Si une chose devient évidente pour qui suit les actualités des USA au fil des jours, c’est que Donald Trump semble engagé dans une entreprise d’auto-démolition en accélération constante (l’inertie propre à un esprit profondément immature qui s’enferre dans des démarches contre-productives par incapacité à reconnaître ses erreurs et à les rectifier ? Une incompétence terminale ? Une sociopathie héritée de son mentor en affaires, Roy Cohn, qui avait été l’un des deux principaux conseillers du sénateur paranoïaque Joseph McCarthy dans sa chasse aux communistes avant de se reconvertir comme avocat de la mafia new-yorkaise ? Quoi qu’il en soit, Trump semble bien décidé à torpiller l’image internationale des USA, pourtant jusque-là entretenue à grand frais par un appareil de communication tentaculaire : de la presse people jusqu’à Hollywood et aux photos sur papier glacé d’un Obama immanquablement souriant et « cool », tout l’arsenal américain des techniques de séduction des masses était réquisitionné pour participer à fourbir l’image des États-Unis dans le monde.
Et voilà que Trump flanque tout par terre et fâche même les meilleurs vassaux alliés des USA en se retirant d’abord du TPP, puis des accords de Paris sur le climat, puis de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, et pour couronner le tout (pour le moment), à la place de Mike Pompeo, le directeur de la CIA bombardé Secrétaire d’État, il présente la candidature de la « reine de la torture » Gina Haspel, un personnage des plus répugnants – bonne chance aux rédactions européennes pour la vendre à leur audience – à la direction de la CIA.
L’annonce de cette candidature, pour le moment évaluée par le Congrès américain, est stupéfiante à plus d’un titre. D’abord la question de l’image, déjà mentionnée, qui risque de prendre un coup fatal sur la scène mondiale. Puis le fait que les USA sont signataires, depuis 1984, de la Convention des Nations-Unies contre la torture (sans même mentionner qu’il sont également signataires des Conventions de Genève, de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, etc). Autrement dit, les « activités » professionnelles de Gina Haspel, qui supervisait des sites secrets de torture dans des pays officieusement occupés par les USA, étaient illégales au regard du droit international.
Ensuite, selon la propre loi des États-Unis, « quiconque, hors des USA, commet ou tente de commettre des actes de torture sera passible d’une amende à ce titre ou de vingt ans de prison au plus, ou les deux, et si la mort de quiconque résulte d’actes commis en contravention de cette section, le prévenu sera passible de la peine capitale ou d’une peine de prison de longue durée, ou à perpétuité » (18 U.S. Code § 2340A – Torture). Autrement dit, les « activités professionnelles » de Gina Haspel, au regard de la loi des USA, étaient non seulement également illégales, mais plusieurs prisonniers étant morts des suites de ses traitements, elles devraient lui valoir la chaise électrique. La désignation d’Haspel comme candidate à la direction de la CIA prouve donc à la face du monde que les USA se moquent de leurs propres lois et du droit international, y compris des traités qu’ils ont eux-mêmes signés, et qu’ils violent les deux depuis des décennies. En effet, Haspel a débuté sa carrière sanguinaire sous W. Bush et grimpé dans la hiérarchie de la CIA sous Obama.
Qui peut leur faire confiance alors qu’ils s’avèrent incapables de même respecter leurs propres règles ?
Un dernier détail : Haspel, une sadique dangereuse, a mis elle-même mis la main à la pâte en torturant personnellement des prisonniers.
Gina Haspel va presque certainement devenir la prochaine directrice de la CIA. Cela ne devrait pas se produire, mais cela va se produire.
Pour ceux qui ne savent pas : Haspel était chef assistante de l’agence sous le nouveau Secrétaire d’État Mike Pompeo (qui était alors directeur de la CIA). Mais ce n’était pas son premier poste. Elle a également supervisé un programme de torture de la CIA dans un site secret en Thaïlande. En 2005, elle a été promue (probablement parce qu’elle est vraiment forte dans le domaine de la torture) à la tête du réseau mondial des sites de torture de la CIA.
Ce qui en fait quelqu’un d’ignoble, mais probablement un assez bon agent de la CIA.
Pour être clair, ceci n’est ni une théorie, ni une rumeur ou une tentative de diabolisation. Personne ne nie ces faits. C’était son travail. Elle supervisait des camps de torture.
Les réactions de la presse ont été assez décourageantes, pour être franc. Ou du moins, elles l’auraient été, avant que lire les informations et être outré ne devienne mon travail bénévole quotidien.
NBC a dit que cela en fait un personnage « controversé ».
Cet article de CNBC a opté pour un titre superbement écœurant :
Trump choisit Gina Haspel comme première femme à la direction de la CIA – son passé de torture pourrait handicaper sa confirmation
Son « passé de torture » ne signifie pas qu’elle devrait être en prison, ou que c’est un monstre inhumain, ne l’empêche même pas d’occuper un poste officiel, non. C’est juste une complication mineure. Comme une amende pour avoir conduit en état d’ébriété ou une histoire avec une actrice de porno. Qu’elle ait torturé des gens n’est qu’un faux pas un peu gênant.
Pour CNN :
Elle pourrait devenir la première femme à diriger la CIA
… décider de parler de ses parties génitales au lieu de rappeler sa longue histoire de violations du droit international suggère que « Elle pourrait être la première tortionnaire à diriger la CIA » serait un meilleur titre. Même si ce ne serait pas forcément vrai parce que d’autres tortionnaires l’ont vraisemblablement précédée à ce poste, c’étaient des hommes.
Le HuffPo a au moins la décence d’avoir l’air hésitant sur le sujet, mais pas comme vous pourriez l’imaginer :
Le passé noir de Gina Haspel en fait quelqu’un de compliqué à défendre pour les féministes.
« Compliqué à défendre » est une phrase intéressante. D’autres auraient pu opter pour « impossible » ou « moralement répugnant ». Tenter de transformer cela en une sorte d’écueil pour les féministes est écœurant. Comme les consternantes tentatives du Guardian de montrer le « côté sympathique » des soldats sur les photos de torture à Abou Ghraib.
Puisque nous parlons du Guardian… notre ami a publié un nouvel article sur Haspel. Son titre ?
Gina Haspel doit se racheter pour devenir directrice de la CIA
Il ne précise pas comment on peut se « racheter » d’un passé de tortionnaire professionnel, mais c’est le Guardian. Il n’y a pas à raisonner, il y a à bomber le torse en alignant des certitudes morales confortables.
L’article se réfère à la détention et à la torture de gens qui n’avaient été accusés de rien et n’avaient pas été jugés par un quelconque tribunal comme « un des chapitres les plus sombres de l’histoire moderne des USA »… ce qui ressemble tellement à un euphémisme et d’une exagération simultanés que c’en est difficile à corriger.
Ce n’est PAS un des chapitres les plus sombres de l’histoire des USA, ancienne ou récente. Mais seulement à cause des autres choses que les médias ne mentionnent pas. Torturer quelques centaines de gens n’est rien en comparaison d’affamer 500 000 enfants irakiens jusqu’à la mort, si on y pense.
La presse occidentale tend à parler de la torture comme si c’était un dérapage temporaire, un accident. Une bosse sur la glorieuse autoroute de nos « valeurs morales ». Ce n’est rien de tout cela. L’Amérique AIME la torture, nous en avons une longue histoire. La CIA a écrit des manuels d’apprentissage de la torture dans les années 1960. L’Amérique du Nord a torturé des gens pendant des décennies avant de se faire prendre. Ils disent avoir arrêté aujourd’hui, mais ils auraient tout aussi bien affirmé ne jamais l’avoir pratiquée… avant que des fuites ne révèlent la vérité. Cela se produit certainement encore. Croire autre chose serait bien naïf.
Notre bord torture des gens. Des gens qui n’ont probablement rien fait et ne savent rien.
… Non pas qu’être coupable ou détenir des informations justifient la torture. C’est le piège rhétorique posé par les médias quant à la torture : le débat sur son « efficacité ».
Nous n’interdisons pas la torture parce qu’elle ne marche pas, de la même façon que nous ne mangeons pas de bébés parce que ce serait trop cher, et que nous n’interdisons pas l’esclavage parce que les chaînes solides sont difficiles à trouver. L’angle pragmatique est inapproprié. La torture, c’est le mal, et aucune société civilisée ne met cela en doute.
Bien sûr, les « ambiguïtés morales » autour de la question de la torture n’existent que de notre côté. L’autre côté ne connaît pas d’ambiguïté. S’ils emploient la torture – même seulement de façon alléguée – alors il sont mauvais. Les prisons où on torture (jusqu’ici théoriques) d’Assad sont l’une des raisons pour lesquelles nous devrions envahir la Syrie. (Vous vous souvenez, Amnesty International en avait récréé une par modélisation numérique. Elle était fausse). Diverses accusations infondées de torture ont été portées contre Cuba et le Vénézuela au cours des années.
C’est de la « torture » quand ils le font, vous comprenez. Pas des « interrogatoires poussés ». Ce n’est pas « ce que nous sommes », c’est ce qu’ils sont, eux.
Malgré tout cela, Barack Obama reste le seul leader mondial a avoir admis publiquement l’emploi de la torture. Souvenons-nous de cela quand les annonces moralisatrices contre « nos ennemis » se multiplieront.
Les USA ont des cas d’emploi de torture avoués, avérés, couchés par écrits. Assad et Poutine, Téhéran et Pékin, le Vénézuela et Cuba n’en ont pas.
Et les gens qui ont perpétrés ces tortures ? Ils obtiennent de l’avancement.
Imaginez la levée de boucliers si Poutine admettait que le FSB torture des Tchétchènes qui n’auraient commis aucun crime, et s’il appointait l’un des tortionnaires à la tête du FSB ? (1) Notre presse demanderait-elle qu’il se « rachète » ? L’appelleraient-ils un « personnage controversé » ? Ou verrions-nous de longs éditoriaux sur le « mépris des Russe envers les normes internationales » ?
Gina Haspel est une criminelle de guerre. La Haye a littéralement été conçue pour des individus comme elle. Mais elle ne sera jamais poursuivie, (2) elle ne sera jamais jugée, elle ne sera jamais pendue. Parce que c’est l’un des nos montres, et que ses actes malfaisants ont été perpétrés pour notre bord. Elle ne risque aucune vengeance de notre part, nous lui demandons seulement de « se racheter », quoi que cela veuille dire.
Il est très facile d’excuser les monstres que vous créez.
Par Kit
Paru sur OffGuardian sous le titre Gina Haspel and the Normalising of Torture
Traduction et notes Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
https://www.entelekheia.fr/usa-trump-gina-haspel-et-la-banalisation-de-la-torture/
Image Pixabay
Notes de la traduction :
(1) Vu sous cet angle, cela ressemble beaucoup à du fascisme, n’est-ce pas ? C’est parce que, même et surtout quand les USA s’en rendent coupables, c’en est.
(2) Pire : Ray McGovern, un analyste de la CIA retraité devenu lanceur d’alerte, a été brutalisé par la police pour avoir protesté contre la candidature de Haspel. Donc, non seulement elle n’ira pas en prison, mais ceux qui la dénoncent prennent des risques réels, y compris des personnes fragiles comme Ray McGovern, un homme de 78 ans. Les « valeurs occidentales » marchent sur la tête.
(3) Qu’en pense l’opinion publique des Etats-Unis ? Les avis sont partagés. Elle serait « majoritairement en faveur » de la torture (sondage de 2016) et « seulement un tiers » des sondés pensent que la candidature de Haspel devrait être stoppée ». Malgré tout, selon le Washington Post, leur soutien est tributaire du message que leur envoient les leaders des partis politiques pour lesquels ils votent, et auxquels ils ont tendance à se fier. Ce sont donc les politiciens américains qui sont majoritairement pour. Pour revenir à la population, il y a plus : d’après les conclusions d’une étude de 2018, les opinions des sondés dépendent principalement de la façon dont la question leur est posée. Il y a beaucoup de façons de manipuler le public, là-bas comme ici.
Reste la question de la raison pour laquelle Trump tient autant à placer un personnage aussi repoussant que Haspel à la tête de l’agence de renseignements N°1 des USA.