Pendant quatre nuits, des dizaines de milliers de Guédiris ont vibré aux accents et aux rythmes d’un festival original, qui s’est forgé une identité en mélangeant les artistes et en métissant les genres.
Les processions commencent à la tombée de la nuit lorsque les premières brises se lèvent de l’océan tout proche, enveloppant dans leur souffle léger la ville écrasée de chaleur. Elles avancent lentement vers le théâtre de Verdure et les places Al-Amal et Bijawane, trois sites en habits de lumière, devenus symboliques de Timitar. Ce festival a été créé il y a sept ans pour restituer son âme à Agadir, « capitale du Souss » marocain. En berbère, timitar veut dire « signe », et le signe est présent partout dans la culture amazighe. Il s’étale sur les fibules, les diadèmes, les ceintures que portent les femmes, décore les tapis jetés sur le sol comme autant de marques d’hospitalité. Poignards et sabres en sont incrustés. Il est à la base des tatouages qui ornent le front, le menton et les avant-bras des femmes. Plus précieux que les bijoux.
De la Méditerranée à l’Afrique
Pratiquement, la même équipe qui avait porté le festival sur les fonts baptismaux en 2004 continue à en tenir les rênes. Elle est restée fidèle à l’esprit initial de ce mougar (rencontre) forgé autour des valeurs d’ouverture, d’échange et de partage et d’un concept : les musiques amazighes (berbères) accueillent les musiques du monde. Plus de 600 artistes venus de divers continents ont animé cette année trente-deux concerts en quatre soirées, ouvertes gratuitement au public. Ils ont vu défiler autour des scènes dressées en centre ville plusieurs dizaines de milliers de fans d’âges et de conditions sociales diverses, riches et pauvres mêlés, les adolescentes côtoyant les mères de familles, jeunes et vieux claquant des mains et se déhanchant dans un même mouvement irrépressible. Transportés par les chants, les mélodies, les sons et les rythmes puisés dans le terroir ou venus d’ailleurs, ils portaient à bout de bras le festival, leur festival. L’osmose est parfaite entre le parterre et la scène. Ils se répondent mutuellement dans un va-et-vient festif, éclatant, joyeux.
Lancé dans l’incertitude du lendemain, Timitar a sans doute gagné en maturité, franchi un cap, atteint l’âge de raison. Rendez-vous prisé, année après année, des musiques du monde, il a été au rendez-vous des courants musicaux les plus divers et de toutes les sensibilités artistiques. Il se place désormais parmi les plus grandes manifestations culturelles nationales du Maroc au même titre que Rabat, Fès et Marrakech, abritant les Mawazine ou Musiques sacrées.
La récente ouverture d’une autoroute entre la « perle du Sud » et Agadir devrait donner plus de rayonnement à Timitar, qui a vu défiler en sept ans plus de 3 500 artistes internationaux invités à un dialogue original avec leurs homologues du terroir marocain. Entre autres sommités, Timitar a reçu Marcel Khalifa, Cheb Khaled, Youssou N’Dour, Alpha Bondy, Manu Dibango, à l’occasion de la célébration d’un demi-siècle de carrière, Gilberto Gil, le monstre sacré de la musique brésilienne et ancien ministre de la Culture, Africando, la référence de la salsa africaine. Cette année, c’était au tour du prince du raï Faudel, de Zahouania, Amazigh Kateb (Algérie), Noura (Mauritanie), Mami Bastach (Madagascar), Tres Coronna (Colombie), Julian Marley (fils de Bob, Jamaïque), Belo (Haiti), Ali Campbell, « the voice of UB40 » (Grande-Bretagne), Mounira Mitchala (Tchad), en plus de DJ d’Italie, de France, du Liban et de Turquie.
La plénitude des raïssates
Cette alchimie réussie n’est pas la moindre des fiertés du directeur artistique de Timitar, Brahim el-Manzed, pour lequel les musiques amazighes « plus vivantes que jamais sont désireuses de partager et restent tournées vers l’avenir ». Fédérateur et consensuel, il a pris ses risques, effectué ses choix. Il a réussi à jeter un pont entre le passé et l’avenir de sa région et à redonner une âme à sa ville. Pour Fatim-Zahra Ammor, directrice du festival, Timitar prouve chaque année, depuis sa création, qu’il est « l’illustration de la diversité et du dialogue entre toutes les cultures ». Il est aussi, pour Abdellah Rhallam, le président de l’association Timitar, un « succès économique pour la région du Souss », et qui y trouve en outre « l’occasion de faire rayonner les richesses et le patrimoine de la culture amazighe ». Si le budget alloué au festival est connu : 11 millions de dirhams (110 000 euros) avancés par la région, la commune et le parrainage publicitaire, ses retombées économiques sont difficiles à cerner. Elles ne sont certainement pas minces.
Le groupe Izenzaren, qui a ouvert la fête sur la place Al-Amal, reste une légende vivante du Souss. Il est l’initiateur du tazenzart, un courant musical qui a remplacé les instruments traditionnels par des instruments plus en phase avec la sensibilité d’un public jeune imprégné des images de la culture satellitaire mondialisée. Le banjo a remplacé le ribab (vièle monocorde), le violon, l’iguembri (luth). Ses leaders Abdelahadi Igoutte et Hanafi Mohammed (parolier), porteurs de messages identitaires et de revendications sociales –, sont à l’origine d’une querelle qui paraît maintenant apaisée entre « anciens », attachés à une reproduction littérale du patrimoine, et « modernes » partisans d’une évolution. Leurs fans – et ils sont nombreux – attendent impatiemment leur prochain album, dont la parution a été différée à plusieurs reprises. Quand sortira-t-il ? « Prochainement, inchallah », répondent laconiques les artistes.
Oudaden est l’autre groupe mythique de la région. Sa musique est un savant dosage de sonorités tirées des bendirs, tam-tams, nakus, banjos, guitares électriques. Il colle à son public et ce dernier le lui rend bien. L’hommage rendu cette année aux « raïssates » au théâtre de Verdure a été un très grand moment du festival. Il s’agit de femmes (raïssates est le féminin pluriel de raïs, maître), qui ont atteint la plénitude, une grande maîtrise de leur art et une grande popularité. Elles chantent l’amour déçu, la nature, célèbrent les valeurs ancestrales, exaltent l’héroïsme. Leur présence sur scène reste incomparable, leurs voix, aux accents aigus, inimitables. Khadija Taiyalt ou Amina Tabaamrant sont en train de tisser leur propre légende dans un parcours sans faute.
Dans un genre différent, Batoul Mérouani est une diva du tarab el-hassani, fleurant bon le désert, qu’accompagnent le tabla (tambour), le nay (flûte), le tidnit (guitare traditionnelle à quatre cordes) et l’ardîne (instrument à treize ou vingt cordes joué uniquement par les femmes). Noura est issue pour sa part de la tradition musicale mauritanienne. Elle est lancée depuis quelques années dans un projet de fusion entre maure et toucouleur.
La 7e édition de Timitar ne se réduit certainement pas à ces temps forts, moments magiques
d’une fête populaire.
Le festival est plus riche de tous les apports du Maroc et d’ailleurs. L’aventure continue.