Dans un discours calme et pondéré, Bachar al-Assad a apporté une réponse ferme et sans appel aux revendications populaires.
Démentant les déclarations de sa porte-parole, Mme Bouthayna Chaaban, le président syrien n’a annoncé dans son discours au Parlement, ce mercredi 30 mars, aucune réforme politique majeure : ni la levée de l’état d’urgence, et encore moins l’abrogation de l’article VIII de la constitution qui donne au parti Baath la mission de « diriger l’état et la société » en Syrie. Dans son esprit, ces questions relèvent de l’intendance, par conséquent son rôle est de protéger la Syrie du « complot » ourdi contre elle depuis 2001. Il a laissé entendre qu’il incombera au nouveau gouvernement, actuellement en gestation, de conduire de telles réformes.
Dans les faits, en ne cédant rien aux contestataires, il s’est plié au dictat du noyau dur du régime représenté par son frère Maher, les services et le parti Baath. Ce discours sans concession est intervenu après un long silence et au lendemain de manifestations monstres en sa faveur (plusieurs centainesde milliers de protestataires) dans les principales villes du pays, notamment Damas et Alep.
Souriant, décontracté, échangeant des plaisanteries avec les députés,contrairement à son père Hafez, qui ne laissait rien paraître en public de son humeur, il avance dans un espace conquis d’avance. Du pur spectacle ! « Au début du discours, un député, habillé comme un religieux sunnite, s'est levé. Il a imploré Bachar de "les protéger". C'était clairement une mise en scène, pour montrer que les sunnites sont du côté du pouvoir. » C’est une réponse indirecte aux déclarations du Mufti d’Al-Jazeera, le Cheikh Youssef al-Qaradhaoui, qui avait accusé le pouvoir de communautarisme, estimant que « le peuple syrien considère le président Bachar al-Assad comme sunnite, mais qu’il est l’otage de sa famille et de sa communauté alaouite ». Cette déclaration, qui vise à attiser la guerre civile entre les Alaouites (15 % de la population) et les sunnites (70 %) a fortement déplu à Damas et a failli aboutir à la rupture des relations entre la Syrie et le Qatar, propriétaire de la chaîne Al-Jazeera. L’Emir de Qatar, qui a d’énormes investissements personnels en Syrie, a dépêché son prince héritier sur le champ pour présenter desexcuses officielles.
Autre élément de ce décor bien planté : avant même que Bachar ne commence son discours, les députés de la chambre monocolore ont scandé d’une seule voix : « Dieu, la Syrie, Bachar et c'est tout », un slogan crié par les partisans du régime lors des manifestations de la veille. Bachar, en bon comédien, a rectifié : « Non, c'est Dieu, la Syrie, le peuple et c'est tout ».
Le message central de ce discours est le suivant : il s’agit d’une conspiration étrangère. Voici les points forts de ce discours. :
« Nos ennemis œuvrent chaque jour d'une façon organisée et programmée pour porter atteinte à la stabilité de la Syrie » (…) « la Syrie est aujourd'hui la cible d'un grand complot dont certains fils se trouvent dans des pays lointains et proches, et d'autres à l'intérieur » (…) « Nous admettons l'intelligence de nos ennemis qui ont choisi des méthodes développées, mais aussi leur stupidité en choisissant un pays et un peuple avec lesquels de tels complots ne réussissent pas… les conspirateurs avaient commencé par la provocation via l'Internet et les satellites pour passer la falsification des informations, des image et des photos pour arriver enfin à l'axe confessionnel. »
Concernant la répression sanguinaire des manifestants de Deraa, il a déclaré : « les citoyens de Daraa n'assument aucune responsabilité de ce qui s'est passé mais il est de leur responsabilité d'éviter les émeutes…Le sang versé (à Deraa) est le sang de la Syrie, et nous sommes tous concernés, or les victimes sont nos frères et leurs familles sont les nôtres. Il est nécessaire d'en connaître les raisons, d'en chercher les responsables et de les châtier. »
Abordant les réformes, le président al-Assad a affirmé qu’il n’y aurait pas d'obstacles ni de retard dans l'application des réformes, et que personne ne s'y opposerait. Quant aux réformes politiques et économiques tant attendues, Bachar al-Assad a évoqué furtivement de nouvelles mesures encore à l’étude, dont celles concernant l'unité nationale, la lutte contre la corruption, l'information et l'emploi, soulignant qu'elles seront annoncées aussitôt leur étude achevée et qu'elles seront parmi les priorités du nouveau gouvernement.
Quant à la loi d'urgence, al-Assad a souligné a laissé entendre qu’elle n’est pas prioritaire.
Tirant les leçons de la révolte en Tunisie et en Égypte où, à chaque « concession » du pouvoir, les revendications montaient d’un cran, Bachar al-Assad a choisi la contre-attaque. Cette méthode, qui a bien marché à Bahreïn et moyennement au Yémen (où le président Ali Abdallah Saleh, que tout le monde donnait partant, a contre-attaqué en demandant à ceux qui réclamaient son départ en dehors des urnes de quitter le Yémen !) va-t-elle fonctionner en Syrie ? Il faut attendre vendredi 1er avril pour le constater. Mais d’ores et déjà, le régime syrien a choisi la confrontation avec ses détracteurs. A quel prix ?