Une grande majorité d’Etats est déjà acquise à l’admission de la Palestine à l’Onu. Israël manoeuvre pour empêcher le vote.
En juin dernier, Israël commençait à mobiliser ses ambassadeurs dans le monde avec pour mission de trouver des alliés dans le vote contre la demande unilatérale des Palestiens à l’Onu pour la reconnaissance d’un État palestinien. Des messages classés « secrets » étaient envoyés aux diplomates pour leur expliquer le « plan de bataille » consistant à faire pression sur les dirigeants des États concernés, à rallier les communautés juives locales et harceler les médias, entre autres. Les diplomates ont été priés de ne pas prendre de vacances. Un « Forum de Septembre » était mis en place par Rafael Barak, directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, et dirigé par Yaakov Hadas, chargé d’étudier, au jour le jour, jusqu’en septembre, l’attitude des Palestiniens « afin de permettre à Israël d’empêcher ce processus ». « Vous devez rendre compte de vos activités au Forum de Septembre une fois par semaine », dit la note secrète de Rafael Barak aux diplomates, révélée par le quotidien israélien Haaretz. En même temps, au milieu de cette agitation fébrile, Avigdor Lieberman, le ministre des Affaires étrangères se rendait dans un certain nombre de pays pour les convaincre de soutenir la position israélienne en septembre. Pour préparer le terrain, des tournées du même genre avaient été organisées l’année dernière dans les pays jugés « flous » mais potentiellement alliés. Des promesses de coopération furent faites, des accords signés, des millions de dollars dépensés. Shimon Peres se rendait personnellement dans les Balkans, en juillet dernier.
Dernière initiative en date, Israël invitait, début août, dix-neuf ambassadeurs en poste à Washington pour une visite « sur le terrain » en Israël et en Cisjordanie. La visite était organisée par l’organisme The Israël Project (TIP), basé aux États-Unis et en Israël, soi-disant organisation non gouvernementale à but non lucratif, mais dont l’objet est « de lutter sans relâche à améliorer l’image d’Israël dans le monde ». Autrement dit, une officine de propagande d’Israël, qui ne cache pas ses positions pro-colons et ses orientations de droite. Elle se cache derrière une pseudo-neutralité avec, par exemple, son programme Arabic Media Program, auprès des médias arabes « pour ouvrir les cœurs et les esprits dans le monde arabe, vis-à-vis d’Israël et d’un meilleur futur pour les deux parties ». Les membres de la délégation ont rencontré Benjamin Netanyahu et Shimon Peres, visité des colonies juives et survolé la frontière en hélicoptère pour bien se convaincre du danger de reconnaître un État palestinien pour la sécurité d’Israël. Netanyahu les a appelés très clairement à s’opposer à l’initiative palestinienne. Le groupe était, également, invité à l’Agence israélienne pour la Coopération et le Développement international (Mashav) pour rencontrer des hommes d’affaires et des entrepreneurs israéliens.
Qui sont les États composant cette délégation ? La réponse ne manque pas d’intérêt (1). Treize sont des paradis fiscaux, les autres accordent des facilités qui favorisent l’évasion de capitaux. Selon le classement du réseau Tax Justice Network (TJN), relayé en France par la Plate-forme des paradis fiscaux et judiciaires, et qui conteste le classement fait par l’OCDE, Israël lui-même figure parmi les vingt plus importants paradis fiscaux au monde. Quatre pays sont africains : le Libéria (également paradis fiscal, liste noire des paradis fiscaux), le Bénin qui a réuni la première grande commission mixte avec Israël en 2005, l’Ouganda qui a signé de gros contrats avec des compagnies israéliennes, et le Burkina Faso à qui Israël apporte une aide importante dans le secteur agricole, via le Cinadco rattaché au ministère israélien des Affaires étrangères et à celui de l’Agriculture. Cet organisme a formé plus d’une centaine de Burkinabés dans des domaines divers liés à l’agriculture.
Également présents, certains des nouveaux États de l’ex-Yougoslavie ou de l’ancien « bloc de l’Est », dont certains ont un intérêt particulier avec Israël, comme la Bosnie-Herzégovine et ses ventes d’armes, et qui ont signé récemment des accords bilatéraux de coopération avec Tel-Aviv. Israël fut le premier pays à intervenir en Albanie après les inondations de 2010 et dans la foulée, en juin 2011, Avigdor Lieberman, s’y rendait, ainsi qu’en Croatie, dans le cadre de la campagne pour le « non » à l’Onu en septembre. Pour l’Albanie, développer des relations étroites avec Israël lui permettrait de sortir de son isolement, entre autres bénéfices. En Macédoine, le président macédonien George Ivano et Moshe Yaalon, inauguraient un mémorial dédié aux 7148 juifs de Macédoine déportés et morts à Treblinka en 1943– il n’y eu qu’un seul survivant qui vient de s’éteindre. Étaient présents – était-ce un hasard ? – les présidents albanais et monténégrin. Depuis juillet 2010, Israël et la Slovénie sont entrés dans l’OCDE et en juillet 2010, Shimon Peres effectuait une visite de deux jours à Ljubljana pour « sceller l’excellence des relations unissant les deux pays. » Le président Pahor expliquait alors très clairement que pour la Slovénie, « la création d’un État palestinien n’est possible que par des négociations de paix », laissant ainsi entendre qu’il voterait « non » en septembre. Au Monténégro, en juillet dernier, le Premier ministre monténégrin, Luksic Igor, déclarait à l’ambassadeur israélien Arthur Koll : « Le Monténégro est une destination où il fait bon investir », et exprimait sa volonté de « renforcer ses liens économiques avec Israël. » À quoi Koll répondait qu’Israël aiderait à promouvoir les investissements au Monténégro. Un accord sur les visas avait déjà été signé en 2009 et des lignes aériennes entre les deux pays mises en place.
Beaucoup plus loin, en Mongolie, le président en visite en 2008 en Israël, recevait la promesse d’une aide dans le domaine agricole et de relations politiques et économiques fortes. Et en février 2011, le Timor oriental en même temps qu’il relevait le rang du plénipotentiaire palestinien à celui d’ambassadeur, le président José ManuelRamos-Horta, en visite en Israël, exprimait son souhait de développer la coopération économique, agricole et sécuritaire avec Tel-Aviv. Il demandait, également, de l’aide pour protéger les côtes du pays.
C’est le consortium Merhav-Mekorod Development qui sert souvent de cheval de Troie à Israël. Il intervient dans des programmes liés à la question de l’eau (barrages, distribution, traitement, etc.), comme à Trinidad et Tobago pour un contrat de 700 millions de dollars avec la compagnie locale Wasa. De son côté, l’agence Mashav, dans le cadre de sa mission de coopération internationale, organise aussi des cours gratuits pour des milliers d’étudiants de ces pays. La fourniture de matériel militaire, de surveillance et d’espionnage israélien fait, également, souvent parti des « deals » pour s’assurer des bonnes relations avec ces États. En Haïti où Israël est intervenu immédiatement après le tremblement de terre de janvier 2010, des policiers ont été envoyés pour former des agents de sécurité pour la surveillance d’un village haïtien qui doit être construit par les Israéliens sur le modèle identique d’un « village israélien », comprenez, « un village de colons en terre palestinienne ». Il sera situé près de Port-au-Prince et sera équipé en école, un hôpital, centres communautaires et installations sportives. Très investi dans la reconstruction d’Haïti, Israël « travaille main dans la main » avec la République dominicaine, paradis fiscal où un envoyé d’Avigdor Lieberman, Danny Ayalon, s’est rendu en visite officielle en juillet 2010 pour « renforcer les liens bilatéraux ». « La coopération avec Israël est très importante pour nous », déclarait le ministre de la Justice à Ayalon. Effectivement, l’aide israélienne pour Haïti passe donc d’un paradis fiscal à un autre qui la contrôle.
Concernant le Libéria, ce sont d’abord les diamants qui servent d’appât. L’accord signé par l’Israeli Diamond Institute (IDI) pour l’envoi d’experts israéliens en recherche diamantifère n’est pas gratuit. En échange, le Libéria s’engage à faciliter et encourager la « coopération économique » entre les compagnies diamantifères israéliennes et libériennes. Les deux parties ont besoin l’une de l’autre. Le commerce des diamants est l’une des activités les plus importante de l’industrie israélienne, les exportations de diamants polis représentaient 6,6 milliards de dollars en 2006. Lors de la signature d’un accord en novembre 2007, la présidente Johnson-Sirleaf rappelait « l’amitié entre les deux pays » appelait à « revitaliser les relations économiques avec Israël dans tous les domaines. »
Ce ne sont pas là les seuls États qu’Israël a tenté d’ « acheter » dans sa tentative désespérée de faire échec au vote de septembre pour la reconnaissance de l’État palestinien par l’Assemblée générale de l’ONU. C’est le cas, par exemple, de la Roumanie et de la Bulgarie d’où 2000 ouvriers du bâtiment pourront aller travailler en Israël. Mais la position de ces deux pays est, pour l’instant, indécise. Mais Israël a subi aussi quelques revers dans sa stratégie d’ « achat de votes », comme en février dernier, en Nouvelle Zélande où son « équipe de secours » qui s’est rendue immédiatement à Christchurch après le tremblement de terre, n’était pas accréditée et a été arrêtée en zone interdite.
Tous ces efforts, pour masquer l’isolement d’Israël par rapport à la communauté internationale et soutenus par les États-unis, n’empêcheront pas l’immense majorité de l’Assemblée générale, c’est-à-dire, la quasi totalité des pays de la planète, de voter pour la proposition palestinienne. Netanyahu le reconnaissait lui-même en mai dernier. « Nous devons nous préparer à un tsunami en septembre. Personne ne pourra empêcher une décision de l’Assemblée générale de l’ONU de reconnaître l ‘État palestinien », déclarait-il lors devant la Commission parlementaire des Affaires étrangères et de la Défense, en mai dernier.
Cependant, une reconnaissance par l’Assemblée générale sera-t-elle suffisante ? Selon le règlement, la demande d’adhésion à l’ONU doit être avalisée, au préalable, par le Conseil de sécurité où les États-Unis, fermement opposé à cette initiative palestinienne, utiliseront leur droit de veto. Mais l’État d’Israël n’est-il pas issu du vote de la résolution 182 par l’Assemblée générale, le 29 novembre 1947, connu sous le nom de « plan de partage », font remarquer certains ? À quoi les Israéliens répondent que cette résolution « a permis d’assermenter un règlement moral significatif pour la fondation d'un foyer juif en terre d’Israël. La base juridique pour la création de l’État d’Israël n'a été que la déclaration de l’Indépendance par David Ben Gourion le 14 mai 1948…. », comme le soutient Dore Gold, président du Centre de Jérusalem pour les Affaires publiques et ancien conseiller d’Ariel Sharon et de Benjamin Netanyahu pendant son premier mandat. Mais quelle que soit la suite donnée à ce vote, ce sera un geste fort qui ne pourra pas être ignoré, à l’avenir, par ses opposants, États-Unis en tête.
(1) Albanie, Les Barbades, Bélize, Bénin, Bosnie Herzégovine, Burkina Faso, Dominique, République Dominicaine, Archipel des Grenadines, Haïti, Libéria, Macédoine, Mongolie, Monténégro, Slovaquie, Sainte-Lucie, Timor-Oriental,
Trinidad & Tobago, Ouganda