La protestation contre les institutions financières américaines prend de l’ampleur, à New York mais aussi à Boston ou Los Angeles.
Ceux qui, aux États-Unis, traitent le mouvement Occupy Wall Street,« Occupons Wall Street », avec mépris, n’y voyant qu’une initiative d’« agit-prop soixante-huitarde » devraient se souvenir que de tels mouvements partis de rien et non structurés ont marqué l’histoire de leur pays. Personne ou presque n’avait entendu parler, en juin dernier, du site occupywallstreet.org lancé par Adbusters, un magazine canadien anti-consumériste qui, le 13 juillet, appelait pour la première fois à une manifestation pacifiste pour occuper Wall Street. Le 23 août, le groupe Anonymous encourageait ses adhérents à participer à la manifestation dont l’organisation était au centre d’une Assemblée générale, à Tompkins Square Park.
L’occupation de Wall Street a commencé le 17 septembre. Un millier de personnes environ se sont rassemblées le premier jour et, malgré l’interdiction de la célèbre NYPD, la police du district de New York, y ont installé des tentes. Lorsque le 19 septembre, la bourse de Wall Street a ouvert ses portes, la plupart des grands médias américains publiaient les premiers articles sur le mouvement. Occupy Wall Street (OWS) est né au moment même où Troy Davis était exécuté en dépit de toutes les protestations, y compris de la part de personnalités internationalement connues et reconnues. Ce jour-là, le 22 septembre, plus de deux mille personnes dont une majorité d’Africains-Américains se sont rendues de Union Square à Wall Street. Quatre d’entre elles ont été arrêtés. Zuccoti Park est renommé alors Liberty Plazza. Le 24 septembre, les arrestations se poursuivent et les rues adjacentes sont bouclées. Des vidéos commencent à apparaître sur internet, montrant les violences exercées par la police de New York. Le nom d’un policier, Antony Bologna, accusé par des vidéos d’avoir obligé des femmes à se déshabiller publiquement, apparaît sur le réseau social et son arrestation immédiate est demandée par OWS, ainsi que la démission du commissaire Raymond W. Kelly.
Dès lors, de plus en plus de personnalités se joignent au mouvement. Le 26 septembre, Noam Chomsky envoie un message de soutien aux organisateurs de OWS : « "Quiconque a les yeux ouverts sait que le gangstérisme de Wall Street – les institutions financières en général – a causé de sévères dommages au peuple des États-Unis (et du monde). Et devrait aussi savoir que ces dernières sont montées en puissance depuis plus de trente ans, au fur et à mesure que leur pouvoir sur l'économie et sur la politique se radicalisait. Ce qui a créé un cercle vicieux qui a concentré une richesse immense – et avec elle, la puissance politique – sur un infime secteur de la population, une fraction de 1%. (…) Ils mènent ces activités répugnantes en toute impunité. (…) Souhaitons que les manifestations courageuses et dignes de Wall Street révèlent cette calamité aux yeux du public, et nous conduise à tout faire pour la vaincre et remettre la société sur une voie plus saine. »
Le même jour, dans la soirée, c’était au tour de Michael Moore de s’adresser directement à la foule réunie sur Liberty Plazza. Un grand moment pour les participants. Ne pouvant utiliser un porte-voix pour des raisons légales, la foule créait un « micro humain » en répétant à forte voix chacune de ses phrases pour que chacun puisse l’entendre. « C’est un grand honneur d’être aujourd’hui parmi vous. (…) Dans cent ans, on se souviendra que vous êtes venus sur cette place pour lancer ce mouvement », a-t-il déclaré.
Dès le 29 septembre, conseillers municipaux, personnalités diverses – l’actrice Susan Sarandon, entre autres – des syndicats comme la branche locale du syndicat des transport (TWU) ou l’association des scénaristes de cinéma et de télévision WGAE, appelaient à la participation à la grande marche et au rassemblement prévus le 5 octobre. Le groupe Junkyard Empire écrivait Rebellion Politik pour appeler les citoyens à se mobiliser contre le système financier. Le mouvement s’est vite étendu à Boston, San Francisco, Los Angeles et autres villes. Une marche de 1000 personnes était organisée le 30 septembre, à laquelle participaient des représentants des organisations syndicales, vers le quartier général de la police pour protester contre les violences. Le mouvement lancé par OWS ne cessait de grossir. Dimanche dernier, le 1er octobre, plus de 5000 personnes ont bloqué pendant deux heures le pont de Brooklyn, paralysant la circulation. Environ 700 personnes ont été arrêtées puis relâchées
Deux semaines après l’installation des premières tentes sur Liberty Plazza, le mouvement s’organise. Il tient quotidiennement des assemblées générales qui décident de la marche à suivre. Expositions artistiques et concerts animent l’occupation. OWS a son propre journal, Occupied Wall Street Journal, « Wall Street Occupé » (non plus « Occupons Wall Street ») et dispose d’un centre de soin, de générateurs et de cuisines. Les réseaux sociaux fonctionnent et le mouvement réuni des citoyens de tous âges et de toutes origines sociales. « Nous ne sommes pas ici pour faire tomber Wall Street, déclarait un directeur d’une entreprise de marketing, ce n’est pas la guerre des riches contre les pauvres. Nous sommes ici pour protester contre le fait que c’est la finance qui décide de la politique et dicte aux politiciens que nous élisons les programmes à appliquer. »
Aujourd’hui, le mouvement qui se définit comme « une résistance sans dirigeant réunissant des personnes de toute couleur, sexe et conviction politique » est en train de gagner son pari. Outre le fait qu’il témoigne d’une prise de conscience significative des citoyens américains, il est entendu et commence à être reconnu. « Nous somme les 99 % qui ne tolérons plus le 1 % de cupides et de corrompus. Nous utilisons la tactique révolutionnaire du « Printemps arabe » pour atteindre nos objectifs et encourager à utiliser la non violence pour assurer la plus grande sécurité de tous les participants », déclare OWS dans son court manifeste. Mais aujourd’hui, les questions économiques cruciales comme le chômage (9 %) et la corruption du système politique occupent aussi les débats. Désormais, l’enjeu est de convaincre les personnalités politiques, particulièrement les Démocrates, à prendre les bonnes décisions.