Palestine Faire disparaître de la carte Al-Walaja et les villages voisins permettra à l’État hébreu de s’approprier presque toute la région de Bethléem, de Jérusalem à Hébron, transformant la ville sacrée et touristique en une petite enclave.
Sur les collines, juste à la sortie de Bethléem, la petite commune d’Al-Walaja a tout d’un village biblique : un jeune homme sur son âne qui va grimper dans un olivier, des maisons de pierre couleur crème, des jardins qui abritent des arbres fruitiers offrant leur ombre aux potagers, des roses colorées, des géraniums, des bougainvilliers, des bouquets de lauriers roses… De vieux amandiers, abricotiers et figuiers bordent la route étroite. Il y a ici, à l’orée du village, un légendaire olivier que les experts suisses, japonais et italiens ont daté entre 4 000 et 5 000 ans. À l’arrière d’Al-Walaja, au fond des bois où les villageois vont marcher, pique-niquer ou jouer au football, se trouve Cremisan, le plus grand monastère italien, de l’ordre silésien. Il a été construit en 1885 sur des terres données par le village. Les moines sont célèbres pour leur vin. Ils offrent également des séminaires de théologie aux étudiants de nombreux pays.
Cette belle harmonie de vie rurale disparaîtra bientôt. Al-Walaja est situé juste sur la ligne d’extension rapide des colonies illégales de Har Homa, Gilo, Har Gilo, qui forment un arc au sud de Jérusalem. Le mur de séparation coupera le village du monastère, des bois, du terrain de football et de la terre qui le fait vivre.
De démolitions en reconstructions
Le bruit des bulldozers et le brouillard de poussière du chantier ont atteint la limite d’Al-Walaja. Le gouvernement israélien creuse une large tranchée à travers la commune pour le mur, pourtant condamné par la Cour pénale internationale en 2004. Les ouvriers travaillent dur sur l’extension de Har Gilo, à quelques mètres du village. Les ordres de démolition menacent quarante-neuf maisons, de nouvelles voies reliant les colonies à la route principale sont en cours de construction, tandis que les villageois ne pourront utiliser qu’un tunnel pour atteindre Bethléem.
C’est toute l’histoire complexe de la Palestine qui est écrite sur cette seule colline. Le maire élu, Saleh Khalefeh, raconte comment, avant 1948, avec ses 67 000 dunums (1), le village était le plus important des environs de Jérusalem et un des premiers fournisseurs en produits agricoles de la capitale. Al-Walaja comptait alors 1 914 habitants, 320 maisons et un revenu quotidien de 1 800 livres palestiniennes (équivalent à 1 800 livres sterling de l’époque) en moyenne.
Puis vint la naqba (2). « En 1948, nous sommes tous devenus des réfugiés – par peur. C’est compliqué : à l’armistice, le village a été placé sur le côté jordanien de la ligne frontière, mais ensuite, ils l’ont échangé avec un autre village au nord de Jérusalem. Les Israéliens voulaient le nôtre à cause de la ligne de chemin de fer. Ils ont pris une partie avec les maisons. Ils ne nous ont laissé que 7 000 dunums. Puis, en 1956, ils ont détruit tout le village. Avant 1967, les gens sont revenus et ont reconstruit les maisons que vous voyez maintenant. Mais, la plupart sont partis en Jordanie – ils sont 20 000 maintenant qui viennent d’ici, et nous ne sommes plus que 2 400. »
Pour compliquer les choses, la moitié Al-Walaja a été conçue en 1967 comme une partie de Jérusalem, qui est à huit kilomètres. Avec le statut de la Cisjordanie et sans les droits octroyés aux habitants de Jérusalem, les villageois n’ont pas été autorisés à vivre dans cette moitié de la bourgade. La démolition des maisons a commencé en 1984. En vingt-cinq ans, vingt-trois maisons et fermes ont été détruites. Beaucoup ont été reconstruites, puis à nouveau détruites, puis reconstruites…
Aujourd’hui, Salah Khalefeh est l’un des quarante-neuf propriétaires qui a porté plainte au tribunal pour stopper les destructions et la nouvelle saisie de terre. « Ils ont des grands avocats mais les plaintes n’aboutiront pas », dit un expert judiciaire. De fait, la première plainte pour confiscation de terre, dans le cadre de la jonction de la colonie de Har Gilo à la route 60, une autoroute nord-sud, a été déboutée en 2007-2008 et est maintenant entre les mains de la Cour suprême. En plus de toute cette incertitude, les quarante-neuf ont été sommés de payer plus d’un million de shekels pour avoir construit sans autorisation.
Dans le petit bureau impeccable du conseil du village, sous la photo de Yasser Arafat, Salah Khalefeh montre des cartes du bourg en superposant les plans du mur. « Le but des Israéliens est d’obliger les gens à partir, explique-t-il. Il ne s’agit pas seulement du mur et des routes pour les colons, mais de l’arrachage de nos arbres et du blocage des accès aux sources. Nous sommes situés sur la nappe phréatique du sud. En 1948, nous utilisions vingt-trois sources, aujourd’hui il n’y en a plus que trois et l’une d’entre elles, El-Hariva, nous est interdite, sur la route des colonies. En fait, les villageois n’ont pas assez de terre pour vivre et si les Israéliens réalisent ces plans, nous perdrons 4 000 des 7 000 dunums qu’il nous reste. Après avoir étudié ces plans, nous nous attendons à en perdre encore plus. Il ne pourrait nous en rester que 1 200. La vérité, c’est que des villageois sont déjà partis, les Israéliens ont gagné. »
Al-Walaja connaît un taux de chômage de 45 %, particulièrement élevé chez les jeunes. C’est l’histoire de tous les territoires palestiniens occupés et économiquement étranglés. Les Palestiniens ne peuvent plus travailler en Israël, il y a peu d’emplois en Cisjordanie, la production agricole ne peut rivaliser avec l’agriculture mécanisée des colons destinée aux marchés, et, comme le dit Saleh Khalefeh, « la plupart des gens travaillent aujourd’hui dans les institutions gouvernementales, pas la terre ». Chaque jour, 1 200 personnes quittent le village pour aller travailler à Bethléem ou à Hébron. Il n’y a pas de lycée ni de structures de santé. À côté d’Al-Walaja, six autres villages palestiniens voisins sont également menacés par les plans de colonisation. Cette région ouest de Bethléem est un élément clé de l’expansion massive des colonies de Gush Etzion (3) qui couvre ainsi le nord, l’ouest et le sud de la région de Bethléem, de Jérusalem à Hebron.
Une injustice historique
Comme d’autres villages de Bethléem, Battir, Al-Jaba et Nahalin, Al-Walaja est déjà économiquement étranglé. Dans toute la Cisjordanie, le nettoyage ethnique rampant qui, il y a longtemps, a clos toute possibilité de solution viable de deux États, constitue la guerre non déclarée la mieux connue. Les légions de diplomates et d’employés des agences occidentales humanitaires vivant et travaillant à Jérusalem et en Cisjordanie n’ont aucune excuse pour ne pas connaître la dimension de l’injustice historique qui s’aggrave chaque semaine. Ils ne peuvent que savoir qu’Israël pratique le fait accompli sur le terrain en défiant les modestes protestations qui s’expriment à l’extérieur du pays.
Après soixante ans d’annexion, il n’y a aucune raison de penser qu’on verra un quelconque changement dans le lent processus d’asphyxie des Palestiniens. L’occupation est aujourd’hui banalisée dans la conscience d’un monde occidental indifférent. n
(1) 1 dunum = 1 000 m2.
(2) La « catastrophe », ou la création de l’État d’Israël en 1948.
(3) Un groupe de quatre colonies juives situé
à mi-chemin entre Jérusalem et Hébron.