Il était irremplaçable. La disparition du philosophe Mohamed Abed al-Jabri, à l’âge de 75 ans, laissera un grand vide dans la pensée arabe contemporaine. Ce grand réformateur a conduit un projet ambitieux de critique de la raison arabe, tout en participant à l’élaboration de la première plate-forme du Parti socialiste marocain (USFP). Il est resté au bureau politique jusqu’en 1981, avant de se consacrer uniquement à la recherche.
Mohamed Abed al-Jabri était le modèle de l’intellectuel engagé, aussi à l’aise dans la théorie que l’action politique. Il a obtenu tous ses diplômes de philosophie au Maroc à l’université Mohamed-V ; avec un bref passage à Damas et à Paris. Auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, dont La Raison politique en islam ; Nous et la tradition, il restera une référence intellectuelle de premier plan dans tout le monde arabe. Il s’est appuyé sur les œuvres de Ibn Khaldoun et Ibn Rushd pour déterminer la nature de la raison arabe en analysant de l’intérieur le patrimoine de cette pensée. L’objectif phare de son projet est l’analyse critique de la tradition intellectuelle arabe.
Selon les exégètes, Jabri « se revendique de la pensée d’Averroès, opère une rupture avec une pensée orientale “mystique” et “illuministe” incarnée par Avicenne (980-1037) et prend en revanche parti en faveur d’un rationalisme andalou médiéval personnifié et développé par Ibn Rushd (1126-1169) dans son célèbre ouvrage Le Traité décisif ».
Mohamed Abed al-Jabri a reçu en 2008 le prestigieux prix de la Pensée libre. Mais il a aussi décliné gentiment une liste de récompenses importantes dans différents pays, révélant une autre facette de sa personnalité engagée. Parmi les attributions refusées, le prix du Maroc, le prix de Saddam (100 000 dollars), le prix Charka offert par l’Unesco (25 000 dollars), le prix de Mouamar-Kadhafi pour les droits de l’homme (32 000 dollars), et bien d’autres encore.
Il n’a jamais cessé de se produire et d’écrire dans la presse. Le jour de son départ, il préparait comme d’habitude, sur son ordinateur, un article hebdomadaire, « Hadit al-Arbiaa », pour le journal, Al Ittihad Al Ichttiraki, a déclaré son fils Issam. Il nous a quittés mais a laissé, pour la bibliothèque arabe et humaine, une série d’ouvrages d’une valeur inestimable.