Ceux qui suivent de près les évolutions que connaît le Maroc depuis l’accession de Mohammed VI au trône ne sont pas surpris de sa dernière initiative portant sur l’accompagnement des réformes constitutionnelles revendiquées par une grande partie du peuple marocain, notamment par sa jeunesse. « Le souverain n’a pas réagi parce qu’il craignait l’effet domino qui envahit le monde arabe, Maghreb et Machrek confondus », nous a confié Abdellatif El-Mennouni, le président du Comité consultatif. Celui-ci est chargé de réviser la Constitution après avoir entamé des concertations avec toutes les associations concernées, les partis politiques ainsi que les représentants des mouvements de la jeunesse marocaine. « Ce sujet des réformes constitutionnelles a été abordé avec moi et avec d’autres spécialistes dans ce domaine par le roi du Maroc durant les deux dernières années », explique ce professeur de droit constitutionnel, ancien membre de la Haute instance de l’équité et de réconciliation, et ancien président de l’Union nationale des étudiants du Maroc. Ce qui confirme que ce point était au cœur des préoccupations du roi, voire à l’ordre du jour du programme des réformes du pays.
Dans ce contexte, les Marocains ont assisté, ces dernières années, à plusieurs débats initiés par différentes formations politiques et ONG sur la « monarchie constitutionnelle ». Si Mohammed VI a mandaté son conseiller Mohamed Moatassem pour superviser un mécanisme politique de suivi ainsi que la concertation et l’échange des idées avec les partis politiques afin d’accélérer le processus, il a fait savoir explicitement que « le premier et le dernier mot reviennent au peuple marocain. »
Priorité à la stabilité
Néanmoins, il faut reconnaître que le roi n’a répondu qu’après avoir ressenti la détermination chez les jeunes, qui appelaient aux réformes dans tous les domaines. Les représentants du groupe « Jeunes marocains contre la corruption et pour les réformes » estiment que le discours royal est intervenu dans une conjoncture arabe et nationale exceptionnelle. De plus, il a répondu aux revendications du mouvement des « Jeunes du 20 février ». Pourtant, ils n’ont pas le sentiment d’avoir obtenu satisfaction, car le comité de révision de la Constitution ne reflète pas la réalité politique, civile et juridique et le Haut conseil des oulémas du Maroc n’y a pas une vraie représentativité. Les analystes politiques considèrent cette réaction comme une tentative visant à obtenir le soutien des courants religieux.
En dépit de la surenchère entre les différents mouvements de jeunesse, les groupuscules d’extrême gauche, les courants religieux dont les Salafistes, et les associations de la société civile, le pouvoir n’a pas l’intention de céder sur l’essentiel, encore moins de permettre la mise en danger de la stabilité du pays. À cet égard, Marocains et Algériens ont apparemment la même approche.
Dans la foulée, Mohammed VI poursuit sa stratégie mise en place à son arrivée à la tête du royaume. C’est-à-dire, depuis qu’il a réconcilié le palais avec le Nord du pays. Il y passe désormais cinq mois de l’année, sillonnant cette région autrefois délaissée par son père, Hassan II, et inaugurant de nombreux projets. Le roi, convaincu que le temps presse pour éviter l’explosion sociale, inaugure quasi quotidiennement des projets de développement de tout genre et de toutes tailles dans différentes régions. Il a déjà réussi à réduire considérablement les taux d’analphabétisme, de pauvreté et de chômage. C’est ce qu’affirment les rapports émanant des institutions financières internationales et des Nations unies.
Cela signifie que Mohammed VI avait anticipé la situation socio-économique actuelle et qu’il ne craint pas la révolutionnaire à la tunisienne ou à l’égyptienne. L’ouverture politique et médiatique que le Maroc a entreprise depuis de longues années joue en faveur du régime. À cela s’ajoutent une croissance économique consolidée et l’attrait grandissant des investisseurs étrangers. Ce qui prouve la bonne gouvernance du pays malgré une conjoncture régionale et internationale morose. Dans ce cadre, les États-Unis et l’Union européenne (UE), qui considèrent le Maroc comme un allié stratégique, n’hésitent pas à annoncer leur approbation concernant les réformes en cours au Maroc, y compris constitutionnelles, à savoir la décentralisation, l’indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs, le renforcement du rôle du gouvernement et l’égalité pour les femmes. D’autre part, les pays occidentaux se sont engagés à augmenter leur soutien à l’économie marocaine compte tenu de ses performances remarquables.
Initiatives tous azimuts
Le gouvernement marocain n’a pas attendu l’arrivée de l’Aïd el-kébir pour subventionner les produits de première nécessité. Ce qui a atténué l’ampleur de la hausse des prix et désamorcé le mécontentement de la population susceptible d’être instrumentalisé par certains. Dans ce même ordre d’idée, le Maroc a créé le 15 février dernier, le « Fonds pour l’économie sociale » destiné à soutenir les initiatives des jeunes, des petits artisans, des chômeurs et des femmes dans les zones rurales. L’objectif est d’augmenter le volume des prêts orientés vers les PME (petites et moyennes entreprises) et les coopératives. Le gouvernement a demandé aux banques de financer les microprojets des jeunes, de façon à réduire le nombre de chômeurs. Ceux-ci sont actuellement plus d’un million, la majorité étant des diplômés universitaires.
Autre initiative de taille, les cinq milliards de dollars pour l’exercice en cours, consacrés par le gouvernement à la satisfaction des revendications sociales. Quatre millions seraient aussi alloués à la couverture des frais du « Fonds de compensation » conçu pour le soutien des produits de première nécessité, afin de freiner la hausse des prix sur le marché local. Dans ce sens, le gouvernement a été contraint d’augmenter les aides au fonds de 15 milliards de dirhams (1,8 milliard de dollars). Début mars, le pays a consacré 4 milliards de dollars pour soutenir les produits de consommation, ce qui représente environ 4 % du PIB global. Ces dépenses seront financées par les revenus des impôts et le budget de fonctionnement. Cette action ne touchera pas les programmes d’investissement public. Ces derniers, évalués à 20 milliards de dollars pour l’année 2011, ont préservé leur rythme. Parallèlement, le gouvernement a augmenté le volume d’emplois dans le secteur public en créant 4 300 nouveaux postes de travail.
Le Maroc a également réduit les taxes douanières sur ses importations des produits en provenance de l’UE, en attendant la libération totale du commerce avec la zone euro. En effet, les importations marocaines de l’UE sujettes aux taxes douanières sont estimées à 299 milliards de dirhams, soit environ 37 milliards de dollars. Elles englobent la TVA et les taxes de consommation. Pour que l’UE puisse accompagner ses initiatives sociales, le Maroc tente de l’inciter à ratifier le protocole d’échanges agricoles qui permettrait l’augmentation de sa production de poissons, qui représente plus de 16 % de son PIB global. Parallèlement, Rabat a autorisé la prolongation pour quatre ans des accords de pêches, en attendant de concrétiser un accord global dans les domaines de l’agriculture et de la pêche. Les experts estiment que la baisse des taxes douanières sur les importations devrait contribuer à maîtriser l’inflation et à la baisse des prix.
Par ailleurs, on apprend de sources concordantes à Rabat, qu’un rapprochement est en cours entre le Maroc et l’Algérie. Un proche conseiller du roi Mohammed VI, sous couvert d’anonymat, nous a indiqué, juste après le retour de la ministre du Pétrole et des Mines, Amina Benkhadra, de sa visite officielle à Alger, que « tout va dans le bon sens ». Mais en ce qui concerne l’ouverture des frontières, « il ne faut pas brûler les étapes, les deux pays sont dans le même bateau », a-t-il ajouté.