Dans les villages palestiniens de Cisjordanie cernés par les colonies juives, la réalité paraît bien éloignée des pourparlers entre Palestiniens et Israéliens aux États-Unis.
Le village d’Asira al-Qibliyeh se trouve sur les collines rocheuses au sud de Naplouse, à quelques kilomètres de la route de terre près de la principale autoroute nord-sud, la 60. À la fin de l’été, les figuiers, les oliviers, les vignes et les géraniums d’un rouge éclatant contre la pierre grise donnent l’impression d’intemporalité et d’harmonie totale. Mais le présent du village, tout comme son passé, est tout autre : directement au centre des douloureuses réalités palestiniennes, ignorées tout au long du processus politique cynique allant d’Oslo à Washington, version Obama, et aux négociations en cours qui se vantent de pouvoir rendre leurs droits aux Palestiniens en un an.
été de douleur
Dans la dernière maison du village, des impacts de balles marquent le mur du dernier étage de la véranda. Des grillages ont été posés sur les fenêtres pour les protéger des jets de pierre. Les enfants de Khadra Abdelk-Karim Ahamad ont vécu toute leur vie dans la terreur de la colonie d’Yitzhar, perché sur le sommet de la colline au-dessus d’eux. La colonie s’étend chaque jour. Une nouvelle maison, visible du village voisin de l’autre côté de la vallée, a été construite à Yitzhar la veille des pourparlers de Washington.
L’été de Khadra a été un été de douleur après l’arrestation, au milieu de la nuit, de son troisième fils, Mohammad, âgé de 16 ans, accusé d’avoir allumé un feu menaçant pour la colonie. Terrifiée en entendant l’avocat dire qu’il y avait des « preuves secrètes » contre Mohammad, Khadra, désespérée, reste allongée sur son lit en essayant, sans succès, de ne pas pleurer face à son mari et ses autres enfants. Mohammad est récemment revenu à la maison, silencieux, transformé. Il est resté vingt-deux jours en détention en Israël et dans des centres d’interrogatoire, dont six en isolement dans une cellule sans fenêtre, éclairée artificiellement en permanence, et menacé de torture à l’électricité s’il n’avouait pas. En réalité, il était en train de passer un examen lorsque le feu a pris. « Il a toujours été un garçon très sociable. Maintenant, il passe des heures seul, le regard perdu, sans rien faire. Il ne mange pas avec nous et passe beaucoup de temps à dormir. Il écoute des chants de prisonniers. Il me brise le cœur. Je ne sais plus quoi faire. »
Un diplomate de l’ambassade américaine est venu avec une armada de gardes du corps et un convoi de voitures pour rendre visite à la famille après avoir lu un article sur ce qui était arrivé à Mohammad. Il a promis de faire un rapport à Washington. Est-ce que cette réalité peut peser sur le discours de la diplomatie ? Mohammad n’est pas le seul dans cette situation. Comme lui, quelque 700 enfants palestiniens en Cisjordanie occupée sont poursuivis par les tribunaux militaires israéliens chaque année. Les rapports de mauvais traitements et de torture son fréquents. Sur cent déclarations sous serment collectées par les avocats en 2009, 69 % mentionnent que les enfants ont été battus, 49 % menacés, 14 % détenus en isolement, 12 % menacés d’agression sexuelle, y compris de viol, et 32 % forcés de signer une confession écrite en hébreu, une langue qu’ils ne comprennent pas.
Khadra se rappelle : les soldats qui ont emmené son enfant, son père avec lui, lui disant de ne pas avoir peur, n’étaient que des jeunes comme Mohammad. On l’a obligée à rester à l’intérieur avec les plus âgés pour que ses pleurs n’affectent pas Mohammad. Une séparation dont elle se souvient avec tant de douleur que ses larmes coulent à nouveau. « Je me maudis de ne pas lui avoir parlé de la prison, de façon à ce qu’il n’avoue jamais des actes qu’il n’a pas commis, regrette-t-elle amèrement. J’ai parlé à mes fils plus âgés mais pas à lui. Je n’avais simplement pas pensé qu’un enfant aussi jeune et innocent serait arrêté. »
Le frère aîné de Mohammad a, lui aussi, connu une expérience effrayante avec l’armée israélienne. Après avoir passé trois ans à l’université Al Najah de Naplouse sur les quatre de son cursus, il a dû abandonner, sa famille ne pouvant plus payer les droits d’inscription. Comme des milliers d’autres, il est passé illégalement en Israël pour travailler. Un employeur israélien-palestinien a sympathisé avec lui, l’a nourri et lui a donné un endroit où rester, avec un salaire de 200 shekels par jour. Au bout d’un mois, il a été arrêté et emprisonné. Les soldats ont essayé de lui faire peur en disant qu’il était fiché « sécurité », puis lui ont offert un permis de travail à condition qu’il accepte de devenir indicateur. Pendant son interrogatoire, il a prétendu avoir traversé la frontière juste par curiosité et qu’il travaillait à ce moment-là dans son village. Il a dit qu’il travaillait dans la carrière d’à côté et gagnait 150 shekels par jour. Ils l’ont laissé partir. Son employeur a réussi à lui envoyer son salaire, il a démarré sa propre affaire en vendant des boissons pour le ramadan dans une petite carriole. Il espère réunir assez d’argent pour repartir à l’université à la fin de l’année.
Derrière la maison de famille, le père, Ibrahim Muhammad Suleiman Makhlouf, montre de son doigt le sommet de la colline, les arbres fruitiers et les oliviers qui avaient appartenu à son père et son grand-père. Ils sont maintenant hors de la propriété à cause des colons qui, aujourd’hui, profitent de la récolte. Avec l’extension de la colonie, des maisons ont été édifiées sur d’autres parties de la propriété, privant la famille de son gagne-pain.
Au cours des ans, le village a été la cible de la violence des colons. Hommes, femmes et enfants armés, accompagnés de chiens, descendent par l’étroite bande de terre du sommet des collines. Yitzhar est connu pour l’extrémisme de ses dirigeants qui ont publié un livre où ils affirment que les « non-juifs » peuvent être tués. L’un d’eux, le rabbin Ytzak Shapira, a été arrêté en début d’année, accusé d’être impliqué dans l’attaque d’une mosquée dans le village de Yasuf. Et s’il n’existe aucune clôture autour de la colonie, c’est parce que, comme ses chefs l’ont déclaré publiquement, la colonie n’a pas de limite.
Pendant notre visite, Makhlouf, un enseignant du village voisin, reçoit plusieurs appels téléphoniques de chefs de village qui le préviennent que de nouvelles maisons sont en train d’être construites sur l’autre flanc de la colline. Là où sa famille possède d’autres terres avec des oliviers et dont l’accès est désormais limité à trois jours pour la récolte. Les colonies ? Un endroit glauque jonché de poussettes abandonnées, de sièges de voitures et de matériel cassé sur des routes vides, avec des ouvriers, dont certains semblent Palestiniens, juchés sur des échelles qui plâtrent et peignent des maisons nouvelles.
Palestine de résistance
Les négociations de Washington ne signifient rien pour ces colons, sinon une incitation à construire toujours plus. Le village affiche son opinion sur les pourparlers en cours. Dans les rues étroites, de nombreuses maisons exhibent le drapeau rouge du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) en l’honneur du 9e anniversaire de l’assassinat, le 27 août 2001, de son secrétaire général, Abu Ali Mustafa, par un tir de roquette israélien sur son bureau à Ramallah. Il avait passé trente-deux ans en exil et, malgré l’opposition de son organisation aux accords d’Oslo, était revenu pour renouer des liens avec Yasser Arafat. C’était alors le plus vieux dirigeant palestinien assassiné par Israël. Au sein du mouvement, on avait pensé, à tort, que sa notoriété et son importance au sein de l’Organisation de libération de la Palestine l’auraient protégé, à un moment d’unité nationale pour un changement potentiel.
À Asira al-Qibliyeh, on est loin de pourparlers qui excluent Gaza et les dirigeants élus du Hamas, le droit de retour des réfugiés et le démantèlement des colonies. Les drapeaux rouges et les murs du village couverts de portraits de martyrs sont là pour rappeler une Palestine d’idéaux de résistance qui n’a pas disparu avec Abu Ali Mustafa.