Les Etats-Unis ont positionné un porte-avion au large des côtes libyennes. Le colonel Kadhafi est retranché dans une partie de Tripoli et espère en la défection d’une partie de sa population insurgée pour lui venir en aide.
Intervention militaire imminente, menaces ou simple bluff ? Le monde est dans l’expectative en ce mardi 1er mars sur les intentions américaines en Libye. Après les déclarations de Hillary Clinton à Genève, qui a affirmé que « toutes les options resteront sur la table tant que Kadhafi menacera son peuple », les États-Unis ont « repositionné » des forces aériennes et navales dans le golfe de Syrte, à portée des côtes libyennes. Ils ont dépêché le porte-avion Enterprise avec 3 000 hommes à bord dans le Golfe de Syrte, à la limite de la frontière maritime libyenne. Sa mission, pour l'instant, est d'observer et de livrer une « guerre électronique » aux avions libyens. Les Américains veulent montrer ainsi leur détermination à passer à l’acte, s’il le faut, même en l'absence de l’indispensable autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies. La Russie et la Chine sont en effet opposées à toute intervention et l’Union Européenne est très réticente.
Pour l’instant, les manœuvres militaires américaines auraient pour objectif de rendre plus difficiles, sans pouvoir les empêcher, d’éventuelles interventions aériennes des troupes loyales à Kadhafi contre les populations civiles. Ces derniers jours, l’aviation libyenne a fait plusieurs sorties pour bombarder des dépôts d’armes situés dans les zones contrôlées par les insurgés, de crainte qu’ils ne les utilisent contre les pro-Kadhafi. Les insurgés ont alerté l’opinion sur la possibilité de propagation de substances chimiques contenues dans ces armes entreposées parfois à proximité des villes.
Washington a par ailleurs bloqué des actifs libyens, d’un montant de 30 milliards de dollars, investis aux États-Unis.
Pour les Européens, il est « urgent d’attendre », après s’être assuré qu’une grande partie des puits de pétrole – principal enjeu actuel – est désormais sous le contrôle des insurgés. Ces derniers ont en effet annoncé que le pompage allait reprendre, soulageant ainsi le marché international dont les inquiétudes allaient croissant ces derniers jours. Malgré l’engagement de l’Arabie Saoudite de compenser la défection de Tripoli, les prix ont en effet flambé, favorisés par un effet spéculatif qui s’est déplacé des matières premières vers les hydrocarbures. Au matin du 1er mars, on a enregistré un léger recul de ces prix, mais l'alerte n'est toujours pas levée.
Sur le terrain, Kadhafi retranché dans un quadrilatère de plus en plus restreint autour de Tripoli, bien que disposant d’unités fidèles et de mercenaires africains armés, ne semble plus en mesure de reprendre la main. Parmi les nouveaux signes d’effritement de son pouvoir on compte le limogeage du chef de sa garde personnelle, Abdallah Senoussi, l’éloignement de son fils Kamis et l’incapacité des « kataeb » (unités spéciales) de reprendre les villes et quartiers contigus de Tripoli – farouchement défendus par leurs populations. En plus de la région orientale, les insurgés revendiquent le contrôle de plusieurs villes de l’Ouest, dont Zaouiya (60 km de Tripoli) et Nalout (230 km de Tripoli). Les villes stratégiques de Misrata à l’est, et Gharian au sud, sont elles aussi sous le contrôle des insurgés, malgré plusieurs tentatives de les reprendre par les troupes pro-Kadhafi.
Le « Guide de la Révolution » récuse ces informations, qu’il considère comme mensongères. « Mon peuple m’adore, il mourrait pour me protéger », a-t-il dit dans un entretien avec la chaîne de télévision britannique BBC. En même temps, selon des informations de l'opposition, il a chargé son directeur du contre-espionnage, Mohammed Dourda, de tenter de négocier avec les chefs de tribus et des personnalités influentes des « zones libérées », auquel il promet des primes substantielles. Ces derniers jours, il a fait distribuer à Tripoli des primes de 500 dinars (294 euros) par famille à ses partisans et promis les mêmes montants à tous ceux qui se rallieraient.
Selon le Haut commissariat pour les réfugiés, plus de 100 000 personnes – Libyens et étrangers – ont franchi ces derniers jours la frontière tunisienne à la recherche d’un abri. L’organisme des Nations unies craint une «catastrophe humanitaire » imminente si le flux ne tarit pas et qu’aucune aide internationale n’arrive sur les lieux. Les moyens de la Tunisie – qui a déployé des secours d’urgence – restent en effet très modestes par rapport à l’ampleur du problème.