Le « printemps arabe » a démontré le manque de professionnalisme des journalistes : infos non vérifiées, interviewes truquées et fausses photos.
S’il se promet de libérer les peuples arabes de la tyrannie, le «Printemps arabe» aura aussi emporté, dans le sillage de ses aspirations émancipatrices, le métier de journalisme.
L’éthique professionnelle est la principale victime collatérale des révoltes qui secouent les pays du Moyen-Orient. L’affaire est d’autant plus attristante que des médias prestigieux et des journalistes chevronnés sont complices de ce crime impardonnable et irréparable, qui menace de faire disparaître cette profession telle que nous l’avons connue, apprise et pratiquée toute une vie.
Pendant longtemps, nous avions cru que l’objectif d’un journaliste était d’informer honnêtement son public; de lui exposer les faits, sans occulter, déformer, amplifier, ou inventer certains éléments, pour lui permettre de constituer, librement, sa propre opinion. Aujourd’hui, nous constatons que sa mission est surtout d’influencer l’opinion publique, de l’orienter dans des directions bien déterminées, dans le but de créer des conditions favorables à une action politique, diplomatique, voire militaire.
2011 aura été, pour le journalisme, l’année du retour à une propagande goebbelsienne, où les médias sont utilisés pour offrir une vision manichéenne des hommes et des événements, qui interdit toute nuance et proscrit toute critique; sous peine d’être ostracisé.
Des valeurs fondamentales et fondatrices du journalisme sont aujourd’hui foulées au pied. La vérification des sources n’est plus qu’une perte de temps; le recoupement de l’information est un luxe inutile; l’identification de l’interlocuteur et de l’auteur un détail insignifiant.
Comble du malheur, ce sont aussi et surtout des médias et des journalistes occidentaux qui se rendent coupables de ces graves atteintes aux principes élémentaires du métier.
La semaine dernière, la BFM TV avait invité la candidate socialiste française Martine Aubry pour répondre aux questions de plusieurs citoyens. Parmi eux, un jeune Jérémy, interrogé « au hasard » dans la rue. Il s’agissait en fait de Jérémy Coste, président des Jeunes centristes et attaché parlementaire d'André Santini, maire d'Issy-les-Moulineaux. La chaîne avait tout simplement caché la véritable identité de l’intervieweur.
Cette affaire en rappelle une autre, survenue après la diffusion d'un reportage comportant un faux témoignage au 13 heures de TF1. Dans le reportage, une mère de famille faisait l'éloge du Contrat de responsabilité parentale (CRP). Il s’agissait en fait d’une attachée de presse du conseil général des Alpes-Maritimes, sans enfant.
Plus grave encore est l’histoire de la blogueuse syrienne lesbienne, Amina Abdallah Araf al-Omari, qui a ému toute la Toile avec ses récits de la répression dont elle est victime de la part des forces de l’ordre à Damas. Son histoire a fait le tour du monde. La CNN et d’autres médias prestigieux ont consacré des reportages à ce « symbole de la révolution syrienne », avant que l’on ne découvre qu’Amina n’a tout simplement jamais existé. Tom MacMaster, un Américain de 40 ans, étudiant à l'université d’Édimbourg, ainsi qu’à son épouse, Britta Froelicher, étudiante en économie et spécialiste de la Syrie, ont avoué avoir inventé ce « caractère », qui pendant plusieurs mois, a induit des millions de personnes en erreur.
Il y a eu aussi l’affaire de la chaîne de télévision australienne ABC TV, qui a reconnu sur le site internet MediaWatch avoir été dupée par une vidéo d’un amateur montrant, en mai dernier, des images de soi-disant militaires syriens battant des opposants, alors qu’il s’agissait d’images tournées au Liban lors des événements de mai 2008.
Il y a aussi ces fameux « témoins oculaires » qui racontent en « direct » sur al-Jazeera ou al-Arabiya « la progression des tanks syriens à Hama sous une pluie d’obus », avec en toile de fonds des rires d’enfants ou des bruits de vaisselles. Sans oublier les excuses publiques de France 2 ou de Reuters pour la diffusion de fausses images. Les médias arabes, eux, ont un tel mépris pour leur audience qu’ils n’ont jamais jugé utile de présenter des excuses ou de rectifier une erreur. Il y a eu, enfin, la semaine dernière, l’ « interview » de l’un des quatre accusés du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) dans le Time Magazine. On ne connaît ni le nom de l’interviewé, ni celui de l’auteur, ni l’endroit ou la rencontre a eu lieu. Il nous est demandé de croire sur parole la direction de la revue.
Il ne s’agit pas d’un phénomène ponctuel ou accidentel mais d’une tendance lourde qui inaugure une nouvelle ère du métier de journaliste. Dans un texte intitulé Foxification of news, publié le 7 juillet dernier, The Economist évoque ces profondes mutations. Les concepts d’objectivité et d’impartialité des journalistes sont en voie de disparition. Ils sont remplacés par celui de « transparence », explique l’article.
C’est le prélude à la création d’une nouvelle école de pensée qui, sous diverses appellations, vise à légitimer la manipulation, l’intoxication et la désinformation de masse.
Il est bien beau le monde de demain.
Edito du MAGAZINE à Beyrouth, le 26 Août 2011