Le président algérien Abdelaziz Bouteflika et la chancelière allemande Angela Merkel veulent donner une nouvelle impulsion à leur coopération politique, économique et industrielle et à leurs échanges commerciaux. Le mégaprojet Desertec de production et de transport d’énergie solaire se place au centre de cette coopération.
L’Allemagne avait pris une part importante à la mise sur pied, clé en main, de l’ambitieuse plateforme industrielle algérienne dans les années 1970. Une part importante des équipements industriels importés par l’Algérie venait des bords du Rhin. Ils avaient la réputation d’être plus solides et plus fiables que d’autres équipements européens, notamment Italiens, Espagnols et Français. Depuis, la coopération entre les deux pays s’est stabilisée à un niveau que les deux capitales jugent inférieur à ce qu’elle pourrait être. L’Algérie a en effet engagé depuis 2009 un important programme d’investissements publics de 286 milliards de dollars sur cinq ans, le 3e depuis 2000 pour remettre en état et étendre ses infrastructures. Elle a par ailleurs marqué sa volonté de renouer avec ses ambitions industrielles, ce qui pourrait ouvrir un grand boulevard devant les entreprises allemandes pour des partenariats industriels avec des homologues algériens. Avec un PIB représentant 4,7 % de la richesse mondiale, l’Allemagne se classe parmi les tout premiers exportateurs du monde, le premier en Europe. Elle affiche une insolente santé économique, malgré la crise financière mondiale et les difficultés de l’euro. « La stratégie de développement de mon pays et les instruments de la coopération bilatérale déjà en place nous ont permis de dégager de nouvelles potentialités dans les secteurs de l'industrie, de l'énergie, des énergies renouvelables et des nouvelles technologies », a déclaré le président Abdelaziz Bouteflika lors de sa dernière visite officielle à Berlin, marquant ainsi sa volonté de relance de la coopération bilatérale, qui évoluait en plateau. Il a appelé les PME-PMI, colonne vertébrale de l’industrie et locomotives des exportations allemandes, à s’impliquer davantage en Algérie.
Mais c’est surtout l’intérêt manifesté par le chef de l’État algérien à l’initiative allemande de production d’énergie solaire et d’eau dessalée sur le pourtour méditerranéen pour satisfaire une partie (15 à 17 %) de la demande européenne d’électricité à l’horizon 2050, qui a retenu le plus l’attention. Il pourrait marquer un tournant dans les relations industrielles bilatérales. Le mégaprojet inspiré par des universités allemandes rassemblant autour d’elles plusieurs groupes industriels des deux rives de la Méditerranée – Allemands, Italiens, Espagnols, Algériens (Cevital de Issad Rebrab etc.) – pourrait fédérer plusieurs partenariats algéro-allemands. L’enveloppe financière en jeu est colossale : 400 milliards d’euros. Mais il faudrait que les États concernés manifestent clairement leur intérêt à cette initiative – concurrente d’un projet français plus modeste, Transgreen, placé sous l’égide d’EDF et qui n’a pas fait appel pour l’instant à des entreprises du Sud – pour que les financements se mettent concrètement en place.
Ce premier pas d’Alger n’implique pas son adhésion immédiate à Desertec. Celle-ci est avancée sous bénéfice d’inventaire. « Nous allons travailler dans les énergies nouvelles à travers un projet qui s’appelle Desertec, que nous allons approfondir d’un commun accord », a indiqué le président algérien. Alger n’a pas l’intention de se positionner en simple fournisseur de matières premières (soleil et désert), ni en « consommateur » primaire d’électricité, mais en partenaire à part entière du projet, preneur notamment de transferts de technologie, intéressé par la production de panneaux solaires et d’autres équipements industriels. Ces conditions algériennes d’adhésion avaient été énoncées par le ministre de l’Énergie et des Mines Youcef Yousfi, qui avait aussi insisté sur la nécessité de garantir l’ouverture du marché européen à d’éventuels excédents de production électrique en Algérie. Cette disposition est essentielle en effet. L’électricité ne pouvant pas être stockée, il est indispensable qu’elle puisse être vendue au fur et à mesure qu’elle est produite, au risque de pertes de capacités pour le pays producteur. Si ces conditions n’étaient pas satisfaites, « nous n’irions pas » dans cette coopération, avait précisé M. Yousfi. « Nous n’excluons rien, mais nous voulons que le cadre et la vision stratégique en matière d’énergies renouvelables soient bien définis en Algérie pour que nous puissions nous déterminer par rapport à ces initiatives » allemande, française et européenne, avait déclaré pour sa part le PDG de Sonelgaz, Noureddine Bouterfa début décembre. L’Algérie envisage en effet de lancer un programme de développement des énergies renouvelables visant à produire dans vingt ans, à partir de sources alternatives comme le soleil, le vent ou la géothermie, les mêmes quantités d’électricité qu’elle produit actuellement à partir du gaz naturel, afin de faire face à la croissance régulière de sa consommation domestique. Celle-ci doit passer à 20 000 MW/an en 2019, contre 16 500 actuellement, selon les estimations officielles. Le gaz épargné devrait être ainsi orienté vers l’exportation. Avec 300 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie dispose d’un gisement inépuisable d’énergie solaire, dont la capacité théorique pourrait atteindre 1 700 kWh par mètre carré et par an au nord et 2 260 au sud, selon les experts. Le programme, qui représente un « énorme défi », selon M. Yousfi, doit être présenté au gouvernement au début de l’année. L’Algérie réfléchit aussi, dans le cadre de sa politique de « mix énergétique », à se doter de centrales nucléaires. Elle a signé des accords-cadres en ce sens avec la France, les États-Unis, la Chine et l’Argentine notamment, mais aucun programme concret n’a pour l’instant été annoncé.
Allemands et Algériens travaillaient depuis quelque temps en toute discrétion à rapprocher leurs points de vue sur ce projet d’énergie solaire et éolienne. Ils ont ainsi signé plusieurs accords en matière d’énergie solaire, qui constituent le socle d’une future coopération élargie. L’un de ses fleurons est la centrale hybride solaire-gaz naturel d’une capacité de 150 MW construite à quelque 500 kilomètres au sud d’Alger. Les deux pays s’intéressent aussi à la production d’hydrogène à partir d’énergie solaire, aux piles à combustible – dont le développement conditionne l’avenir de la voiture électrique, etc. L’Algérie, qui prépare l’après-pétrole, a créé une entreprise publique spécialisée, Neal, filiale de Sonelgaz, pour la promotion des énergies renouvelables. Elle dispose d’un centre de recherche pour le développement de ces énergies, le CDER, qui coopère activement avec des instituts allemands. Berlin a ainsi octroyé plusieurs bourses de doctorants pour la formation de chercheurs algériens dans ce domaine. En décembre, plus de 70 entreprises allemandes avaient participé au salon « Enviro-Algérie 2010 » d’Alger organisé sous le thème de la gestion des déchets, de l’assainissement des eaux et de la promotion des énergies renouvelables. Ces entreprises ont manifesté à cette occasion leur volonté de nouer une « coopération durable » avec des partenaires algériens.
L’Allemagne est passée, au premier semestre 2010, au quatrième rang des fournisseurs de l’Algérie, loin derrière la France, la Chine et l’Italie, mais devant l’Espagne. En 2009, les importations algériennes d’Allemagne s’étaient élevées à 2,7 milliards de dollars, dont l’essentiel était constitué de machines (24 %), de biens d’automobiles et de pièces détachées (16,7 %). L’Allemagne ne figure pas parmi les quinze premiers clients de l’Algérie, dont les exportations vers ce pays atteignent à peine 200 millions de dollars. Des deux côtés, on convient qu’il faudrait élever ce faible niveau d’échange en exploitant toutes les potentialités. Plusieurs dizaines d’entreprises allemandes se sont implantées ces dernières années en Algérie dans divers secteurs d’activités, dont l’énergie, les services, l’hydraulique, le transport et la construction. Parmi les plus en vue, le groupe chimique (détergents) Henkel, qui a connu ces trois dernières années des taux de croissance de 25 % de son chiffre d’affaires (11 milliards de dinars en 2009). Il avait mis à profit la première vague de privatisation pour racheter en deux étapes une entreprise publique algérienne qu’il détient désormais à 100 %, la mettre à niveau et la faire fonctionner selon des normes internationales.
Sur le plan politique, l’Allemagne, qui n’a pas de contentieux historique ni politique avec l’Algérie, a fait savoir qu’elle s’en remettait à l’Onu pour la recherche d’une solution négociée au conflit du Sahara Occidental – à l’origine de tensions au Maghreb. Alger plaide de son côté pour que ce pays phare de l’Europe – l’un des plus puissants économiquement de la planète, mais qui est considéré encore comme un « nain politique » – accède à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’Onu. La bonne qualité des relations politiques entre les deux pays s’est traduite par les deux visites effectuées en Algérie en novembre 2007 par le chef de l’État allemand Horst Kohler et en juillet 2008 par la chancelière Angela Merkel.