Selon un porte-parole du régime de Bagdad, 230 détenus ont été pendus entre 2005 et 2009. Plus de 1 250 condamnés à mort attendent leur exécution. Seul espoir pour les résistants qui n’ont rien à perdre : s’échapper, à n’importe quel prix.
En Irak, la sécurité dans les prisons et les camps de prisonniers est évidemment maximale. Il n’empêche que, depuis 2003, de nombreux détenus se sont « fait la belle » à Bassora, Bagdad, Mossoul, Tikrit, Ramadi. La dernière grande évasion n’a pas retenu l’attention des médias : le 1er avril à l’aube, à Mossoul, vingt-trois prisonniers se sont échappés par un trou creusé dans le mur de la prison de la base américaine Al-Ghazlani. Leur disparition ne fut remarquée que l’après-midi. En revanche, celle de quatre détenus du camp Cropper, dont deux « ministres » de l’État islamique d’Irak, groupement dont fait partie Al-Qaïda au Pays des deux fleuves, n’est pas passée inaperçue : elle s’est déroulée le 15 juillet, en plein transfert du pénitencier au régime de Bagdad ! Un gardien leur aurait fourni des uniformes de l’armée irakienne et les aurait accompagnés à l’extérieur grâce à une carte pass l’autorisant à escorter les officiels visitant la prison.
Un tunnel de 200 m
Comme toujours, dès qu’il est question d’Al-Qaïda, les informations sont à prendre avec des pincettes, la signature étant aussi utilisée par la CIA et les services secrets iraniens. Pour Amin al-Assadi, inspecteur en chef au ministère de la Justice, interviewé par le quotidien irakien pro-gouvernemental Al-Sabah, les forces américaines sont « impliquées dans l’évasion ». En Irak, ce genre d’accusation n’inquiète personne, à commencer par Nouri al-Maliki qui a demandé aux Américains de garder sous leur surveillance 200 prisonniers étiquetés Al-Qaïda.
La première grande tentative d’évasion de prisonniers de guerre a eu lieu au camp Bucca, en 2005. Elle a échoué. Le pénitencier, situé en plein désert au sud de Bassora, fermé en septembre 2009, a été décrit dans le journal suisse Le Temps comme « un authentique camp de concentration au plein sens du terme ». Les prisonniers étaient enfermés « sans jugement, sans avocat, sans même un mandat d’arrêt », dans des conteneurs et des tentes par 60 °C l’été et -10 °C la nuit en hiver. À l’époque, Bucca – du nom d’un pompier mort dans l’effondrement du World Trade Center – comptait environ 6 000 prisonniers. Quatre ans plus tard, leur nombre dépassait 28 000.
Le 27 mars 2005, les prisonniers avaient fini de creuser un tunnel avec des moyens de fortune. Ils attendaient que le temps s’améliore pour se faufiler en masse dans le boyau de 200 m de long, passant sous les barbelés à 4 m de profondeur et aboutissant dans le désert. Son entrée, bouchée par des pelletées de terre, était dissimulée sous le plancher d’un bâtiment. Elle a malheureusement été découverte lors d’une inspection de routine.
Le 9 décembre 2006, Ayman Sabawi al-Tikriti, neveu de Saddam Hussein, arrêté en mai 2005, condamné à la prison à vie pour son soutien financier et en armement à la résistance, a disparu de la prison Badoush, près de Mossoul. On apprendra qu’il était parti en compagnie d’un gardien de nuit ayant présenté un faux ordre de transfert. Selon le général Abdul Karim Khalaf, porte-parole du ministère de l’Intérieur, l’opération était l’œuvre de « saddamistes » d’Al-Awda (le Retour), organisation de résistance baasiste fondée en juin 2003.
Trois mois plus tard, le 6 mars 2007, 300 moudjahidine attaquèrent Badoush au coucher du soleil et libérèrent 140 détenus. Omar al-Baghdadi, ténébreux émir de l’État islamique d’Irak, revendiqua l’attaque trois jours plus tard… Mais, le 7 décembre suivant, on apprit par un document trouvé dans une cache ayant abrité Izzat al-Douri que cette opération spectaculaire avait été organisée par le Commandement suprême pour le djihad et la libération, la résistance baasiste qu’il dirige.
Climat de violence
À Ramadi, le 26 décembre 2008, l’évasion d’Imad Farhan, surnommé « Imad Omeya » (le Tueur) est symptomatique du climat de violence régnant dans les prisons irakiennes. À une heure du matin, au retour d’un résistant venant de subir un interrogatoire musclé, un de ses compagnons de cellule, Imad Farhan demanda à se rendre aux toilettes prétextant des nausées. Il y tua le gardien, lui subtilisa son fusil AK-47, ses clés, puis libéra la trentaine d’occupants de sa cellule. L’armurerie fut prise d’assaut. Une bataille s’engagea avec des policiers venus à la rescousse. Elle dura deux heures. On releva seize corps dont celui du directeur de la prison et de six policiers. Imad Farhan s’évada avec deux prisonniers, mais fut abattu le lendemain dans le centre de la ville. Violemment hostile aux Sahwa (Réveil), milices tribales financées par les Américains, formées d’anciens membres d’Al-Qaïda, il avait reconnu une centaine d’assassinats, sous la torture.
Le 25 septembre 2009, à Tikrit, où une aile d’une ancienne résidence de Saddam Hussein tient lieu de prison, seize prisonniers, dont cinq condamnés à mort étiquetés Al-Qaïda, se sont évadés peu avant minuit. La fenêtre de la salle de bain où ils priaient était ouverte et un outil « oublié » leur a permis d’ouvrir l’entrée du système de ventilation. Le directeur de l’établissement et les gardiens – une centaine – ont été arrêtés par la brigade « antiterroriste » provinciale pour interrogatoire. Un couvre-feu a été instauré et une chasse à l’homme lancée, aidée par des hélicoptères américains et des chiens policiers.
S’évader en temps de guerre est un acte de résistance protégé par la 3e Convention de Genève de 1949. Ni les troupes étasuniennes ni les organes répressifs du régime de Bagdad ne la respectent, à ce bémol d’importance près que ces derniers, infiltrés par la résistance ou terrorisés, laissent parfois des prisonniers s’échapper.