Frères Musulmans . Soucieux d’améliorer leur image ternie par l’ancien régime, ils lancent un appel au dialogue à l’Eglise copte orthodoxe.
Dans une initiative sans précédent, le guide suprême de la confrérie des Frères musulmans, Mohamad Badie, a appelé la semaine dernière le bureau du patriarche copte Chenouda III, qui venait de rentrer d’un voyage médical aux Etats-Unis. Objectif affiché de cet appel « de courtoisie » : souhaiter au pape bonne santé et le saluer après son retour en Egypte.
La nouvelle de ce contact a fait la une de la presse avant d’être démentie par des sources de l’Eglise. « Le guide des Frères n’a pas parlé au pape en personne, mais il a bel et bien appelé son bureau », a toutefois affirmé Mgr Morcos, porte-parole de l’Eglise. « M. Badie a demandé un rendez-vous pour rencontrer le pape dans le but d’ouvrir des ponts de dialogue entre les Frères et les coptes », a ajouté l’évêque, tout en précisant que le pape n’avait pas fait de commentaire public à propos de cette initiative et qu’aucune décision n’avait été encore prise à cet égard.
Le guide suprême a à son tour confirmé la nouvelle : « Nous avons pris cette initiative dans une tentative de dissiper les craintes des coptes lesquelles se sont intensifiées au lendemain de la révolution du 25 janvier », affirme-t-il. Et d’ajouter : « Cette révolution a transformé les Frères d’un groupuscule interdit en un important acteur politique. Ceci leur a valu des vagues de critiques visant à les démoniser pour faire peur aux gens, notamment les coptes ».
L’initiative des Frères ne s’est pas limitée à l’Eglise. « Nous avons également proposé un dialogue avec les jeunes mouvements et les activistes politiques coptes que nous avons invités à organiser conjointement avec nous des colloques et des rencontres, pour clarifier les prises de position des Frères musulmans à l’égard des questions politiques d’actualité », explique Badie.
Des sites Internet ont toutefois rapporté des déclarations anonymes de dignitaires coptes qui auraient « exclu » toute possibilité de dialogue entre le pape et les Frères « dans la prochaine période ». En fait, les mouvements de jeunesse qui se seraient engagés dans ledit dialogue, « L’Union des jeunes chrétiens » ou « L’Organisme général de l’association des jeunes chrétiens », ne sont ni connus ni reconnus en tant que représentants de la communauté copte. Sans un feu vert de l’Eglise, les tentatives des Frères de briser la « barrière psychologique » qui les sépare des concitoyens chrétiens seront difficiles.
Les tentatives d’inspirer confiance à la communauté chrétienne sont claires dans le discours récent de certains cadres des Frères. Récemment, un membre du bureau de guidance, Mosaad Al-Husseini, a souligné que le slogan des Frères « L’islam est la solution » était « la meilleure garantie des droits des coptes ». Cependant, dans les détails, les choses sont moins rassurantes. Jusqu’ici, les interprétations que donnent les Frères à ce qu’ils disent être un « Etat civil de référence islamique » restent très floues quant à la place que devra occuper l’islam dans cet Etat voulu. Déjà dans leurs programmes politiques annoncés, ils ont nié aux coptes et aux femmes des droits de citoyenneté, dont celui à la magistrature suprême.
« D’aucuns voient que l’initiative des Frères est une hypocrisie politique qui dépasse les tentatives d’établir un dialogue : ce que les Frères n’ont pas dit c’est qu’ils cherchent un moyen de se concerter avec les coptes en vue des prochaines élections législatives », dit Emad Gad, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Le fait qu’ils ne sont pas contentés du clergé et qu’ils se soient adressés aux mouvements de jeunesse coptes indique une reconnaissance implicite de leur part de l’impact politique que peuvent avoir les jeunes, comme l’a bien montré la révolution du 25 janvier », ajoute Gad. « A mon avis, cette démarche intervient dans le cadre d’un programme plus large d’ouverture à la société civile et aux diverses forces politiques, pour restaurer leur image qui a été ternie par l’ancien régime pendant près de 60 ans », estime le chercheur.
Amr Al-Shobaki, également du CEPS, est d’accord. « Les Frères cherchent à rassurer les coptes, parce qu’ils réalisent que ces derniers représentent une force électorale significative. Ils essayent de faire de même avec les musulmans libéraux qui ne sont pas moins appréhensifs vis-à-vis de la montée des islamistes », ajoute Al-Shobaki.
A vrai dire, il n’y a que les coptes et les musulmans libéraux, les activités des Frères inquiètent également l’institution officielle de l’islam, à savoir Al-Azhar, qui se sent dépassée en tant qu’interlocuteur unique de l’Eglise en matière de dialogue. « Tout ce que les Frères essayent de faire c’est de rallier autour d’eux les différentes factions de la société, c’est ainsi qu’ils se sont récemment imposés lors de l’affaire de Soul (village où une église avait été incendiée) soi-disant pour jouer les médiateurs alors que tout ce qu’ils veulent ce sont les voix des coptes aux prochaines élections législatives », accuse cheikh Metwalli Abdel-Basset, prédicateur à Al-Azhar, qui qualifie d’hypocrisie cette ouverture des Frères.
« Nous reconnaissons qu’Al-Azhar, en tant qu’institution, n’a pas réussi à atteindre les masses, à la différence des Frères musulmans qui, eux, ont de nombreux programmes adaptés aux diverses couches sociales. C’est ce qu’Al-Azhar doit essayer de faire s’il veut garder son statut de symbole de l’islam », conclut Abdel-Basset l