Le président a limogé son gouvernement, mais ne s’est pas encore exprimé publiquement sur les diverses protestations qui ont surgi dans le pays ces dernières semaines.
Le président syrien Bachar al-Assad, qui ne s’est pas encore exprimé depuis les affrontements sanglants en Syrie, vient de limoger son gouvernement. C’est la première fois depuis le coup d’Etat baathiste du 8 mars 1963 qu’un gouvernement tombe sous la pression de la rue. En attendant la formation d’un nouveau gouvernement, le régime est passé à la contre-attaque, d’abord en employant la force contre les manifestants, ensuite en suscitant des émeutes confessionnelles entre sunnites et alaouites, enfin en mobilisant des centaines de milliers de personnes pour afficher la popularité du chef de l’État, qui doit annoncer incessamment à la nation une série de mesures figurant parmi les revendications des protestataires, notamment l’abrogation de l’état d’urgence, la libéralisation de la presse et l’instauration du pluralisme politique.?
"Le président Assad a accepté aujourd’hui la démission du gouvernement de Mohammad Naji Otri et lui a demandé d’expédier les affaires courantes", selon l’agence officielle Sana. Le cabinet démissionnaire, qui comptait, outre le Premier ministre, trente-deux ministres et secrétaires d’État, était en place depuis 2003. Le dernier remaniement remonte à octobre 2010. Bachar el-Assad s’adressera mercredi 30 mars au Parlement, selon un responsable syrien.
La contre-manifestation organisée par le parti Baas au pouvoir, est de mauvais augure. Il s’agit d’un signal adressé à la société civile, qui réclame plus d’ouverture et de vraies réformes politiques, pour dire que le régime est encore « fort » et que les réformes promises seraient celles que ce pouvoir daigne concéder. Les centaines de milliers de manifestants s’en sont pris ouvertement aux médias étrangers, particulièrement aux chaînes satellitaires du Golfe qui jouent sur la fibre confessionnelle. Sur les pancartes brandies par les manifestants à l’attention de ces médias, on peut lire : "Vous êtes venus pour voir des protestations en Syrie, mais aujourd’hui, vous voyez la protestation de la Syrie ». Une autre pancarte dit "oui aux réformes, non à la dissension confessionnelle", allusion aux déclarations de Cheikh Youssef Qaradhaoui, le mufti attitré d’Al-Jazeera, qui avait mis en exergue le caractère sectaire du régime et du président Assad, « otage, dit-il, de sa famille et de sa communauté alaouite ».
?La Syrie est un pays multiconfessionnel et multiethnique, avec notamment les sunnites qui sont majoritaires, les alaouites qui tiennent les rênes du pouvoir, les druzes, les chrétiens et les Kurdes. La télévision publique a montré des rassemblements identiques dans les principales villes, à l’exception de Lattaquié, principal port de Syrie, où les autorités avaient demandé de ne pas se rassembler pour des raisons de sécurité.? Durant le week-end, des hommes armés ont ouvert le feu sur la population à Lattaquié, faisant 13 tués parmi les militaires et les civils et 185 blessés. Le régime a accusé les intégristes musulmans. À Deraa, épicentre de la contestation, 300 personnes ont manifesté mardi 22 mars contre le pouvoir en scandant "révolution, révolution", "oui à la liberté, non au confessionnalisme" et "Dieu, la Syrie, la liberté". La levée de l’état d’urgence n’aura qu’une portée symbolique si elle ne s’accompagne pas d’autres réformes importantes, estiment des analystes. "Dans la situation actuelle, il faudrait une réforme radicale de la répartition du pouvoir", selon Faysal Itani de l’institut britannique Exclusive Analysis.?Pour Nadim Houry, chercheur à l’organisation Human Rights Watch, basée à New York, "même si cela représente, bien sûr, un pas en avant, beaucoup d’autres réformes sont nécessaires pour que les Syriens puissent jouir d’une liberté qu’ils méritent". La levée de l’état d’urgence sera, selon nos informations, remplacée par une nouvelle loi anti-terroriste, très restrictive pour les libertés.