«Dans le cadre de l’exécution de son mandat, le bureau du procureur a demandé aux autorités libanaises de lui transmettre toutes les informations en la possession du secrétaire général M. Hassan Nasrallah », annonce un communiqué du bureau du procureur du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), Daniel Bellemare.
« Il s’agit notamment des enregistrements vidéo qui ont été projetés à la télévision lors de la conférence de presse (1), ainsi que de tout autre élément qui aiderait le bureau du procureur à établir la vérité », poursuit le communiqué daté du 11 août.
Durant deux heures et demie d’affilée d’une vidéoconférence, Hassan Nasrallah a riposté au TSL qui s’apprête à inculper deux membres du Hezbollah. Il a fourni nombre d’informations, dont des images aériennes du trajet emprunté par le convoi de Rafic Hariri le jour de sa mort, qui ont été tournées – selon lui – par des drones (2) israéliens avant d’être interceptées par ses propres services. Les images montrent les itinéraires empruntés par Rafic Hariri entre sa résidence, le centre ville et le Parlement, notamment celui longeant le front de mer, avec une insistance particulière sur le virage à proximité de l’hôtel Saint-Georges où l’ex-premier ministre libanais a été assassiné. « Ce que je montre n’est pas une preuve irréfutable mais ouvre les pistes de nouvelles hypothèses de travail. Depuis cinq ans, personne, ni le tribunal de l’Onu, ni la Commission d’enquête n’a eu l’idée d’explorer cette piste », a déploré le chef du Hezbollah.
Hassan Nasrallah s’est ensuite livré à un historique très complet de l’espionnage israélien au Liban en détaillant le parcours de plusieurs de ses taupes. L’une d’elles, Mahmoud Rafeh, impliquée dans quatre assassinats, facilitait l’infiltration et l’exfiltration d’agents israéliens au Liban. « La Commission d’enquête internationale est-elle jamais venue l’interroger ? », a lancé le chef du Hezbollah, estimant : « Celui qui cherche sincèrement la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri devrait commencer par là. »
Quant à savoir pourquoi il avait attendu cinq ans pour dévoiler ces informations, Hassan Nasrallah a expliqué que la récente vague d’arrestations d’agents libanais travaillant pour les services israéliens montrait l’implication de l’État hébreu dans plusieurs assassinats commis au Liban. Il a ajouté que le Hezbollah venait tout juste d’avoir connaissance d’un fait nouveau : un espion israélien répondant au nom de Ghassan el-Jidd avait été localisé dans les parages de l’hôtel Saint-Georges à l’emplacement même où se trouvait le camion piégé, le 13 février 2005, soit la veille de l’attentat. Le Hezbollah avait informé les services de sécurité mais l’agent israélien avait réussi à s’enfuir.
Grand communicant et maître du temps, Hassan Nasrallah a atteint un triple objectif : prendre à témoin l’opinion publique en montrant que la piste israélienne avait été écartée a priori et de manière arbitraire, interpeller les experts et couper l’herbe sous le pied du TSL. Il est clair que ce dernier ne sort pas particulièrement grandi de l’exercice. Le déroulé de ses investigations a connu trois phases distinctes.
Initialement dirigée par le juge allemand Detlev Mehlis, la Commission internationale d’enquête a d’abord accusé la Syrie et emprisonné quatre généraux libanais, sur la base d’une instruction à charge fondée sur plusieurs faux témoignages. Et ce magistrat se félicitait publiquement de s’être adressé aux services israéliens, disposant « toujours de bonnes informations sur la région », pour étayer son accusation. Faute de preuve, les quatre généraux ont dû être libérés. Mais il faudra qu’un jour Mehlis puisse répondre de ses actes et qu’il nous explique comment et pourquoi il a pu ainsi abuser la justice internationale. Dans un deuxième temps, le juge belge Brammertz a remis l’enquête sur ses rails en éclaircissant l’identité des exécutants ramenant à une piste salafiste, sinon saoudienne. Aujourd’hui, le juge canadien Daniel Bellemare s’apprête à incriminer le Hezbollah au moment même où de nouvelles sanctions sont adoptées contre l’Iran…
En demandant la transmission des bandes vidéo révélées par Nasrallah, le juge Bellemare se couvre de ridicule et contribue à discréditer, encore un peu plus, la justice internationale. Comme Detlev Mehlis l’avait fait avec la Syrie, le juge Bellemare entend désormais pointer le Hezbollah, voire l’Iran, à la tête de l’« axe du mal ». Les révélations de Nasrallah vont passablement compliquer sa tâche et, peut-être, retarder la publication de l’acte d’accusation annoncée pour octobre. Celle-ci n’interviendra vraisemblablement pas avant les élections américaines de mi-mandat. Mais, aujourd’hui, on peut se demander légitimement si cet acte d’accusation verra prochainement le jour.
(1) Al-Manar, 9 août 2010
(2) Drone (« faux bourdon » en anglais) ou UAV (Unmanned Aerial Vehicle) est un aéronef sans pilote.