Les démocrates donneront-ils les Chrétiens à manger aux Islamistes?
Le constat est indiscutable. Il est aussi paradoxal et dérangeant. La liberté des Chrétiens arabes et leur sécurité étaient mieux assurées du temps des dictateurs. Ceux-ci faisaient, de toute évidence, peur aux Islamistes et empêchaient des débordements religieux et des tentations d’épuration confessionnelle.??Les Chrétiens arabes sont plus inquiets et menacés que jamais. Ils sont même nombreux à penser que le pire est à venir. Les démocrates arabes de l’Internet et la gauche laïque n’hésiteraient pas, selon eux, à les donner en pâture aux Islamistes pour éviter d’en devenir, eux-mêmes, la proie.??Pour de nombreux Arabes, les « Roumis » sont des chrétiens qui font la guerre à l’Islam en Afghanistan ou aux côtés d’Israël. La vision arabe de la chrétienté n’a rien à voir avec l’image qu’en donne nos politiques et nos médias.??Le Patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies a, très judicieusement, mis en garde l'Europe contre toute ingérence superflue dans les problèmes du monde arabe. « Il faut absolument empêcher que l'Europe soit perçue comme un agresseur par le monde arabe. Bien que l'Europe, aujourd'hui, soit athée et ne s'identifie pas au christianisme, elle est, aux yeux de la population musulmane, profondément religieuse, constituée de Chrétiens. C'est pourquoi, nombreux sont ceux qui interprètent l'ingérence européenne, non seulement politique mais aussi militaire, dans la résolution de l'ensemble des problèmes arabes, comme une forme de lutte des Chrétiens contre l'Islam".??
Les Chrétiens prêchent dans le désert
Cette approche n’a jamais été prise en compte par les «Atlantistes », qui pensent que leur discours de libération démocratique est le seul valable et qui, de plus, se moquent éperdument du sort des Chrétiens d’Orient. L’avertissement du patriarche de Moscou été relayé, en France, dans une indifférence totale, par le patriarche Béchara Raï, nouveau chef de l’Eglise maronite.??Auprès du président Sarkozy, du Premier ministre, François Fillon, il a exprimé des craintes quant au sort des Chrétiens dans les pays dont les régimes ont été renversés, comme en Irak et en Égypte, ou dans les pays en proie à des soulèvements populaires, comme la Syrie. «L’action de la communauté internationale, que ce soit au niveau des Etats ou du Conseil de sécurité, devrait tenir compte de ce paramètre. Nous redoutons deux éléments: une guerre civile en Syrie, ou l’avènement d’un régime radical, ainsi que le démembrement du monde arabe en mini-Etats confessionnels».??Le patriarche épouse, en fait, le discours du gouvernement libanais, qui craint les conséquences de l’instabilité à ses frontières. «Qu’est-ce qui se passera en Syrie? La communauté internationale et la France doivent réfléchir à l’avenir. (…) Est-ce qu’il y aura une guerre sunnito-alaouite dans ce pays? Ce serait un génocide et non pas une démocratie ou des réformes». Dans ses prises de position, le Patriarche Raï était en harmonie avec celles du Patriarche grec orthodoxe, Ignace IV Hazim, et du Patriarche grec-catholique, Grégoire III Laham.??Il s’est interrogé sur le genre de démocratie que les puissances occidentales privilégient en Orient. « De quelle démocratie s’agit-il en Irak, à la lumière de l’exode massif des Chrétiens de ce pays?». Le chef de l’Église maronite a manifesté sa crainte que le processus entamé pour renverser le régime syrien -dont il n’a pas caché les vices- ne mène à un exode massif des Chrétiens et à une guerre civile aux conséquences désastreuses pour toute la région.??Pour Rami Khouri, analyste basé à Beyrouth, la chute de Kadhafi «montre qu’il y a différents moyens de faire tomber les régimes arabes (…) Une fois que le mouvement est lancé et que la bonne combinaison est là -volonté populaire de changement et soutien régional et international- aucun régime ne peut résister. En Syrie cette combinaison entre un soulèvement populaire et un soutien régional et international existe. Ces régimes autoritaires, aussi forts soient-ils, finissent par chuter», prédit-il. Pour lui, la révolte de la majorité chiite à Bahreïn, petit royaume dirigé par une dynastie sunnite, n’a pas abouti, car elle n’était pas soutenue à l’étranger.??
Le mauvais exemple égyptien
Au début du mois d’octobre au Caire, 17 coptes ont été tués par balles ou écrasés par des véhicules de l’armée, et enterrés le lendemain, dans la fièvre, à la cathédrale copte de la capitale égyptienne. Ils manifestaient pacifiquement contre l’incendie d’une église, près d’Assouan, et pour le respect de leurs droits, menacés par la poussée des salafistes, ces extrémistes musulmans apparus sur la scène politique à la faveur de la révolution. ??Mais la répression brutale de l’armée, qui ne veut plus tolérer la moindre manifestation avant les élections de la fin novembre, a abouti à des affrontements qui, au total, ont fait 25 morts et 329 blessés. Ce sont les « baltagui », ces hommes de main infiltrés dans toutes les manifestations, qui auraient provoqué les forces de l’ordre. La minorité chrétienne d’Egypte –de 8 à 10 millions– ne s’estime plus protégée par un pouvoir militaire, incapable de tenir le pays et de contrôler l’avancée des forces islamistes dans un contexte post-révolutionnaire.??Jamais, l’Egypte d’après-Moubarak n’avait connu une telle tragédie, même si l’escalade des violences anti-chrétiennes n’a pas cessé depuis un an. Le 1er janvier, à Alexandrie, un attentat avait fait 23 morts, à la sortie d’une église copte qui venait de célébrer la messe du Nouvel an. Des églises ont été attaquées à Sol, dans le quartier de Mokattam au Caire, puis à Imbaba, où des musulmans radicaux voulaient «délivrer» une jeune chrétienne, prétendument convertie à l’islam. Quatorze personnes ont été tuées. ??A Qena, en Haute-Egypte, le seul gouverneur copte du pays a été la victime d’incessantes pressions et manifestations musulmanes et mis à l’écart par les autorités du Caire, qui ont fini par céder. Début octobre, l’église Saint-George, à Merinab près d’Assouan, qui venait d’être rénovée avec toutes les autorisations requises, a été prise d’assaut. C’est une manifestation de solidarité pour ce village, qui a dégénéré en carnage, le dimanche 9 octobre, au Caire. ??«Encouragés par le laxisme des autorités », déplore l’association « Egyptiens contre la discrimination religieuse », les salafistes redoublent de violence dans leurs discours de haine contre les chrétiens. Ils les traitent de dhimmis, vont jusqu’à exiger, au nom du Coran, qu’ils paient l’impôt autrefois exigé des non-musulmans.»?
Tous les gouvernements complices des Islamistes
L’avenir des minorités chrétiennes, dans un monde arabe soulevé par les promesses de la révolution et de la démocratie, devrait faire parti du « devoir d’ingérence » pour la protection des populations civiles. Les Chrétiens des pays arabes payent le crime d’être en trop sur l’échiquier de la région. Ils compliquent tout et leur poids n’est plus suffisant pour compter. Ce sont des gêneurs??Il existe sept Églises orientales reconnaissant l’autorité papale : le Patriarcat latin de Jérusalem, l’Église catholique syriaque, l’Église maronite, l’Église catholique chaldéenne, l’Église grecque-catholique melkite, l’Église catholique arménienne, l’Église catholique copte. Les maronites sont les plus nombreux, avec 3 millions de fidèles.??Selon l’Union égyptienne des droits de l’homme, 100.000 coptes auraient quitté le pays depuis le mois de mars, émigrant aux Etats-Unis et au Canada, en Europe (20.000), en Australie. Cette menace, qui pèse sur la minorité chrétienne la plus nombreuse et la plus influente du Moyen-Orient, s’ajoute à la longue liste des épreuves déjà subies par les Eglises locales -dont l‘origine remonte aux premiers siècles et est donc bien antérieure à l’islam– dans tout le monde arabe.??En Irak, depuis l’invasion anglo-américaine de 2003, le pays s’est vidé de ses Chrétiens, pris pour cibles par des groupes islamistes et totalement marginalisés par les nouvelles autorités. Au moins 400.000 d’entre eux ont trouvé refuge en Occident ou campent dans des banlieues d’Alep ou de Damas, en Syrie.??Les Chrétiens arabes doivent le savoir. Ils seront abandonnés aux Islamistes, comme les nationalistes hongrois l’ont été face aux Soviétiques, en 1956. Ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et rien espérer de révolutions qui ont fait céder les barrages anti-islamistes sans, pour le moment, irriguer une éventuelle démocratie.
19/11/2011