Un sérieux revers pour la diplomatie occidentale
Washington et Paris sont « furieux ». Au moins, ils ne devraient pas être surpris: en opposant conjointement, mardi 4 octobre, leur veto à un énième projet de résolution occidental condamnant la répression en Syrie et menaçant celle-ci de « mesures ciblées » , la Russie et la Chine ont agi dans le droit fil de leur ligne diplomatique sur le sujet.
Une claque diplomatique historique…
Mais c’est vrai que, symboliquement, le coup demeure rude pour les ennemis de Damas : c’est la première fois depuis 2008 que le Conseil de sécurité voit deux de ses membres utiliser simultanément leur droit de veto. Quant aux pays « émergents » du Conseil – Afrique du Sud, Brésil, Inde et Liban – ils ont adopté une abstention clairement désapprobatrice des manoeuvre euro-américaines.
Un qui est particulièrement mortifié, ce mercredi 5 octobre, c’est Alain Juppé, dont les services ont co-rédigé le texte du projet : le ministre « gaullo-atlantiste » des Affaires étrangères avait confié sa certitude de voir la Russie évoluer sur le dossier syrien. Et pour être certain de triompher de l’intransigeance russe, il avait fait, magnanime, une « importante » concession sémantique à Moscou, remplaçant le mot « sanctions » par l’expression « mesures ciblées« .
Las, depuis quelque temps, et depuis l’expérience libyenne, Russes et Chinois savent comment Washington et ses amis peuvent jouer sur les mots et interpréter à leur avantage les résolutions des Nations-Unies. Du reste, et depuis des mois, la Syrie est déjà l’objet de pas mal de « mesures ciblées » contre ses dirigeants, ses hommes d’affaire et son économie – hier, le Canada, par exemple, a décidé d’ajouter de nouvelles mesures à son éventail déjà large de sanctions.
Bref, Français et Américains ne cachent pas leur aigreur, ce mercredi, en des termes assez peu diplomatiques qui donnent la pleine mesure de leur dépit : « Les Etats-Unis sont furieux du fait que ce Conseil (de sécurité) ait complètement échoué (à traiter) un défi moral urgent et une menace croissante à la paix régionale » tempête Susan Rice, ambassadeur américain à l’ONU. Qui, mauvaise joueuse décidément, va jusqu’à accuser Moscou et Pékin de préférer « vendre des armes au régime syrien » .
… sur la joue de Juppé !
Côté français, l’ambassadeur Gérard Araud, voix de son maître Alain Juppé, ne pouvait faire moins de stigmatiser ce double véto historique, « expression de mépris pour les aspirations légitimes des Syriens » et « rejet de ce formidable mouvement en faveur de la liberté et de la démocratie qu’est le printemps arabe« . Et mercredi 5 octobre, Alain Juppé a qualifié le mardi 4 octobre de « triste jour pour le peuple syrien (…) et pour le Conseil de sécurité ».
Nos lecteurs savent tout ce qu’on doit penser des exigences « morales » de la diplomatie américaine, ainsi que de l’attitude, pas si lointaine, de la France sarkozyste vis-à-vis du « printemps arabe« , notamment dans ses déclinaisons tunisienne et égyptienne. Cette langue de bois colérique ne mérite que des haussements d’épaule. Nous sommes néanmoins d’accord sur un point avec notre ministre des Affaires étrangères : le mardi 4 octobre 2011 est bien un triste jour… pour Alain Juppé et Nicolas Sarkozy qui se rêvent, depuis la Libye et la Côte d’Ivoire, en Zorro de la démocratisation du monde arabo-musulman. Pour l’heure ils marchent surtout sur les traces de George Bush Jr, qui a détruit et décimé l’Irak au terme d’une campagne de diffamation diplomatico-médiatique.
Par la voix de son ambassadeur onusien, Vitali Tchourkine, la Russie a assez justement résumé la situation : depuis des mois, deux « philosophies » s’affrontent, à propos de la Syrie, aux Nations-Unies : celle de la « confrontation », portée par les Occidentaux, et celle de la responsabilité et de l’équité, défendue par les nations du BRICS. Et c’est cette dernière « philosophie » qui fait souhaiter à Moscou – et à Pékin – que soit mis « sur le même plan dans le projet de résolution le régime et les rebelles ». Sur cette base, les Russes ont donc jugé le texte de Juppé « inacceptable ». Et le représentant chinois, Li Baodong, de rappeler un des fondamentaux de la tradition diplomatique universelle – tradition il est vrai mise à mal par les Américains et leurs amis depuis au moins vingt ans et la première guerre d’Irak – : la communauté internationale doit « respecter totalement la souveraineté territoriale de la Syrie ». On sait qu’Obama, Sarkozy et Cameron ont du mal à comprendre le sens de ce concept…
Source : InfoSyrie