« Ils mentent…et ils savent qu’ils mentent…et ils savent que nous savons qu’ils mentent…et malgré cela, ils continuent à mentir et de plus en plus fort » (Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature)
Le conflit de Syrie est difficile à appréhender. Il a de multiples facettes dont la plupart ne sont jamais évoquées : on peut recenser une quinzaine de guerres, et de nombreux acteurs y sont impliqués, plus ou moins inavoués. Avec 120 pays concernés (gouvernements, armées, agents spéciaux, renseignements, milices, groupes terroristes…) et des enjeux politiques, diplomatiques, économiques, religieux et géostratégiques, il s’est mué en un conflit universel opposant deux visions de la vie internationale.
Cette tragédie vieille de huit ans, qui a fait des centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, de déplacés, de sinistrés, semant chaos et destruction, est donc difficile à éteindre, aucun belligérant n’ayant déclaré la guerre.
Le conflit de Syrie est un sujet qui fâche, notamment sous nos latitudes. Les enjeux réels, les acteurs restent inconnus du public, une désinformation massive s’employant à occulter l’agression internationale dont est victime la Syrie et à livrer en pâture à l’opinion un leurre nommé « révolution » ou « rebelles modérés ».
L’issue annoncée de la guerre rendra peut-être – on peut le souhaiter – justice à la Syrie martyrisée mais résiliente. Elle contribuera à redonner sa place au droit international (oublié) et à réinstaurer un ordre du monde plus équitable qui effacerait le chaos.
Les guerres de Syrie Michel Raimbaud (Extraits)*
INTRODUCTION
Ce livre n’est pas un conte des mille et une nuits. Il réveille les fantômes et les monstres qui ont hanté les milliers d’heures d’un interminable cauchemar. Au Levant, habitué aux avatars de l’Histoire et qui en a pourtant vu bien d’autres, on glosera longtemps sur la catastrophe qui s’est abattue sur la Syrie au printemps 2011 : après toutes ces années de descente aux enfers, les « rues » du Grand Moyen-Orient, proches de Damas ou plus lointaines, semblent encore abasourdies par l’orgie de violence, l’incrédulité́ l’emportant souvent sur l’incompréhension…
Dans ces conditions, pourquoi s’étonner que nos « opinions publiques », conditionnées comme elles le sont, aient accepté sans broncher le récit prêt-à- porter qu’on leur fredonne sans trêve. Dans notre subconscient collectif, dire le droit et écrire l’Histoire ne sont-ils pas de vieux acquis régaliens ?
Certes, les guerres qui ont semé́ la destruction et le chaos sur une terre d’immémoriale civilisation et martyrisé son peuple sont compliquées. Elles paraitraient pourtant moins opaques au commun des mortels si elles avaient été́ abordées avec la liberté́ d’expression que garantit toute constitution démocratique bien née et analysées avec le souci d’objectivité́ que revendique l’esprit cartésien. Si les professionnels de la pensée, de l’information et de la politique n’avaient pas d’emblée imposé une doxa que les faits, têtus comme chacun sait, ne pouvaient que démentir tôt ou tard, il serait plus facile de faire machine arrière ou de corriger le tir, mais ils sont allés trop loin.
En effet, occultant les arcanes du « sujet qui fâche » par excellence, cette narrative ne pouvait que rendre perplexes ceux ou celles qui cherchent à comprendre. Ne soulève-t-elle pas nombre d’interrogations qu’elle laisse sans réponses : pourquoi des chefs d’État peuvent-ils être reçus à Paris en grande pompe un beau vendredi, puis être diabolisés le surlendemain ? En quoi l’Amérique, l’Angleterre, la France sont-elles concernées par des guerres au Moyen-Orient et pourquoi masquent-elles si soigneusement la nature et l’ampleur de leur engagement ? Les « grandes démocraties » assument-elles vraiment un rôle « naturel » de guides de l’humanité́ « civilisée » ou de la « communauté́ internationale » quand elles préparent des « feuilles de route pour l’avenir de la Syrie, de la Libye, etc. » ? À quel titre s’octroient-elles « le droit de dire le droit », décidant quels sont les « bons ou les méchants » chefs d’État ? Les Occidentaux reconnaissent en général, des années après, les désastres provoqués par leurs interventions et ingérences, mettant celles-ci au compte d’informations erronées : pourquoi persistent-ils dans cette stratégie du chaos, usant des droits de l’homme ou de la démocratie comme d’un attrape-nigaud ?
La proximité́ de facto avec les mouvements « takfiristes » islamistes est- elle soutenable alors que le terrorisme frappe la France et l’Europe ? Pourquoi un tel contraste entre l’émotion que suscitent les centaines de victimes d’attentats terroristes sur notre rive et le silence ou l’indifférence face aux centaines de milliers, aux millions de morts, de refugies et déplacés provoqués sur « l’autre rive » par les « ingérences démocratiques » de l’Occident et de ses « partenaires stratégiques » orientaux ? Est-il indispensable de détruire des pays entiers pour y instaurer une démocratie dont on ne voit jamais la trace ?
Peut-on poser ces questions ou dénoncer ces contradictions sans être taxé de « complotiste » illuminé ou catalogué comme mentalement dérangé́ ? N’est-il pas étonnant qu’à quelques exceptions près les « élites », promptes à s’étriper au prétexte qu’elles sont de gauche ou de droite, pour ou contre les 80 km/h sur les routes, favorables ou non aux députés en bermudas, soient unanimes dans leur approche du dossier libyen ou syrien (etc.) ? Comment expliquer le concert de silence qui a longtemps entouré l’agression sur le Yémen ?
Bien que les populations soient anesthésiées par la morgue et la désinvolture des experts, penseurs et politiciens servis sur tous les plateaux et mobilisés sur tous les fronts, beaucoup finissent par être saisis par le vertige du doute : cette extraordinaire unanimité – du jamais vu – ne serait-elle pas suspecte ? Il leur est pourtant difficile d’accepter la réalité d’un lavage de cerveau, réputé́ être l’apanage des « régimes totalitaires » et mentalement tabou de poser la question sacrilège à sept trillions de dollars : les dirigeants atlantiques, dont les comportements échappent aux normes habituelles, ne seraient-ils pas atteints de la rage, cette infection incurable et mortelle qui affecte indifféremment les animaux et les hommes ?
Cet ouvrage fournira des pistes de réflexion, peut-être des réponses aux interrogations de ceux qui voudraient comprendre. Il est dédié́ également aux « esprits forts » à qui « on ne la fait pas », aux sceptiques qui après tout ce temps « ne se prononcent pas » entre « le massacreur » et « l’opposition pacifique » qui a pris les armes en Syrie, aux esprits candides carrément incrédules lorsque l’on évoque devant eux l’activisme de nos « grandes démocraties ». Espérons qu’il pourra nourrir la culture des intermittents du débat télévisé́, alimenter l’information des sondés du micro-trottoir. Il sera utile aux nuls tentés par le recyclage, aux intellectuels coincés dans leur impasse « révolutionnelle », aux fabricants de news enferrés dans leur mensonge, à ceux qui auront la mémoire qui flanche et prétendront ne plus se souvenir très bien.
Enfin, l’espoir faisant vivre, on attribuera un pouvoir miraculeux aux chapitres qui vont suivre s’ils interpellent, dans un repli de méninge resté pro- actif, certains chantres de la doxa au point de les convaincre de l’iniquité́ de la pensée unique dont ils abreuvent nos sillons.
Sommaire
- « Delenda est Syria » : une vieille obsession
- Miroir brisé : sept ans de malheur
- La « révolution » et les « amis du peuple syrien »
- Les néoconservateurs
- Vu de Sirius, un crime international, l’agression
- Un crime presque parfait
- Une guerre peut en cacher bien d’autres
- La guerre médiatique : comploteurs, chiens de garde et imposteurs
- Autopsie d’un complot avoué
- Un procès piégé́ : l’extrémisme islamiste et le terrorisme 11. L’idéologie néocoloniale et ses succursales
12. Justice des vainqueurs ou victoire de la justice ?
13. L’axe de la résistance
14. Fin de partie : guerre ou diplomatie ?
15. La reconstruction de la Syrie
*Michel Raimbaud a eu une longue carrière de diplomate, à Paris, dans le monde arabe, en Afrique et en Amérique Latine. Il a été ambassadeur et directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Arabisant, il a étudié les problématiques de la zone Afrique du Nord – Moyen Orient.
Conférencier, professeur de relations internationales, Michel Raimbaud a contribué à des revues et ouvrages collectifs. Il est l’auteur de plusieurs livres, notamment Tempête sur le Grand Moyen-Orient, aux Editions Ellipses.
**ISBN/EAN 978-2-35285-112-7
20,00 EUR 270 pages. Juin 2019