La dernière chronique de notre ami et collaborateur, sur les printemps arabes.
L'ère de la révolution ouverte par les printemps arabes ne s'est pas limitée à notre monde. En effet, ses réverbérations se transmettent de plus en plus à d'autres zones et notamment en Europe où la résignation et la démission l'ont emporté depuis des années sur la ferveur révolutionnaire de la fin des années 1960 et la volonté de construire un autre monde. Depuis quelques semaines, le fond de l'air est rouge en Europe. Les méthodes des printemps arabes sont utilisées dans la mobilisation contre les politiques d'austérité budgétaire. En effet, face à la crise des forces politiques traditionnelles et des syndicats ouvriers et leur incapacité croissante à mobiliser leurs troupes, c'est désormais le web 2.0 qui a pris la relève et qui est au centre des mobilisations et des mouvements des "indignés" dans beaucoup de pays européens. La méthode est la même, utilisée sur les places européennes après avoir démontré son efficacité dans les révolutions arabes. Un mot d'ordre de manifestation lancé sur Facebook, la constitution d'un groupe d'amis et voilà le mouvement parti pour exprimer la colère et la mobilisation contre les plans d'austérité mis en place dans la plupart des pays européens.
Cette contestation web 2.0 a commencé au Portugal le 12 mars 2011 avec un appel à manifester contre les programmes de réduction de la dette du gouvernement du premier ministre José Socrates. Cet appel a réuni plusieurs milliers de personnes à Lisbonne et à Porto et le mouvement est connu depuis sous l'appellation M12M. Quelques jours plus tard, ce sont les jeunes espagnols qui rentrent dans la danse. Ainsi l'appel des indignés du 15 mai 2011 a réuni un grand nombre de manifestants sur la place La Puerta del Sol. Ce mouvement s'est étendu plus tard dans toutes les grandes villes espagnoles. Les indignés grecs rejoignent ce mouvement le 25 mai pour grossir les rangs d'une mobilisation qui ne faiblit pas depuis quelques mois face à des programmes d'austérité qui ne cessent de se renforcer. Le mouvement des indignés est aujourd'hui en train de se prolonger en France et dans d'autres pays d'Europe occidentale.
Ces mouvements sont assez significatifs de l'impasse actuelle des programmes d'austérité mis en place pour faire face à la crise des dettes souveraines. Après des mois d'hésitations et de critiques des pères fouettards de l'orthodoxie, l'Europe s'est décidée à venir en aide aux pays en crise. On s'est aperçu rapidement que la crise des dettes souveraines allait remettre en cause l'euro et le projet d'intégration européenne. Des critiques acerbes sont venues du nord de l'Europe contre les cueilleurs d'olives incapables de se convertir aux bonnes méthodes de gestion et à la rigueur budgétaire. L'Europe a mis en place un fonds d'aide aux pays en pleine crise qui a également reçu l'appui du FMI après l'échec des premières tentatives de créer un fonds monétaire européen. Cependant, l'aide européenne a été conditionnée à la mise en place de la part des pays européens de plans d'austérité drastique pour réduire les dépenses du gouvernement, accroître les recettes des Etats et de leur permettre de payer leurs dettes. Ainsi, baisse des salaires, hausse des impôts, baisse des retraites, privatisation des entreprises publiques dont celles en charge des services de base comme l'électricité et l'eau, réduction des effectifs de la fonction publique tout y est passé dans la plupart de ces pays pour réduire les déficits. Les programmes d'ajustement appliqués par les pays en développement au plus haut moment de la crise de la dette et sous le règne du consensus de Washington ne sont rien à comparer avec la cure d'austérité que des pays comme la Grèce, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal sont en train de mettre en place. Avec ces plans d'ajustement, l'Europe a totalement changé ses priorités en matière politique en faisant de la consolidation budgétaire sa principale préoccupation alors que d'autres pays avancés, comme les Etats-Unis, continuent avec des politiques non conventionnelles, la poursuite des politiques monétaires flexibles et un appui budgétaire, face à une croissance encore faible et hésitante.
Mais, le véritable défi aujourd'hui en Europe est que ces politiques d'austérité n'ont pas donné d'effets et que la crise de la dette continue à hanter un grand nombre de pays européens. En dépit des sacrifices imposés à des populations en pleine tourmente, les taux d'intérêt sur la dette grecque restent à un niveau très élevé et se situe autour de 14%, celle de de l'Irlande à 10% et les titres de la dette portugaise se négocient à 9% alors que celles des autres pays au centre de l'Europe sont à 3,5%. Ce niveau montre que les marchés ne croient pas en la capacité des politiques mises en œuvre à régler la question de la dette de ces pays. Par ailleurs, cette crise risque de toucher d'autres pays comme l'Italie. Et, comment en serait-il autrement? Car les économistes ont appris, depuis le fameux livre de Keynes dans les années 1920 sur les conséquences économiques de la paix, que le règlement de la dette dans un système de taux de change fixe exige de la part des pays déficitaires de dégager un excédent et des pays excédentaires à relancer leurs économies et à accepter l'idée de dégager un déficit. Or, la situation de l'Europe ne laisse pas entrevoir ce scénario et les pays excédentaires ont aujourd'hui les chantres de la rigueur budgétaire et ne sont aucunement disposé à opérer une relance. Ce qui laisse entrevoir des jours encore difficiles pour les pays endettés.
Mais, les plans de rigueur sont non seulement incapables de régler la question de la dette. Ils sont aussi à l'origine d'une crise sociale sans précédent. En Espagne, par exemple, le taux de chômage est passé en trois ans de 9% à 21% soit dix points de plus que la moyenne européenne. Ce chômage est encore plus marqué chez les plus jeunes et on estime qu'un jeune sur deux de moins de 25 ans est au chômage ce qui représente 5 millions de personnes. Par ailleurs, on assiste à un accroissement de la précarité et de la misère. En Grèce, la situation n'est pas meilleure avec un taux de croissance qui a baissé de 4,5% en 2010 et dont la baisse devrait se prolonger en 2011 avec un taux négatif de plus de 3%.
Ces politiques de rigueur et les crises sociales ont déjà eu des effets politiques importants en Europe. Ainsi, le pouvoir politique en Irlande a perdu les élections de février 2011. Les socialistes espagnols ont enregistré un cuisant échec lors des élections municipales et régionales du 22 mai 2011. Le gouvernement socialiste de José Socrates a dû lui aussi démissionner et annoncer des élections législatives pour le 5 juin. Or, ces changements politiques ne se sont pas traduits par des changements d'orientation dans les politiques économiques et la plupart des pays poursuivent les mêmes potions de rigueur afin de bénéficier des aides du FMI et du fonds européen.
Dans ce contexte, les jeunes européens se sont rappelés au bon souvenir des révolutions arabes et de la détermination de la jeunesse arabe pour faire tomber des dictatures que personne ne pensait fragiles et qui se sont avérées, après quelques jours de manifestations, des tigres en papier. Les "indignés" de la Place Costa Del sol cherchent à trouver auprès de la jeunesse arabe l'inspiration et le modèle pour sortir de la résignation et mettre la question sociale au cœur des politiques économiques en Europe. On vous le dit les révolutions arabes n'ont pas cessé de faire des émules et le spectre qu'elles ont ouvertes ne cesse de voyager et de rappeler les gens au bon vieux souvenir de l'utopie!
Hakimbenhammouda.typepad.com