Tous les pays limitrophes laisseront des plumes
Pour le Liban, selon Ibrahim Saif, du Carnegie Middle East Center, un impact notamment sur le tourisme et le coût de la main d’œuvre.
Si d’aucuns s’inquiètent des répercussions géopolitiques de la crise syrienne, cette dernière devrait également avoir des répercussions économiques, notamment sur les voisins de la Syrie, la Turquie, le Liban, l’Irak et la Jordanie, note Ibrahim Saif, du Carnegie Middle East Center.
En la matière, la Turquie est en première ligne, puisque le volume global des exportations et importations avec la Syrie a été évalué à 2,27 milliards de dollars l’an dernier. La situation en Syrie peut entraîner une chute importante en volume du commerce bilatéral, note M. Saif, qui souligne que selon certaines sources, une chute de 30 à 40 % est déjà rapportée. Ankara est également l’un des principaux investisseurs étrangers en Syrie. « Cependant, le sort de ces investissements dans différents secteurs comme l’industrie légère et la construction n’est pas clair », note l’analyste, qui souligne également que des projets communs, notamment dans le secteur de l’eau, sont repoussés.
« Le deuxième pays lié à la Syrie par un réseau complexe de relations est le Liban », note l’analyste. Entre les deux pays, des relations commerciales officielles estimées à 1,3 milliard de dollars l’année dernière, mais également « des mouvements migratoires en matière de travail qui, jusqu'à récemment, étaient continus entre les deux pays ». « Cette main d’œuvre, dont une partie s’est installée au Liban, est qualifiée et relativement bon marché au regard des standards libanais, surtout dans le secteur du bâtiment et de certains services. Maintenant que les mouvements sont difficiles, on projette que le coût de la main d’œuvre au Liban va augmenter car il sera compliqué de créer une alternative locale aux travailleurs syriens. En ce qui concerne les exportations libanaises vers la Syrie, l’impact sera moindre car la balance du commerce entre les deux pays est largement en faveur de la Syrie », note M. Saif.
L’analyste relève que les relations entre les deux pays ont également une autre dimension : « Le secteur financier libanais est largement utilisé par les hommes d’affaires et les commerçants syriens. Les banques libanaises sont considérées comme des havres sécurisés pour l’épargne et elles concluent de nombreuses opérations de crédit pour l’exportation et autres. Même si ces transactions devraient décliner, les dépôts syriens dans les banques libanaises ne devraient pas diminuer, et devraient même augmenter à cause de l’instabilité en Syrie ».
La crise syrienne devrait, également, avoir un impact négatif sur le tourisme au Liban, notamment en raison du fait que les touristes en provenance des pays du Golfe traversent généralement la Syrie en voiture. « A l’heure de la rédaction de cet article, les chiffres du tourisme au Liban étaient toujours bien inférieurs à leur niveau de l’an dernier», note Ibrahim Saif.
Première destination des exportations syriennes (18 % du total des exportations syriennes, soit 2,5 milliards de dollars), l’Irak est un autre partenaire commercial important de la Syrie.
Les exportations syriennes concernent principalement les produits agricoles et des marchandises de l’industrie légère, ainsi que des biens produits et consommés dans la région frontalière généralement pour un prix bas et une qualité acceptable. Or « le commerce a notablement diminué ces derniers mois », ce qui, en l’absence d’alternative, devrait entraîner une hausse des coûts pour les consommateurs irakiens. « En ce qui concerne les exportations irakiennes à destination de la Syrie, elles ne devraient pas diminuer de façon importante car elles concernent l’énergie, qui est considérée comme essentielle », note M. Saif.
Le quatrième pays ayant des liens étroits avec la Syrie est la Jordanie, liée par de nombreux accords bilatéraux à son voisin. « Par exemple, il existe un accord régulant le commerce de ciment jordanien en échange de blé syrien », souligne l’analyste. Un accord qui a permis « au Trésor jordanien d’économiser des dizaines de millions de dollars ».
Entre la Jordanie et la Syrie, l’activité transfrontalière est plus ou moins totalement arrêtée. Or « il est bien connu que les villes du Nord de la Jordanie, Ramtha et Irbid, subsistent en grande partie grâce aux activités liées au transport ainsi qu’à la vente et à l’achat de produits de consommation ». Par ailleurs, note l’analyste, « beaucoup de commerçants jordaniens dépendent du port de Lattaquié pour importer leurs biens, plus particulièrement en provenance de l’Europe ». Importer par le port de Lattaquié est meilleur marché que via le port d’Aqaba. Or l’activité à Lattaquié est suspendue.
« Des responsables ne cachent pas leur inquiétude au sujet de l’avenir de certains projets communs, comme l’accord sur l’électricité en vertu duquel la Syrie devait fournir à certaines régions jordaniennes frontalières de l’électricité, et le projet de gaz arabe qui relie l’Egypte à la Syrie et au Liban via la Jordanie. Bien que ces lignes n’aient pas été attaquées, la peur que les infrastructures puissent être des cibles a soulevé des questions sur l’avenir de différents projets communs dans le secteur de l’énergie, qui avaient été étudiés lors de sommets entre les commissions des pays partenaires », indique Ibrahim Saif.
Selon l’analyste, d’autres grands partenaires commerciaux de la Syrie, comme la Russie et l’Iran, voire même, dans une certaine mesure, l’Union européenne devraient ressentir aussi un certain impact du fait du soulèvement populaire. « Tous ces acteurs sont étroitement liés à la Syrie, via des prêts et des accords militaires en ce qui concerne la Russie, des relations bilatérales étroites en ce qui concerne l’Iran, et des relations commerciales dans le cas de l’Union européenne qui favorisent largement les Etats » de l’UE, souligne l’analyste.