Hommage En démontant les lectures essentialistes des fondamentalistes et les interprétations islamophobes, l’œuvre de Mohammed Arkoun, professeur émérite à la Sorbonne décédé le 14 septembre, marque durablement le champ du renouveau de la pensée islamique.
Professeur émérite d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne (Paris III), Mohammed Arkoun s’est éteint à 82 ans, à la suite d’une longue maladie. Son décès a été annoncé par son ami, le père Delorme, avec lequel il partageait la même volonté de réconcilier les musulmans avec l’islam et approfondir le dialogue inter-religieux en Europe et dans le monde.
Né en 1928 à Taourirt Mimoun (Kabylie, Algérie), élève du collègue Saint-Louis des Pères blancs de Beni-Yenni, Mohammed Arkoun entame sa vie (et pas seulement sa carrière) universitaire par une licence de philosophie et une licence d’arabe à la faculté d’Alger, avant de soutenir à la Sorbonne une thèse qui fera date sur L’Humanis-me arabe au xe siècle. Il y décline une lecture rationaliste de l’islam, qui en fera une référence majeure de l’islamologie. Il fustige les représentations caricaturales d’une religion qui ne saurait se réduire aux lectures essentialistes à courte vue des fondamentalistes et des intégristes, ni aux lectures dévoyées des islamophobes.
« Le Coran n’a pas empêché le mouvement humaniste de s’épanouir de Cordoue à Téhéran », professe-t-il. Après une Critique de la raison islamique, ouvrage vivifiant à la manière de Ghazali, il coordonne une monumentale Histoire de l’islam en France. Son itinéraire intellectuel passe aussi par la publication d’articles critiques, d’études savantes et de conférences éclairantes données en Europe, aux États-Unis et au Canada, avec pour ambition de « sortir [l’islam] des clôtures dogmatiques tant politiques que religieuses ». « Je m’efforce à partir d’exemples si décriés, si mal compris et si mal interprétés de l’islam, d’ouvrir les voies d’une pensée fondée sur le comparatisme pour dépasser tous les systèmes de production de sens – qu’ils soient religieux ou laïcs – qui tentent d’ériger le local, l’historique contingent, l’expérience particulière en universel, en transcendantal, en sacré irréductible. Cela implique une égale distance critique à l’égard de toutes les valeurs héritées de toutes les traditions de pensée».
Rejeté par ses adversaires fort in-justement comme un antireligieux, il était en fait pour une relecture du Coran à la lumière des sciences et cherchait à contextualiser les faits pour les comprendre. Sa quête de l’historicité du fait religieux est sa marque. Avant de tirer sa révérence, Mohammed Arkoun a eu la satisfaction de voir que son message imprègne désormais les études islamiques, y compris dans les pays arabes qui voulaient effacer cet humaniste érudit de leurs tablettes. Une victoire posthume sur cet « exil » intellectuel qu’il vivait si mal en Occident.
Hamid Zedache