Une polémique enfle dans les cercles proches du pouvoir sur la véritable nature de la révolution qui a conduit à la chute de l’ancien président Ben Ali.
Farhat Rajhi, l’éphémère ministre de l’Intérieur dans les premières semaines de la « révolution du jasmin », a créé la surprise en Tunisie en accusant l’armée de vouloir s’emparer du pouvoir et en évoquant la présence d’un contre-pouvoir occulte au sein du nouveau gouvernement provisoire présidé par Béji Caïd Essebsi. Le meneur de ce pouvoir occulte ne serait d’autre que Kamel Eltaïef, l’ancien ami intime de Ben Ali. Originaire de Hammam Sousse (comme l’ancien président déchu) et ami de Zine El Abidine Ben Ali depuis la fin des années 1970, il faisait partie des instigateurs du coup d’État médical du 7 novembre 1987. Il fut écarté du cercle privé du président déchu au début des années 1990 lorsqu'il s'est opposé au mariage de Ben Ali avec Leila Trabelsi.
Farhat Rajhi (ancien magistrat, ?Procureur général auprès la cour d’appel de Bizerte jusqu'à 2009,? Président de la chambre criminelle à la cour d’appel de Tunis depuis 2009, avant d’être nommé ministre de l’Intérieur du 27 janvier au 28 mars), a expliqué aux Tunisiens, dans une interview volée et diffusée sur Facebook avant sa mise en ligne sur le site d’information ‘‘Nour Press’’, qu’il n’y a pas eu de révolution… mais une simple révolte.
Selon lui, les partisans de l’ex-président Ben Ali risquent de provoquer un coup d’Etat si le parti islamiste tunisien remporte les prochaines élections. « Si Ennahdha prend le pouvoir, il y aura un coup d’État », a-t-il affirmé. « Les gens de la région du Sahel ne sont pas disposés à céder le pouvoir et si les élections ne vont pas dans leur sens, il y aura un coup d’État », a-t-il souligné.
« Les gens du Sahel » sont les habitants de la région traditionnellement associée à l’ancien parti au pouvoir, et qui a pour épicentre la ville de Sousse, le fief du pouvoir depuis l’indépendance du pays d’où sont issus les deux premiers présidents Bourguiba et Ben Ali et tous les Premiers ministres jusqu’au Tunisois Béji Caïd Essebsi, actuellement en poste. Selon M. Rajhi, ce dernier serait un menteur, tandis que le général Rachid Ammar, héros de la révolution, aurait surtout comme objectif de défendre les intérêts des Sahéliens et Kamel Eltaïef, l’ancien ami intime de Ben Ali, serait l’éminence grise de ceux qui œuvrent dans l’ombre à la contre-révolution.
Selon le site tunisien kapitalis.com, « en s’exprimant ainsi, l’ex-ministre apporte de l’eau au moulin du parti islamiste Ennahdha, au moment où ce dernier commençait à perdre de sa crédibilité. Ses déclarations ont aussitôt provoqué des manifestations contre le gouvernement provisoire un peu partout dans le pays, tandis que le gouvernement, par la voix de Moez Sinaoui, son porte-parole, et Kamel Eltaïef, déclaraient leur indignation et se réservaient le droit d’engager des poursuites. À quelques mois de l’élection d’une assemblée constituante, prévue le 24 juillet, le processus démocratique tunisien ne pouvait être mieux desservi. La polémique qui enfle autour de ce sujet n’est pas de nature à créer une atmosphère de confiance et sérénité nécessaire au succès de la prochaine élection.
Pour un autre site tunisien, business news, Farhat Rajhi, semble avoir « pété les plombs ». « Il a déjà les cadres du ministère de l’Intérieur à dos. Désormais, il devra affronter également ceux de l’Armée et les Sahéliens. Sans parler d’une partie de l’opinion publique (dont on ignore le pourcentage) qui voit d’un très mauvais œil cet acte fortement déstabilisant de la cohésion d’un pays déjà fortement fragilisé. ?Farhat Rajhi est, certes, très populaire auprès de la masse (visiblement), mais s’il envisage de se présenter à la présidentielle, comme il le dit, il y a lieu de s’interroger sur la manière dont il pourrait gouverner en ayant à dos ces deux corps de l’Etat si puissants. »