Un mois de ramadan tranquille et festif en plein été. Les Algériens ont la conviction que le fléau est désormais derrière eux et que l’horizon s’élargit chaque année un peu plus.
Vacances, plages, fêtes et ramadan. Se souvenant d’un passé récent de psychose et de peur, les Algériens avaient toutes les raisons de redouter cette année cette combinaison explosive entre le mois sacré du jeûne et la saison estivale et festive. Il n’en fut rien.
La vie a repris ses droits
Malgré quelques sorties sanglantes du groupe terroriste d’Al-Qaïda dans l’arrière-pays, les Algériens ont passé un été tranquille et un mois de ramadan sans stress dans les villes sécurisées et sur les plages placées sous haute surveillance. Quelque 30 000 policiers adossés à plus de 2 000 barrages de contrôle, dont la moitié dans l’agglomération algéroise, ont été déployés à l’intérieur et autour des zones urbaines pour maintenir l’ordre. Sans compter les centaines de caméras de surveillance récemment installées sur les principales artères des grandes villes, avec un double objectif : lutter contre le terrorisme et le crime orga-nisé. Les résultats ne se sont pas fait attendre.
À la veille et en plein mois du ramadan, les services de sécurité ont annoncé avoir mis la main sur plusieurs dizaines de personnes recherchées, ayant échappé jusque-là à la police, et le démantèlement de plusieurs réseaux de trafic de drogue et de devises. Ils ont été « donnés » par les vidéos de la télésurveillance filmant à leur insu dans des périmètres qu’ils pensaient avoir définitivement annexés à leur propre trafic.
En ville, les conversations tournaient plus sur l’approvisionnement des marchés et la cherté de la vie – la flambée des prix est une donnée traditionnelle du ramadan, mois de très forte consommation populaire – que sur la crainte des attentats. Les fortes chaleurs aidant, la vie nocturne a repris ses droits dans la totalité des grandes villes d’Algérie. Hommes, femmes et enfants mêlés ont, en toute quiétude, battu le pavé et occupé pendant de longues heures les places publiques à la recherche d’une bouffée d’air frais.
Temps forts de la résurrection de la vie culturelle, malgré les interdits islamistes : les concerts publics donnés par le « roi du raï » King Khaled à Tizi-Ouzou, au cœur du massif kabyle, et ceux du troubadour compositeur et poète amazigh Aït Menguellet, à Alger et Constantine. Au milieu d’une constellation de festivals populaires de théâtre et de musique que l’on a vu éclore dans la plupart des villes et villages du territoire, lointains échos du dernier festival panafricain, et de caravanes de la culture qui ont sillonné l’arrière-pays.
Repliée dans la zone sahélienne, à part un noyau dur terré dans les massifs montagneux et les denses forêts de Kabylie, Al-Qaïda éprouve depuis plusieurs mois les pires difficultés à franchir le cordon de sécurité judicieusement dressé autour des zones les plus peuplées du pays. Le groupe terroriste en est réduit à frapper à la marge pour de maigres résultats, en tout cas pas suffisamment significatifs pour lui valoir la « une » des journaux. Alors qu’en 2008, le mois sacré avait été précédé de plusieurs actions suicidaires et d’un attentat kamikaze spectaculaire devant une école d’officiers de gendarmerie à l’entrée de la Kabylie, qui avait fait une cinquantaine de morts, rien de tel n’a été signalé cette année.
En revanche, Al-Qaïda a subi de lourdes pertes dans ses rangs et enregistré la défection de plusieurs de ses chefs qui se sont rendus aux autorités en demandant à bénéficier des mesures de clémence et de réintégration prévues par la Charte sur la réconciliation nationale. En plus des actions préventives et des opérations ponctuelles, l’armée a effectué plusieurs ratissages qui se sont soldés par de fructueuses prises. Une trentaine de terroristes ont ainsi été éliminés durant le mois de ramadan et les deux ou trois semaines précédentes, et une centaine depuis le début de l’année. Parmi eux une bonne dizaine d’émirs (chefs) dont les katibas ont été décapitées.
Les prisonniers exténués font état, à leur capture, des difficultés que rencontrent les groupes armés livrés à eux-mêmes à se nourrir et à se déplacer. Leur rayon d’action s’étant déjà considérablement réduit ces dernières années, leur « espace vital » s’est rétréci comme peau de chagrin. Un véritable travail de taupe effectué par les services de renseignements semble les avoir définitivement coupés de leurs bases logistiques dans les grandes agglomérations. Les techniques policières du profilage ont été mises en œuvre pour repérer d’éventuels sympathisants et les isoler avant qu’ils ne franchissent la ligne rouge du terrorisme : plusieurs jeunes ont été ainsi épargnés de cette descente aux enfers. Le chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, veut maintenir la pression sur les groupuscules encore en activité dans les massifs kabyles, afin de les empêcher de se déployer, notamment vers le Sahel, et de les acculer ainsi à la reddition ou à la mort.
Sur le front du Sahel, l’armée algé-rienne a passé outre les atermoiements du Mali et les coups tordus de la Mauritanie, deux des pays les plus concernés par la lutte antiterroriste. Elle a renforcé son dispositif de sécurité le long de ses frontières sahariennes. Pour Alger, cette lutte doit en effet être menée par les pays de la région, à l’exclusion de toute ingérence étrangère selon un consensus établi par l’Union africaine (UA) que Nouakchott et Bamako, chapitrés par la France, ne semblent pas pressés de respecter. Les derniers épisodes de cette lutte : le fiasco de l’équipée franco-mauritanienne pour la libération d’un otage français (finalement exécuté en représailles) et libération de deux otages espagnols contre une rançon – en violation des résolutions de l’UA –, s’ils ont ajouté à la confusion diplomatique en attisant les convoitises étrangères sur la région, n’ont nullement affaibli la détermination algérienne.
À cette résolution sur le plan militaire, s’ajoute une action politique de réconciliation nationale qui a donné des résultats, malgré les doutes des sceptiques et l’opposition des « éradicateurs ». Commentant le bilan de cette politique conduite par le président Abdelaziz Bouteflika, le président du Conseil consultatif des droits de l’homme, l’avocat Farouk Ksentini, a affirmé: « Je considère que la Charte de réconciliation nationale est la plus belle victoire du peuple algérien depuis l’indépendance. Tous les démons qui habitaient le peuple algérien ont été exorcisés. La réconciliation nationale a consisté à désarmer les extrémistes, les terroristes d’un côté et les éradicateurs de l’autre. La paix civile est de retour. Le terrorisme est terrassé. La Charte a atteint ses objectifs à 100 %. Il nous reste à tourner la page et à oublier la dernière décennie. »
Consolider la réconciliation
Pour la première fois, des fondateurs de groupes armés et des émirs ont lancé collectivement un appel à des oulémas faisant autorité dans le monde islamique, leur demandant d’intervenir auprès des derniers « égarés de
l’islam » afin qu’ils reviennent à la raison, se rendent et réintègrent la communauté nationale. Parmi les signataires figurent aussi d’anciens dirigeants du Front islamique du salut (Fis – dissous), dont l’un de ses ténors, Hachemi Sahnouni. « Notre initiative a pour objectif de mettre fin à l’effusion de sang en Algérie et consolider l’œuvre de réconciliation nationale », écrivent-ils. Ils rejoignent l’appel, en février dernier, de l’ancien chef du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) Hassan Hattab, qui s’est rendu depuis plus deux ans, dans lequel il affirmait : « Ce qui se passe ne peut être cautionné et ne constitue en aucun cas un acte relevant du Jihad. Je dénonce et me démarque de tels actes qui ne servent aucunement l’islam, ni les musulmans ».