« Alliance de la carpe et du lapin » ou vraie réforme?
Nous avions, voici un mois, signalé la naissance du premier parti d’opposition légale syrien, le Parti démocrate social de Samira al-Massalma et Akram Khouzam, né de la décision du président syrien d’autoriser un multipartisme élargi à l’opposition. Cette réforme historique, officiellement entrée en vigueur le 4 août, vient de susciter la création, mardi 13 septembre, d’une nouvelle formation, le « Courant pour l’édification de l’Etat syrien ». C’est au cours d’une conférence de presse tenue à Damas que ses fondateurs ont présenté le nouveau parti. Un de ses orateurs, Louay Husssein, a d’emblée affirmé que le « Courant » était ancré résolument dans l’opposition : « Le gouvernement, a-t-il déclaré, n’a pas réussi à calmer la protestation populaire et à proposer le moindre programme susceptible de sortir le pays de la violence ». C’est pourquoi le nouveau parti se propose d’éliminer tous les obstacles empêchant la « transformation » du dit pays.
Pour réaliser ce vaste programme, le Courant pour l’édification de l’Etat syrien va s’attacher à créer une « sphère politique permettant à tous de s’impliquer dans la vie politique, surtout les jeunes. » Et – un peu plus – concrètement, il jettera les bases d’un Etat démocratique qui « préserverait les droits et les libertés de tous les citoyens syriens, sans considération de leurs croyances religieuses, de leurs positions politiques et de leurs références culturelles ». De quoi faire de ce parti une « auberge espagnole » à la syrienne, car enfin cette pétition de principe pourrait être reprise par tous les courants politiques syriens officiels ou exilés – Frères musulmans exceptés, sans doute…
On est un peu moins dans le flou en ce qui concerne la position vis-à-vis des relations internationales : le porte-parole du CEES a catégoriquement rejeté toute intervention militaire étrangère, à laquelle « personne en Syrie n’a intérêt ». Même si, selon, une autre dirigeante du parti, Mona Ghanem, tarder à trouver une solution politique à la crise augmente les possibilités d’une telle intervention étrangère, « sous diverses formes ».
L’opposant et l’apparatchik
On aura plus d’informations concrètes sur le positionnement de cette formation en se penchant sur le profil de ses parrains : Louay Hussein n’est certes pas un opposant fabriqué par le régime pour les besoins de sa cause : il a été emprisonné sous Hafez al-Assad, de 1984 à 1991 et jouit d’une certaine notoriété en Syrie. Il était du reste l’un des 200 congressistes de l’hôtel Sheraton de Damas, réunis le 27 juin pour ce qui était la première manifestation publique de l’opposition intérieure et réformiste syrienne, manifestation du reste autorisée par le pouvoir. M. Hussein avait d’ailleurs à cette occasion stigmatisé le régime, décrit par lui comme « tyrannique » – mais qui lui permet tout de même, à présent, de créer son parti et de le présenter à la presse internationale.
Mona Ghanem, quant à elle, vient plutôt des sphères dirigeantes puisqu’elle était naguère présidente de la « Commission syrienne pour les affaires familiales ». C’est à ce titre qu’elle avait collaboré, fin 2007, à un programme financé par l’Union européenne et destiné à renforcer le « rôle des femmes dans la vie économique ». Et en 2006, elle vantait les progrès réalisés par la Syrie dans le domaine des droits et progrès de la condition féminine. C’est donc, a priori, une opposante moins farouche que son camarade de parti Louay Hussein à Bachar.
Un autre des « pères fondateurs » de la nouvelle formation, Hassan Kamel, animait en 2007, en tant que journaliste, un « centre syrien pour les médias et la liberté d’expression« , ce qui lui a notamment valu d’être arrêté quelques jours début 2008.
Alors, « alliance de la carpe et du lapin » ? Ou tentative d’incarner concrètement le dialogue et la réconciliation nationale sur fond de réformisme responsable et patriotique, comme les congressistes du Sheraton en avaient publiquement exprimé le souhait ? On verra bien. De même qu’il faudra voir comment le Courant pour l’Edification de l’Etat syrien s’impliquera effectivement dans la vie politique syrienne à venir : quelles seront ses alliances, s’associera-t-il par exemple avec d’autres partis de la coalition au pouvoir, ou même à certains secteurs du Baas ? Ou bien fera-t-il front commun, aux prochaines législatives, avec d’autres formations de l’opposition réformiste ? Et quelle est sa position vis-à-vis de l’actuel président qui est quand même, objectivement, celui qui a rendu tout d’un coup toutes ces questions d’actualité ?
Oui beaucoup de questions. Et peut-être un élément – vague mais optimiste – de réponse avec ces propos de Mona Ghanem, pour qui la meilleure solution pour la Syrie consisterait à « s’engager dans un dialogue réunissant toutes les parties en conflit ». Sans doute…