Début avril, le président du Mozambique, Armando Gebuza, s’est rendu en visite officielle au Malawi. Pendant son séjour, les deux gouvernements ont signé un accord pour la fourniture au Malawi de quelque 200 mégawats d’électricité. Cela coûtera à Lilongwe 1 million de dollars par mois, soit un tiers de ce que le pays débourse chaque année en diesel pour ses centrales : 35 millions de dollars. La Banque mondiale a soutenu le projet.
Un accord de même nature avait été signé auparavant avec feu le président malawite Bingu wa Mutharika, mais ce dernier était revenu sur sa décision aussitôt après la conclusion des négociations. Un revirement qui était en fait une mesure de rétorsion contre le Mozambique, coupable de ne pas avoir permis la navigation sur les fleuves Zambèze et la partie mozambicaine du Chire vers le port de Nsanje, sur le lac Niassa, sans qu’une étude préalable sur les effets de la navigation ne soit réalisée. Des centaines de barges auraient en effet emprunté cette voie fluviale, dans une région où des milliers de familles vivent de la pêche, puisent l’eau pour boire, cuisiner, se laver, faire abreuver le bétail, voire arroser leurs potagers.
Le gouvernement avait déjà refusé ce droit de navigation à la multinationale Rio Tinto, que voulait écouler via le fleuve Zambèze le charbon qu’elle extrait à Moatize, dans la province mozambicaine de Tete.
Le revirement brusque du président Mutharika avait provoqué des étincelles dans les rapports déjà quelque peu tendus entre les deux pays. Il avait ainsi donné lieu à de fréquents incidents frontaliers, dont des incursions de la police malawite sur le territoire mozambicain et des attaques contre des postes de douane et de la police de l’émigration.
Ces antécédents ne sont pas totalement dépassés. Car, aussitôt après la visite du président Guebuza, Joyce Banda, l’actuelle présidente du Malawi, s’est rendue aux États Unis. Dans son agenda figurait la demande d’acquisition de navires de patrouille pour le lac.
Étant donné le contentieux entre le Malawi et la Tanzanie sur des forages de pétrole et de gaz dans le lac, et connaissant l’entêtement de Lilongwe, on se demande dans quel but elle entend se pourvoir en vaisseaux militaires. Et aussi par où elle pense faire transiter ces navires pour atteindre le Malawi enclavé…
Lors de la conférence de Berlin sur le partage de l’Afrique en 1884-1885, l’Empire britannique s’était arrangé pour garder la souveraineté sur la presque totalité du lac, n’en laissant qu’une petite partie à son petit allié, le royaume du Portugal. Les négociations pour le tracé frontalier sur le lac entre les deux pays ne seront donc pas les plus faciles.
Pour arbitrer la situation, l’Union africaine a désigné trois anciens chefs d’État, Joaquim Chissano du Mozambique, Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud et Festus Mogae du Botswana. À sa création il y a cinquante ans, l’ancêtre de l’Union africaine, l’Organisation de l’unité africaine, s’était dotée d’une charte déterminant l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Il faut cependant parfois reconnaître l’absurdité de certaines situations. Dans le cas tanzano-malawite, une femme tanzanienne qui remplit son seau d’eau au lac peut être considérée comme une délinquante, en train de violer l’actuel tracé de la frontière !
La tâche des médiateurs sera d’autant moins facile que le ministre malawite des Affaires étrangères a déjà déclaré qu’il fera appel à la Cour internationale de La Haye si l’arbitrage ne donne pas raison aux revendications de son pays.
L’odeur du pétrole a rarement profité à la paix. Espérons néanmoins que la raison et la modération pourront prévaloir pour le bien de tous. Si le Malawi ne donne pas son accord à un tracé équitable des frontières lacustres, je doute que le Mozambique puisse permettre à ce pays d’écouler sa production à travers son territoire. Et, bien entendu, la Tanzanie ne permettra pas non plus que ses marchandises transitent par le sien pour atteindre ses ports. Alors ? Le mieux, ce serait de laisser le pétrole ou le gaz sous l’eau !
En avril, la Renamo, le parti mozambicain de l’ancienne rébellion créée par la Rhodésie et l’Intelligence militaire de l’apartheid, a attaqué un poste de police dans la province de Sofala, au centre du Mozambique, ainsi que quelques camions et cars de passagers civils. Ses revendications ? Ou plutôt celles de son ubuesque leader, Afonso Dhlakama ? Vingt ans après la signature des accords de paix à Rome, et après quatre défaites consécutives aux élections dès 1994 à 2009, il exige le partage du pouvoir et celui de l’armée et de la police. Il semble même avoir oublié que ces dernières, par la force des accords de Rome et de la Constitution, approuvée par son parti, doivent être strictement apolitiques !
Tout le monde sait désormais qu’il s’agit d’une demande de fonds. Chaque fois qu’il brandit des menaces, Dhlakama est apaisé par des dons monétaires, soit de la communauté internationale, soit du gouvernement. Son avidité est connue, tout autant que son incapacité à diriger son parti qui, à chaque élection, perd des voix et des élus. En 1994, il avait réussi à faire élire 109 députés ; ils étaient moins de 50 en 2009. Cependant, le souvenir des massacres du temps de la guérilla est encore vif chez les gens, et les menaces du chef de la Renamo éveillent la crainte d’un retour en arrière.
Malgré tout, cahin-caha, notre sous-continent se tient, avec des menaces de tempête, mais aussi des arcs-en-ciel d’espoir.