Un embargo pénalise toujours la population qu’on prétend aider !
Selon l’économiste syrien Samir Aïta, directeur du Monde diplomatique en langue arabe, « Jamais des sanctions économiques, et l’expérience de l’Irak le prouve, n’a amené une chute du régime, comme le déclarent les intentions de l’administration américaine. »
Samir Aita, qui se positionne comme opposant, rappelle notamment que la Syrie est déjà sous le coup de sanctions économiques américaines, adoptées en 2003 au motif que Damas financerait le « terrorisme », et que celles-ci n’ont pas vraiment affaibli le régime de Bachar al-Assad.
En revanche, de nouvelles mesures de rétorsion telles que l’embargo sur des matières premières ou la technologie, la rupture de contrats commerciaux et le gel des avoirs syriens à l’étranger – le Canada vient de le faire – auront sûrement, affirme Aita, des répercussions sur le niveau de vie de la population syrienne.
Sanctions = contrebande & chômage
Samir Aita rappelle que la Syrie connaît depuis des années de graves problèmes de maintenance de sa flotte aérienne civile, du fait de l’embargo américain qui empêche le constructeur Airbus de fournir des pièces détachées d’origine américaine aux Syrian Arab Airlines – et c’est encore plus vrai, évidemment, pour les quelques Boeing que possède la compagnie. Mêmes difficultés pour importer des ordinateurs modernes.
Difficultés qui sont cependant contournées, comme toujours, par les voies de la contrebande : celle-ci se faisant avec les pays voisins, et générant des profits qui vont d’avantage à des notables du régime qu’au Syrien moyen. Davantage de sanctions impliqueraient, selon Samir Aita, davantage de contrebande et donc davantage de bénéfices pour les caciques du régime.
En conséquence, M. Aita qui est, on l’aura deviné, un opposant au dit régime, recommande des sanctions ciblées sur des « personnalités particulières » et non sur l’ensemble de l’économie du pays. Si ça peut le rassurer, la seule Union européenne a adopté depuis mai pas moins de cinq trains de sanctions visant les avoirs du président syrien et d’une trentaine de ses proches, par ailleurs interdits de visa en Europe, et frappant aussi des sociétés immobilières ou des fonds d’investissement à capitaux syriens.
Les analystes économistes de l’AFP arrivent à la même conclusion : les sanctions économiques touchent la population, pas le régime.
Sous le titre : « l’économie syrienne touchée mais pas coulée », l’AFP écrit, se fondant sur des analystes, des hommes d’affaires et des experts, que « l’économie syrienne, éprouvée par cinq mois de révolte, risque de connaître une sérieuse dégradation au début de l'année mais «ce n'est pas l'économie qui fera tomber le régime», estiment des experts et hommes d'affaires. »
«Durant les trois premiers mois de la contestation tout s'est arrêté car les consommateurs étaient tétanisés mais depuis juin l'activité économique a repris avec toutefois une baisse de 40% par rapport à l'an dernier», affirme le dirigeant d'entreprise Abdul Ghani Attar, 32 ans.
«Pour le moment, le secteur privé, qui représente 70% du PIB, résiste mais si au début de l'an prochain la situation ne s'améliore pas, l'économie souffrira vraiment. Il risque d'y avoir des licenciements», prédit M. Attar, vice-président d'Attar Group, présent dans le secteur de l'hôtellerie, les produits pharmaceutiques, le matériel de bureau, les assurances et les banques.
Tous les indicateurs sont au rouge. La croissance sera négative d'au moins 3% en 2011, selon l'Institute of international finance (IIF) basé à Washington. Le tourisme, qui a représenté en 2010 12% du PIB avec des recettes de 6,5 milliards de dollars, est en en berne, et les projets d'investisements ont baissé de 47,84% au premier semestre 2011 par rapport à la même période 2010, selon les chiffres officiels.
La Bourse a plongé de 40%
Faisant sien le proverbe syrien «garde tes sous blancs pour les moments sombres», la population «qui a peur de l'inconnu» n'achète que des produits de première nécessité, constate Naji Chaoui, un autre homme d'affaires.
Le chiffre d'affaires de son groupe, implanté dans l'alimentation, la pharmacie, les détergents, le papier et la banque, s'est contracté de 5% à 10%. «Jusqu'à présent, le secteur économique se maintient mais si la crise continue plus de six mois il y aura des problèmes», estime-t-il.
La Bourse a plongé de 40% et la consommation, moteur de la croissance, est étique. Les magasins de vêtements ou d'électronique sont vides. Les importations ont baissé de 50% et la Syrie a importé 2.000 voitures en mai contre 20.000 en mars.
En revanche, les matériaux de construction connaissent un boom car, comme la police est occupée ailleurs, les constructions sauvages foisonnent. Pour les mêmes raisons, les vendeurs ambulants, qui ne sont plus traqués, ont envahi les rues de la capitale.
Prêts supposés de l'Iran
Pour le moment la monnaie résiste: la livre syrienne (LS) n'a perdu que 8 % depuis la mi-mars face au dollar. Le gouverneur de la Banque Centrale Adib Mayyalheh, qui a pris de nouvelles mesures pour limiter la fuite de devises, assure posséder toujours des réserves de 17 milliards de dollars.
En réalité, «elles sont certainement plus basses», affirme Jihad Yazigi, rédacteur en chef de la lettre économique Syria Report. Il estime que le gouvernement a commencé à «utiliser les sommes allouées à l'investissement pour les dépenses courantes, notamment les salaires et les frais généraux». Le budget 2011 se monte à 16,7 milliards de dollars, dont 43,4% pour les investissements.
Selon M. Chaoui, le gouverneur lui a confié «avoir, durant les beaux jours, constitué un matelas de 5 milliards d'USD pour protéger la LS, et n'avoir jusqu'à présent injecté que 2 milliards pour la soutenir».
Poids du pétrole
Un diplomate européen assure que l'Iran aurait prêté six milliards de dollars à Damas, tout en reconnaissant n'en n'avoir pas la preuve. «La situation s'est dégradée mais n'est pas désespérée. Le régime peut tenir à cette cadence pendant très longtemps. En tout cas, s'il doit faire des arbitrages, les forces de répression seront les dernières à être touchées», explique Lahcen Achy, spécialiste de la Syrie.
Pour ce chercheur au Carnegie Middle East Center à Beyrouth, ce n'est pas l'économie qui fera tomber le régime ou alors il faut être très patient. L'expérience montre que ces régimes peuvent tenir sous embargo grâce à la contrebande et des transferts d'argent du Liban ou de la Turquie».
M. Chaoui partage cette opinion. «On peut toujours s'adapter. Regardez l'Irak dans le temps. Les sanctions ça fait plaisir aux médias, cela ruine le peuple mais jamais un régime». Cependant, si un embargo européen sur le pétrole syrien peut faire mal car 95% du pétrole exporté est destiné à l'Europe, la Syrie se tournera vers d'autres pays notamment l'Asie et l'Europe de l'est, confie M. Yazigi.
(Avec les agences)