Évacué en août 2005, le bloc de colonies israéliennes du Goush Kativ abritait 8 000 colons sur un territoire représentant 30 % de la bande de Gaza. On parle peu – et mal – de la façon dont ces terres sont maintenant exploitées. Christophe Oberlin, lui, y a vu bien des choses encourageantes.
Lorsque je me suis rendu pour la première fois dans les anciennes colonies du Goush Kativ après leur évacuation, à l’hiver 2005-2006, le territoire n’était qu’un immense amoncellement de gravats dont la hauteur ne dépassait guère un mètre cinquante. Seuls quelques rubans de bitume persistaient çà et là, ainsi qu’une synagogue, à l’évidence laissée intacte pour permettre à quelques shebabs d’y mettre le feu et à Israël de diffuser au monde entier de belles images sur le thème « regardez ce qu’ils font de nos lieux de culte ».
Imposé en février 2006, dès le succès électoral du Hamas aux élections parlementaires, le blocus de Gaza stoppa instantanément l’exportation de produits agricoles vers Israël, avec les conséquences que l’on sait sur les centaines de serres dont l’Union européenne avait exigé qu’elles soient préservées.
Cher Karim, retourne dans les ex-colonies
On parle peu dans nos médias du devenir actuel de ces territoires. Un journaliste français, Karim Lebhour, en poste à Jérusalem a publié récemment un livre (1) dont un chapitre, rédigé fin 2008, est consacré au devenir des colonies sous le titre : le ministère des « terres libérées ». Qu’y lit-on ?
« Les colons avaient laissé des centaines d’hectares de terres agricoles. Les groupes armés et les clans ont fait main basse sur le matériel. […] Tous les projets de développement sont restés dans les cartons. Les logements, le village touristique, le complexe sportif n’ont jamais vu le jour. […] Certains concluront que les Palestiniens ont perdu une opportunité de prouver leur capacité au développement économique. […] Au “département des terres libérées”, tout le monde ou presque porte la barbe. » L’auteur fait aussi parler un économiste gazaoui qui ajoute : « Beaucoup d’investisseurs arabes étaient prêts à nous aider pour prouver que nous pouvions faire aussi bien que les Israéliens. Nous avons gâché cette opportunité. »
Cher Karim Lebhour, il est urgent que tu te rendes à nouveau dans les anciennes colonies.
Tu y verras que 55 000 logements, une ville entière, ont été construits. Certes, seuls 10 % sont habités : l’électricité, la plomberie ne sont généralement pas terminées, pour cause de blocus. Il faut dire aussi que les premières minutes du bombardement de l’hiver 2008-2009 ont été consacrées aux anciennes colonies. Les dix premiers morts de Khan Younis étaient des agriculteurs qui travaillaient dans les champs. Ces bombardements ont endommagé sévèrement 5 000 logements neufs et détruit 700 entreprises artisanales. Mais quatre annexes universitaires nouvelles sont néanmoins terminées et accueillent déjà 10 000 étudiants. Vingt stations de forage pour l’irrigation ont été créées, 400 000 arbres plantés l’an dernier, et autant sur les six premiers mois de 2010. Viens les compter !
Tu verras aussi d’immenses pépinières. Tu pourras contempler les centaines de nouvelles serres, constater en interrogeant les marchands de fruits et légumes que la totalité des besoins de Gaza en melons et pastèques (23 000 tonnes par an), raisins de table (3 000 tonnes) sont couverts ; que les besoins d’oignons (16 000 tonnes par an) le sont presque : 2 000 tonnes seulement ont été importées cette année. Tu verras aussi les entreprises de pisciculture, les bassins d’épandage des eaux usées de Khan Younis qui couvrent plus de dix hectares. Tu réfléchiras au difficile problème de la production des dérivés du lait (lait en poudre, fromage), dès lors que les machines nécessaires à cette production doivent passer par les tunnels (que tu qualifies de « contrebande »). Tu pourras jouer au foot au complexe sportif, et aussi, avec ta compétence, aider de jeunes Palestiniens à s’initier aux professions médiatiques à la cité des médias que tu brocardes.
Viens aussi discuter avec le ministre de l’Économie, Ziad el-Zaza : tu constateras que, bien que discrètement barbu, il n’a pas trouvé ses diplômes dans une pochette-surprise ! Tu pourras évoquer avec lui le développement futur de ces territoires. Au fond un fantastique projet économique et écologique : comment tirer au mieux parti d’un nouveau territoire, alors que la bande de Gaza, de la surface de l’île de Ré en France, avec son million et demi d’habitants, est soumise à un blocus ? Difficile équation qui pousse l’homme à développer ses meilleures capacités d’intelligence et d’innovation. Quelque 400 000 tonnes de gravats ont déjà été retraitées à la suite de la guerre de l’hiver 2008-2009, ce qui correspond à 70 % des destructions. Le fer à béton est récupéré. Le concassage des blocs permet de produire divers graviers qui sont réutilisés pour les constructions. Non pas pour « boucher les nids de poule » comme tu l’indiques, mais pour faire du « biscuit », terme technique qui désigne le soubassement des routes qu’il suffit alors de couvrir d’une bande de bitume. Mais point de bitume. On fabrique alors des « pavés imbriqués », toujours à base de récupération, pour couvrir les routes et rues.
écris maintenant un bon article, Karim.
Comment récupérer le produit des bassins d’épandage pour la fertilisation des sols ? Comment répondre aux demandes de nouveaux logements (36 000 mariages l’an dernier à Gaza) ? Trente-six pour cent de la surface des colonies sera consacrée au logement (avec la classique répartition : un tiers de bâtiments de cinq à huit étages, un tiers de trois étages, et un tiers de terrains pour maisons individuelles). Vingt-cinq pour cent de la surface est prévue pour les routes et jardins, et les 30 % restants sont dévolus à l’agriculture. Qu’en penses-tu ? Enfin tu évoqueras sans doute la construction sur le territoire d’un hôpital universitaire, complément indispensable de la faculté de médecine qui va diplômer d’ici à deux ans ses premiers médecins entièrement formés à Gaza.
De quoi écrire un très bon article, mon cher Karim.
(1) Jours tranquilles à Gaza, Karim Lebhour, Riveneuve Éditions, 2010.