Le retrait des forces américaines des opérations libyennes pose question.
Les relations transatlantiques sont actuellement mises à l’épreuve par le refus américain de conduire la mission militaire en Libye. Des deux côtés de l’Océan, des personnalités décrivent le conflit comme un appel au réveil des institutions militaires et politiques de l’Europe.
La Grande-Bretagne et la France sont contraintes de combler le fossé laissé par la décision de Washington de se retirer, un test pour les ambitions militaires de l’Europe. Le Pentagone a déclaré qu’il avait lancé 1600 sorties aériennes depuis le début des opérations, le 19 mars et que les États-Unis ne s’impliqueraient plus dans les frappes aériennes contre des cibles libyennes. Les Américains ne se sont engagés qu’à poursuivre les missions de soutien comme le ravitaillement en vol, et à rester en alerte pour des missions de frappe d’urgence, si l’Otan le demande.
Selon des experts de la Défense, en signalant aux Européens qu’ils ne peuvent pas s’appuyer sur Washington pour garantir la sécurité en cas de crise dans leur voisinage, les États-Unis ont pris une décision significative à plus long terme.
« Ce que nous avons vu en Libye est très significatif », dit Lord Hutton, ancien secrétaire à la Défense du dernier gouvernement travailliste britannique. Les États-Unis disent depuis dix ou quinze ans qu’ils veulent que les Européens partagent davantage le poids de la sécurité et nous devons tenir compte de cette leçon. Nous devrions faire beaucoup plus en Europe. Nous ne pouvons pas continuer à attendre que les États-Unis prennent la direction des opérations. »
Nicholas Burns, ancien ambassadeur américain à l’Otan, ajoute que Washington, dont le budget est déjà grevé par les guerres en Afghanistan et en Irak, accueille à bras ouverts le leadership franco-britannique, même si c’est la première fois en 62 ans d’histoire de l’Otan que les États-Unis n’ont pas un rôle clair de leader dans une opération de l’alliance.
Cependant, avertit Nicholas Burns, « les États-Unis s’inquiètent de savoir si les alliés européens sont capables d’assurer la même intensité aérienne et maritime que la leur dans les deux premières semaines des opérations… Le défi potentiel est de savoir s’ils peuvent répondre militairement avec une efficacité suffisante pour renverser Kadhafi et s’ils peuvent éviter la division politique au sein d’une alliance peu enthousiaste sur la poursuite des frappes aériennes. »
Une personnalité diplomatique européenne évoque une autre mise à l’épreuve des relations transatlantiques en affirmant que son pays serait déçu si les États-Unis ne revenaient pas dans la bataille en cas de crise. En même temps, les rebelles sont déjà mécontents du nouveau commandement de l’Otan. Le général Abdel Fatah Younis, à la tête de l’armée rebelle, reproche à l’alliance de n’avoir pas réussi à faire plus pour briser le siège de la ville de Misrata. « Misrata est soumise à une extermination totale », a-t-il déclaré. « L’Otan nous accorde de temps en temps un bombardement et laisse le peuple de Misrata mourir chaque jour. L’Otan nous a déçus. »
Si la Libye est un cas exceptionnel – l’Administration Obama insiste sur le fait qu’elle n’est pas d’un intérêt vital pour les États-Unis – la décision de laisser l’Europe prendre la direction des opérations fait partie d’une tendance à la restriction plus large. Fiscalement aux abois, Washington cherche des alliés qui en feront davantage.
« Beaucoup interprètent cela comme un signal direct envoyé par l’autre côté de l’Atlantique, signifiant qu’il est grand temps que les Européens agissent par eux-mêmes , explique une personnalité britannique de la Défense. En 1998, au cours d’un sommet à Saint-Malo, les Français et les Britanniques ont répondu qu’ils voulaient prendre en mains leur propre destinée en ce qui concerne la Défense. Alors, où est le problème ? Voilà le sens du message qui leur est envoyé. »
En Grande-Bretagne, le poids de l’opération libyenne pose la question de la décision prise par le gouvernement conservateur, en octobre dernier, de diminuer les dépenses militaires. Sera-t-elle réexaminée ? Le chef de la Royal Air Force a déjà demandé des « augmentations consistantes » de son budget.
La crise pose aussi la question de la collaboration européenne. D’un côté, il y a le partenariat étroit mis en place par Londres et Paris. L’Allemagne a décidé de s’abstenir lors du vote de l’ONU et de ne jouer aucun rôle dans l’opération, malgré les capacités significatives de Berlin en matière d’avions à ailes fixes. Selon une personnalité britannique, « les Français sont furieux contre les Allemands pour la position qu’ils ont prises sur la Libye »