L’alliance de la carpe islamiste et du lapin « bobo-Facebook »
Il nous faut bien dire ici deux ou trois mots du « Conseil national syrien » officiellement lancé dimanche 2 octobre à Istanbul, sous les auspices diplomatiques des Etats-Unis et de la Turquie. Le CNS est censé réunir « les forces de l’opposition et de la révolution pacifique ». Du coup on peut se demander si cette honorable assemblée a le moindre pouvoir sur les groupes armés salafistes et les déserteurs de l’armée qui les ont rejoints, qui ne font guère dans le pacifisme, depuis que le mouvement a débuté.
Mais passons : le CNS qui se veut « le représentant de la révolution syrienne à l’intérieur et à l’extérieur » réunit donc pour le quart d’heure les Frères musulmans, les « comités locaux de coordination » (les « correspondants locaux » de l’OSDH), des opposants « libéraux » ainsi que des représentants des minorités kurdes et assyriennes. C’est, pour faire court, l’alliance de la carpe islamiste et du lapin « bobo-Facebook », symbolisée par la présence à la direction du CNS de Mohammed Riyad al-Chaqfa, dirigeant des Frères musulmans, et de Bassma Kodmani, une autre intellectuelle exilée à Paris, chargée de mission au CNRS et chaude partisane du dialogue israélo-arabe. On est donc en droit de concevoir pas mal de doutes sur la pérennité de cette alliance de circonstance, qui n’a d’autre finalité, pour ses parrains turcs et euro-américains, que de servir de cheval de Troie à leurs intérêts géopolitiques et à leurs lubies idéologiques.
La belle lucidité – passée – du président Ghalioun
La présidence du CNS a été confiée à Burhan Ghalioun, un professeur de sociologie politique à l’université Paris III-Sorbonne Nouvelle, âgé de 66 ans. Il dirige aussi un « Centre d’études sur l’Orient contemporain » basé à Paris, et a signé plusieurs ouvrages, dont Islam & Politique – La modernité trahieet Le malaise arabe, l’Etat contre la Nation. Il est aussi l’auteur de nombreux articles dans la presse internationale et française. Dont un que nous avons retrouvé sur le site francophone Palestine-Solidarité, daté de mai 2007 : intitulé « Qui est responsable de la propagation de la violence dans le monde ? », l’article, traduit de l’arabe depuis le blog de Burhan Ghalioun, faisait le constat que la « guerre contre le terrorisme » initiée par l’administration Bush n’avait fait que développer celui-ci, tout en concourant à limiter les libertés civiles dans de nombreux pays – à commencer par les Etats-Unis. Les Etats-Unis que Burhan Ghalioun accusait d’utiliser cette guerre contre al-Qaida pour « imposer leur ordre du jour politique et stratégique propre« , et parlait notamment d’ »aventurisme désastreux » à propos de la politique de Washington au Proche-Orient, dans le Caucase et d’autres régions du monde.
Et Burhan Ghalioun enfonçait hardiment le clou, écrivant noir sur blanc que derrière la « guerre mondiale contre le terrorisme » « se dissimulaient divers ordres du jour convergeant tous vers l’objectif des forces mondiales hégémoniques » . Quel objectif ? Eh bien, notamment, « crédibiliser les politiques expansionnistes d’Israël, (…) l’aider à isoler le peuple palestinien, à briser sa volonté et son moral afin de permettre à Tel-Aviv de conserver puis d’annexer les territoires annexés ». Et, d’une manière plus globale, constatait Ghalioun, cette guerre était « devenue la couverture théorique et idéologique justifiant les politiques américaines de suprématie, au Proche-Orient notamment » . « Jamais contrainte colonialiste n’a joui d’une période de grâce plus longue ni d’une adhésion plus grande quant aux politiques américaines explicitement colonialistes au Proche-Orient, dans le Caucase et en Afrique, qu’au cours des deux dernières décennies » résumait le professeur Ghalioun qui complétait ainsi sa démonstration : « Jamais non plus Israël n’a connu de conjoncture plus favorable(la guerre contre le terrorisme islamiste) pour étendre ses colonies, renforcer sa présence dans les territoires palestiniens et syriens occupés et bafouer les intérêts des peuples, qu’au cours des vingt ans passés » .
On ne peut que s’incliner devant la pertinence de cette analyse. Et se frapper le front en pensantque c’est le même universitaire, syrien d’origine, si au fait des manoeuvres, mots d’ordre et arrière-pensées de la Maison Blanche, qui accepte avec émotion de prendre la présidence d’un gouvernement fantoche entièrement dans les mains des Américains et de leurs amis turcs, lesquels s’intéressent beaucoup moins à la liberté et au bien être du peuple syrien qu’à la destruction ou au moins l’abaissement d’une nation qui gênent leur ami israélien (les Etats-Unis) ou qui contrarie leur plan d’hégémonie régionale (la Turquie). Burhan Ghalioun, qui avait tout compris en 2007, joue les idiots utiles (à Washington et Tel-Aviv) en 2011. Ambition, fatigue, rancune personnelle contre Bachar al-Assad ?
Source: InfoSyrie