L’arrivée d’un nouveau gouvernement à la tête de l’Egypte redéfinit l’ensemble de sa politique étrangère.
Le régime post-Moubarak est en train de faire voler en éclat tout l’édifice géopolitique patiemment mis en place, depuis 1971, année de la prise réelle du pouvoir par Anouar al-Sadate, après avoir mis hors d’état de nuire tous les appareils du régime nassérien. Un objectif poursuivi avec constance par son successeur Hosni Moubarak. Les premiers changements prévisibles vont toucher l’approche égyptienne du blocus de Gaza. Il est d’ores et déjà certain que le Caire envisage sérieusement, passant outre les pressions américaines et israéliennes, de lever le siège de Gaza, qu’elle appliquait conjointement avec Israël, estimant que ce blocus est une « violation du droit humanitaire international » (Nabil al-Arabi, nouveau ministre des Affaires étrangères). Les relations avec la Syrie vont également s’améliorer. Elles étaient exécrables depuis 2006, quand le président syrien Bachar al-Assad avait qualifié Moubarak (et également le roi Abdallah d’Arabie Saoudite et Abdallah II de Jordanie de « semblants d’homme »). Il réagissait ainsi aux soutiens égyptien, saoudien et jordanien à la guerre israélienne contre le Hezbollah, allié de la Syrie. Si ces deux pays avaient, depuis, « avalé » cet affront et s’étaient réconcilié avec Damas, l’orgueilleux Moubarak n’avait jamais pardonné. On comprend pourquoi la Syrie a jubilé après la chute de Moubarak et tendu la main à ses successeurs.
Une normalisation des relations avec le Soudan a également été entamée. La première visite d’un haut responsable égyptien de l’ère post-Moubarak a été réservée au Soudan, considéré désormais comme « la profondeur stratégique de l’Egypte ». C’est dans cet esprit que le nouveau Premier ministre égyptien par intérim, Essam Sharaf, est arrivé le 27 mars à Khartoum, pour effectuer une visite officielle de deux jours au Soudan.
Le vice-président soudanais Ali Osman Mohamed Taha s'était entretenu avec M. Sharaf le 27 mars, dans le Hall de l'Amitié à Khartoum. Ils avaient débattu des projets de coopération dans les domaines de l'industrie, du pétrole, du gaz naturel, du transport, de l'agriculture, de la participation aux foires et marchés internationaux, des communications, de l'industrie pharmaceutique et de l'exploitation maximale du fleuve Nil, afin de faciliter les échanges commerciaux et le transport entre les deux pays.
Les deux parties ont également signé des accords portant sur la construction de centrales électriques, de routes et d'hôpitaux, ainsi que sur les efforts déployés pour mener à son terme le projet du canal du Jonglei, au Soudan.
Ont figuré également au programme de la visite de M. Sharaf des rencontres avec les représentants de certains partis politiques soudanais, dont le Parti du Congrès national (au pouvoir).
Il avait aussi rencontré doit le président soudanais Omar al-Bachir, avant de se rendre à Juba, dans le Sud-Soudan, où il s’est entretenu avec le président Salva Kiir Mayardit.
Si on observe une détente avec les Palestiniens de Gaza et avec la Syrie, c’est cependant l’ouverture vers l’Iran qui va constituer un pas décisif vers la rupture avec la politique de Sadate et de Moubarak. Même si les relations avec ce pays sous Nasser n’étaient pas non plus chaleureuses. Alors que Nasser avait soutenu l’opposition iranienne contre le Chah, particulièrement l’opposition progressiste et nationaliste de Mossadegh, l’Arabie Saoudite et le chah avaient scellé un « pacte islamique » dirigé essentiellement contre le nassérisme, avec le soutien de l’Occident et d’Israël.
Au cours des deux derniers mois, certains signes ont indiqué que l'Egypte post-Hosni Moubarak cherchait à normaliser ses relations avec l'Iran et son seul allié dans la région, la Syrie.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Nabil el-Arabi, avait donné le ton en déclarant récemment que son pays était disposé à « ouvrir une nouvelle page » dans ses relations avec l'Iran. Il a également exprimé l'espoir de mettre fin à l'éloignement entre la Syrie et l'Egypte.
Ces premiers signes d'un possible changement dans la politique étrangère traditionnelle de l'Egypte éveillent l'inquiétude des monarchies du Golfe, de la Jordanie, du courant libanais pro-saoudien conduit par Saad Hariri au Liban qui accusent l'Iran de « s’ingérer dans leurs affaires intérieures pour déstabiliser leur sécurité nationale et étendre l'influence régionale de la République islamique. »
Néanmoins, d'autres développements suggèrent que le conseil suprême des forces armées, qui gouverne actuellement l'Egypte, perçoit toujours l'Iran comme une menace stratégique et que la position du Caire face à Téhéran ne va changer radicalement. Mais elle sera forcément moins dogmatique.
Iran – Egypte : Trois décennies de relations tendues
L'Egypte et l'Iran ont cessé toute relation diplomatique depuis 1979, lorsque l'Egypte a donné l'asile au Shah d'Iran destitué et a signé les Accords de Camp David avec Israël.
Lors de l’assassinat de Sadate, l’Iran avait salué cet acte et baptisé l’une des rues de Téhéran du nom de l’assassin de Sadate.
L’Egypte, comme la plupart des pays arabes, avait soutenu l’Irak dans sa guerre contre l’Iran (1980-1988) à l’exception de la Syrie et de la Libye qui avaient fait cause commune avec la république islamique. L’Algérie, quant à elle, avait proposé ses bons offices pour régler le conflit.
Jusqu’à aujourd'hui les deux pays ont maintenu des « missions diplomatiques », et non des ambassades à part entière, dans leurs capitales respectives. Au cours des dernières années, le Caire et Téhéran ont fait plusieurs tentatives de réconciliation, mais en vain. Une rencontre entre les présidents égyptien Moubarak et iranien Mohammed Khatami à Genève n’a rien apporté.
L'Egypte de Moubarak, sous la pression américaine et israélienne, a accusé l'Iran de déstabiliser le Proche-Orient par l'intermédiaire de ses obligés et alliés, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et la Syrie. L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, avec la complicité et le soutien de l’Egypte et des monarchies du Golfe a eu un résultat inattendu : l’Irak est tombé dans l’escarcelle de l’Iran. Ce qui a fait dire au Roi Abdallah II de Jordanie qu’un « croissant chiite » composé de l’Iran, de l’Irak, de la Syrie et du Liban a vu le jour à l’issue de cette invasion, constituant une menace pour tous les régimes arabes pro-occidentaux. Il n’était pas donc étonnant que lorsque la guerre entre Israël et le Hezbollah libanais ait éclaté, tous ces pays ayant implicitement soutenu Israël dans l’espoir de se débarrasser du Hezbollah et provoquer la chute du régime syrien.
L'hostilité entre le Caire et Téhéran a atteint son apogée en 2009 lorsque les autorités égyptiennes ont « démantelé » une cellule du Hezbollah qui « complotait » pour mener des attaques contre des intérêts américains et israéliens sur le sol égyptien. Le ministre égyptien des Affaires étrangères de l'époque, Ahmed Abul Gheit, a alors accusé l'Iran d'utiliser le Hezbollah pour s'imposer en Egypte.
L'Iran, quant à lui, a critiqué à maintes reprises la position de l’Egypte vis-à-vis du Hamas, accusant le gouvernement d'Hosni Moubarak de collaborer avec Israël et l'Occident pour saper la « résistance palestinienne ».
« Une nouvelle page »
Depuis la chute d'Hosni Moubarak, quelques signes indiquent que la politique étrangère égyptienne pourrait changer à l'égard de l'Iran et de la Syrie.
Dès les premiers jours de la révolte, l’armée égyptienne a laissé les prisonniers libanais du Hezbollah condamnés pour « intelligence avec une puissance étrangère » (l’Iran), fuir vers le Liban.
« Le gouvernement égyptien ne considère pas que l'Iran est un état ennemi » a déclaré le mois dernier le ministre égyptien des Affaires étrangères, Nabil el-Arabi. « Nous ouvrons une nouvelle page avec tous les pays, y compris l'Iran. »
Une source du ministère égyptien des Affaires étrangères a expliqué qu’en filigrane de ses déclarations, le projet consiste à transformer les missions diplomatiques actuelles en ambassades.
En février, dans le cadre de leur première tentative d’ouverture diplomatique, les nouveaux gouverneurs égyptiens ont approuvé le passage de deux navires de guerre iraniens par le Canal de Suez pour la première fois depuis 1979, en dépit de l'objection d'Israël et des Etats-Unis.
Du côté syrien, le mois dernier, le nouveau chef des services de renseignement égyptien s'est rendu à Damas pour discuter de la coopération en matière de sécurité après que Mohamed Hussein Tantawi, chef du conseil suprême de l'armée égyptienne, a exprimé l'espoir qu'une nouvelle page soit tournée entre les deux pays.
La Syrie, seul allié de l'Iran dans le monde arabe, a entretenu, depuis 2006, des relations tendues avec l'Egypte au temps d'Hosni Moubarak.
L'autorisation accordée le mois dernier à plusieurs chefs du Hamas de Gaza de voyager en Syrie en passant par l'Egypte est perçue par certains comme une autre manifestation de la nouvelle politique étrangère de l'Egypte.