf mois d’enquête complète, ils ont conclu qu’il n’avait aucun lien avec al-Qaeda, ni avec le terrorisme en Grande-Bretagne ou à l’étranger.
Cependant, en 1999, Abdul Bary fut arrêté, lorsque son extradition fut demandée par les États-Unis sur la base des mêmes indices exactement qui avaient été rejetés les années précédentes en Grande-Bretagne. Ils avaient été envoyés aux États-Unis dans le cadre du grand coup de filet de « renseignements » sur les opposants islamistes supposés par les services américains.
Depuis, Abdul Bary a été détenu dans le prisons de Belmarsh, et Manchester, et, aujourd’hui, à Long Lartin, pendant que ses avocats se battent contre son extradition, dans le cadre d’une procédure qui ne peut être comparée qu’à l’affaire Jarndyce contre Jarndyce du roman de Dickens. Des dossiers volumineux qui peuvent remplir une pièce. Les actes d’accusation américains représentent plus d’une dizaine de classeurs, la plupart en arabe. Les Secrétaires d’État britanniques successifs ont passé six ans pour parvenir à une décision d’extradition – de janvier 2002 à mars 2008. Depuis, des demandes d’examens de décision de justice et des appels ont été interjetés par ses avocats, y compris des rapports médicaux qui, depuis des années, révèlent une grave dépression et un risque de suicide. Son dossier est maintenant à la Cour européenne des Droits Humains, gelé en attendant des réponses du gouvernement britannique quant aux inquiétudes sur la sévérité des conditions dans les prisons americaines Supermax – de très haute sécurité – et sur sa privation de parole.
Il a été séparé de sa famille et de ses six enfants à Londres et n’a pas vécu les événements familiaux qui marquent la vie – la mort de sa mère, le mariage de sa fille, la transformation de ses garçons en hommes. Son meilleur ami, Ibrahim Eiderous, qui a été en prison avec lui pendant des années, à la fois en Égypte et en Grande-Bretagne d’où il risquait, également, d’être extradé aux États-Unis, est mort d’un cancer.
Pendant toutes ces années en prison à Londres, Abdul Bary n’a jamais été interrogé. Personne n’a besoin de l’interroger – il y a douze ans, la police britannique n’avait trouvé aucune question à laquelle il put répondre.
Abdul Bary, Eiderous et beaucoup d’autres furent cités comme suspects dans l’affaire États-Unis contre Oussama Ben Laden et autres. Les États-Unis ouvrirent le dossier sur une déclaration de février 1998 concernant « un Front international islamique pour le Jihad contre les Juifs et les Croisés par al-Qaeda. Divers individus d’autres organisations, dont Ayman Zawahiri, alors le chef de Egyptian Islamic Jihad (EIJ), la signèrent. Zawahiri est un autre vétéran des prisons de Moubarak et de la torture, qui a quitté l’Égypte pour travailler comme médecin en Arabie saoudite, puis est devenu un proche de Ben Laden. La tête de Zawahiri vaut aujourd’hui 25 millions de dollars.
Dans le monde divisé et secret de l’opposition égyptienne politique des années 1980 et 1990, l’EIJ qui cherchait à renverser Hosni Moubarak, était composé de cellules de professionnels de haut niveau tels que des docteurs, des ingénieurs, des militaires et des avocats, comme Zawahiri, Abdel Bary et Eiderous. C’était une organisation créée vingt ans avant al-Qaeda. Mais vers la moitié des années 1990, EIJ fut détruite en Égypte, et un certain nombre de ses membres partirent avec Zawahiri dans l’entourage de Ben Laden, à Peshawar, puis au Soudan, puis en Afghanistan. Cependant, le fait de signer le document de 1998 produisit des échanges furieux d’emails dénonçant Zawahiri de la part des membres d’EIJ et des anciens membres. Il entraînait EIJ très au-delà de son objectif de changement politique en Égypte et, en ciblant les intérêts américains, dans un registre totalement différent.
À Londres, Abdel Bary ne se concentrait que sur son propre pays et s’occupait d’un bureau appelé l’International Office for the Defence of the Egyptian People. Les autorités britanniques étaient tout à fait informées des ces activités politiques. Abdel Bary encourageait son ami Eiderous et d’autres, à venir vivre à Londres avec leurs familles.
L’affaire USA contre Oussama Ben Laden et autres – et l’extradition de Bary – dépendaient du témoignage anonyme d’un homme appelé « source confidentielle n°1 – le premier traître d’al Qaeda, décrit comme « la pierre de Rosette » pour les enquêteurs américains. Mais, des années plus tard, il est apparu que cet homme était un Soudanais du nom de Jamal al-Fadl. Il a été présenté au tribunal comme témoin contre d’autres personnes, on a beaucoup écrit sur lui et il y a beaucoup de questions quant à sa crédibilité. Il n’a jamais rencontré Abdel Bary, ni ne l’a mentionné dans son témoignage sur le lien organisationnel présumé entre al-Qaeda et EIJ. Les procureurs américains ont utilisé cela pour impliquer automatiquement des membres individuels ou d’ex membres, sans aucune preuve de lien entre les individus concernés. C’est une façon de procéder sans précédent.
La nouvelle vie d’al-Fadl dans le cadre d’un programme de protection de témoin aux États-Unis, avec sa famille venue du Soudan, a coûté aux contribuable américains des millions de dollars et d’innombrables heures aux agents du FBI qui se sont occupés de lui pendant plusieurs années et lui ont donné le surnom de « Junior » à cause de son comportement d’adolescent. Outre le manque de crédibilité de son seul témoignage, il existe des questions sérieuses sur la procédure observée par les procureurs. Bien après le début de la première affaire, il est apparu que 18 vidéos-conférences entre al-Fadl et les procureurs de New-York avaient été enregistrées, et les avocats persistent à dire qu’elles montrent al-Fadl « manipulé et influencé ». Ni l’équipe de la défense ni les autorités britanniques n’ont pu y avoir accès.
L’extradition conduirait Abdel Bary devant les tribunaux avec un certain nombre d’autres accusés dont les noms ont été ajoutés au cours des années, accusés de conspiration générale pour tuer des Américains, et avec des accusation substantielles dans l’attentat à la bombe contre les ambassades en Afrique de l’est.
La seule chose concrète pour laquelle il est jugé est la possession d’un fax trouvé dans son bureau des semaines après les événements, annonçant les attentats. Ces faxes étaient partout, distribués librement dans des endroits comme devant la mosquée de Regents Park. Ce fax, avec le témoignage d’al-Fadl sur les liens supposés entre EIJ et al-Qaeda, suffit aux Américains pour conclure immédiatement qu’Abdel Bary était au courant et avait une responsabilité dans les attentats. Quelque temps plus tôt, l’un des accusés du procès USA contre Ben Laden, Ahmed Ghailani, avait fait l’objet de 286 chefs d’inculpation et jugé coupable sur un seul. Il a été condamné à la prison à vie.
Au début du mois d’avril, l’Administration Obama est revenue sur sa décision de juger les conspirateurs d’al-Qaeda liés à l’attentat du 11 septembre 2001 (Twin Towers), préférant le système discrédité des Commissions Militaires de Guantanamo Bay. C’est admettre que la guerre contre le terrorisme a battu le système judiciaire américain.
Le ministre britannique de la Justice devrait maintenant conseiller au Secrétaire aux Affaires intérieures de refuser toute complicité supplémentaire avec la parodie de justice de ces douze années de procédure viciée concernant l’extradition d’Abdel Bary. Un Secrétaire aux Affaires intérieures précédent a interdit l’extradition d’Eiderous peu avant qu’il ne meure. Celui-ci devrait faire de même, et Abdel Bary devrait rentrer chez lui, sous caution, le temps que l’on décide s’il y a réellement des charges contre lui censées être présentées devant un tribunal britannique.