Quand les Etats-Unis et la France se couchent devant Netanyahou
"Je ne peux plus le voir, c’est un menteur" a confié Sarkozy à Obama. Cette confidence confirme la dégradation des relations entre le président français et le chef du gouvernement israélien.
Au cours des derniers mois, Nicolas Sarkozy a manifesté à de nombreuses reprises son animosité à l’encontre du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou devant des ministres, des collaborateurs ou des visiteurs tenus à la discrétion. Jeudi dernier, quelques instants avant la conférence de presse qu’il devait tenir à Cannes avec Barack Obama, il a confié au président des Etats-Unis : "je ne peux plus le voir, c’est un menteur". A quoi Barack Obama a répondu "Tu en as marre de lui, mais moi, je dois traiter avec lui tous les jours". Et la confidence de Nicolas Sarkozy, cette fois n’en est pas restée une. Les journalistes qui s’apprêtaient à assister à la conférence de presse avaient en effet déjà reçu les boitiers et les écouteurs permettant d’entendre la traduction des propos des deux chefs d’Etat, et ces boitiers étaient déjà activés.
Plusieurs d’entre eux – ils l’ont confirmé à l’AFP – ont donc entendu l’échange à huis clos entre les deux présidents. Selon le correspondant de la radio publique israélienne, Gideon Kutz, qui couvrait le sommet de Cannes, ceux de ses collègues qui avaient entendu la conversation sont convenus de ne pas en faire état "par correction et pour ne pas embarrasser le service de presse" de l’Elysée. Le site internet "Arrêt sur images", qui n’a pas le même souci de préserver ses relations avec le service de presse de l’Elysée, a publié lundi le contenu de cette brève mais éclairante conversation secrète.
"Jérusalem capitale de deux Etats"
L’essentiel de griefs nourris depuis quelques mois par Sarkozy contre Netanyahou repose apparemment sur l’ingratitude dont le président français estime être victime de la part du premier ministre d’Israël. Arrivé à l’Elysée en se présentant comme un ami d’Israël – disposition qu’il a encore rappelée lors de son discours à l’ONU, fin septembre – Nicolas Sarkozy estimait mériter confiance et égards du gouvernement et des dirigeants israéliens, même s’il avait plaidé, lors de sa visite en Israël, en juin 2008, en faveur de "Jérusalem capitale de deux Etats", en contradiction ouverte avec la conception israélienne : "Jerusalem capitale unifiée et éternelle de l’Etat d’Israël".
En multipliant les gestes amicaux en direction d’Israël – soutien à la candidature à l’OCDE, appui au développement des relations économiques avec l’Union européenne – Nicolas Sarkozy et ses conseillers estimaient avoir démontré la sincérité de l’engagement de la France aux côtés de l’état juif.
Ovation
Ils estimaient qu’au nom même de cette amitié, ils étaient fondés à chercher, comme d’autres, avec d’autres, dans le cadre du Quartette (Etats-Unis, Nations Unies, Russie, Union européenne) ou non, une solution pour renouer les négociations entre Israël et les Palestiniens.
En tentant, devant l’Assemblée générale de l’ONU, de convaincre Mahmoud Abbas de retirer la candidature de la Palestine, puis en proposant une nouvelle forme de dialogue, "sans conditions, ni préalables" Nicolas Sarkozy estimait sans doute avoir défini une voie médiane, entre l’alignement pur et simple sur les positions israéliennes – adopté par Barack Obama et le soutien inconditionnel à la stratégie palestinienne, choisi par nombre d’Etats membres – à en juger par l’ovation recueillie par le président palestinien.
Isolement croissant d’Israël
Comme ce fut souvent le cas précédemment, à la déception, voire à la colère des administrations américaines successives, cette invitation à reprendre le dialogue a été accueillie, du côté israélien, par une fin de non recevoir. Confirmée, quelques jours plus tard, par l’annonce de la construction de nouveaux logements dans des colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.
Est-ce la contradiction entre le discours officiel israélien – nous sommes disposés à négocier et prêts à accepter la naissance d’un Etat palestinien – et les faits accomplis sur le terrain, empêchant tout dialogue, qui explique l’accusation de Sarkozy : "C’est un menteur" ? Ou un jugement sur un engagement spécifique pris devant lui et non tenu ? Mystère. Ni l’Elysée ni le bureau du premier ministre israélien n’ont réagi, pour l’instant à cette révélation. Révélation qui confirme cependant l’isolement croissant d’Israël, déploré par une partie de la classe politique et de la presse.
Les réactions à cette fuite n’ont pas tardé à venir. Ainsi la Maison Blanche sans démentir ces propos a essayé de temporiser afin d’éviter tout incident diplomatique avec Israël, particulièrement dans cette année électorale où le vote du lobby juif compte.
C'est le conseiller adjoint de sécurité nationale américain, Ben Rhodes, qui s'est chargé d'arrondir les angles. Barack Obama "travaille dans une grande proximité avec le premier ministre Nétanyahou. Ils se parlent très régulièrement", a-t-il déclaré mercredi 9 novembre.
"Je pense que le président Obama a passé plus de temps en tête à tête avec lui qu'avec aucun autre dirigeant. C'est lié au fait que les Etats-Unis et Israël ont des rapports très proches sur les questions de sécurité et sur les valeurs", a-t-il ajouté.
M. Rhodes a également souligné que Barack Obama avait passé beaucoup de temps lors du sommet du G20 à promouvoir la position américaine, qui s'oppose aux tentatives des Palestiniens d'obtenir la reconnaissance d'un Etat auprès de plusieurs organisations internationales.
Comme on pouvait s’y attendre, cette « fuite » a nourri des critiques aux Etats-Unis, de la part notamment du favori des sondages pour l'investiture républicaine à la présidentielle Mitt Romney. "A l'heure où l'Etat juif est isolé et menacé, il ne faut pas un président américain qui traite avec dédain les liens privilégiés qui nous unissent à Israël", a déclaré M. Romney.
De son côté leministre des Affaires étrangères Alain Juppé, tout en qualifiant cette fuite d’ « opération de piratage », n’a pas démenti ces propos. «Je n'ai pas de commentaire à faire sur cette opération de piratage sur les ondes», a déclaré le ministre à RFI.
Interrogé pour savoir si Benjamin Netanyahou était un interlocuteur difficile, Alain Juppé a répondu: «Il défend sa vision des choses, qui n'est pas la nôtre aujourd'hui parce que nous sommes dans l'impasse».
René Backmann (Nouvel Observateur) et agences