Ce n’est pas le grand soir, mais sera-ce le grand matin ? La France sort mal réveillée, mais éblouie de ce long tunnel électoral, qui aura vu le mirobolant système des primaires interpartis déboucher sur une faillite. Ce dernier sursaut des partis politiques pour se survivre aura entraîné leur affliction générale. Le plus cocasse est que c’est le magicien Emmanuel Macron qui aura réalisé le rêve de Marine Le Pen de dynamiter la célèbre « UMPS » – dérisoire appellation dont elle avait gratifié les deux « partis de gouvernement », dont elle associait les politiques.
Si nous parlons de schizophrénie, c’est qu’au terme des deux tours de l’élection présidentielle nous nous trouvons derrière cette contradiction : à l’issue du premier tour, il est clair que nous avons une majorité d’électeurs qui relève, avec des expressions diverses, de la tendance « souverainiste », c’est-à-dire opposée à l’autre tendance, celle des « Européens convaincus » à visée « fédéraliste », qui est synonyme de la disparition des nations dans un mondialisme sans limites.
Cette dernière tendance est manigancée depuis longtemps par la Commission européenne, une Commission totalement dépourvue de source démocratique et que son actuel président, Jean-Claude Juncker, aura caricaturée au point de déclarer, propos inouï, que la démocratie ne saurait prévaloir sur les traités, puisque selon lui la construction européenne est intouchable. C’était à l’usage des Grecs et des Suisses. Qui parle dès lors de « refonder » l’Union européenne si elle est intouchable ?
Dans le dialogue bilatéral avec la Suisse, la Commission se laisse même aller jusqu’à exiger de celle-ci qu’elle renonce à l’avenir à toute aide d’État aux entreprises en difficulté. C’est par ce principe que la France s’est désindustrialisée à 40 % au cours des dernières années. Pour la Commission, la concurrence libre et non faussée s’identifie en fin de compte au « dumping social » qu’elle a elle-même organisé, notamment avec sa directive sur les « travailleurs détachés ».
Or, le gouvernement issu en France du second tour de l’élection présidentielle reflète de manière brutale le choix de la tendance fédéraliste, rejetée par le pays depuis 2005, ainsi que l’illusion d’une Union européenne réformable, qu’on allait « refonder », alors que cela apparaît impossible au regard d’une tendance minoritaire qui s’approprie l’avenir au moyen d’un nouveau triomphe de la technocratie, laquelle suinte du nouveau gouvernement français.
Cette technocratie, portée par un retour en force inattendu de l’« énarchie », n’est pas sans rappeler nos aventures des années 1930, où la synarchie avait pris le relais du politique anéanti, pour finir par se retrouver majoritairement à Vichy. Le pétainisme du temps de paix, c’est aujourd’hui notre retour programmé par Nicolas Sarkozy, ripoliné par François Hollande, sous la coupe d’une Amérique qui ne rêve que de ressusciter la guerre froide alors que depuis la chute de l’Union soviétique et l’effondrement de son idéologie, tout commandait à la France de prendre la tête de cette Europe de l’Atlantique à l’Oural dont le général de Gaulle avait tracé la voie.
La politique étrangère de la France sous les deux quinquennats précédents, de Sarkozy à Hollande, de Juppé à Fabius, a été un déni de réalité et une catastrophe abrités sous les oripeaux d’un droit-de-l’hommisme bêta et sans colonne vertébrale. Or nous ne savons rien des options d’Emmanuel Macron ni de son nouveau ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, alors que nous avions avec François Fillon, en dépit du reste, le soupçon d’un retour à nos fondamentaux en politique étrangère. C’est cette ligne qui rencontrerait en France le meilleur consensus. Là encore, on va s’asseoir sur la volonté clairement exprimée des Français. Schizophrène, la France, vous dis-je…
On nous parle d’une philosophie d’Emmanuel Macron, supposée empruntée à Paul Ricœur, qui consisterait à n’être ni de droite ni de gauche, mais « en même temps ». Je chercherais plutôt dans le Port-Royal de Montherlant la philosophie de la Sœur Angélique de Saint-Jean prononçant : « Il y a de tout dans certaines âmes. Et parfois dans le même moment. » En morale, c’est un tourment. En politique, c’est une cuisine. Il n’y a aucune politique possible pour la France dans un pseudo-fédéralisme européen à la Sarnez, nouvelle ministre chargée des Affaires européennes – une Europe dont Sylvie Goulard, invraisemblable titulaire du maroquin des Armées, voulait priver la France du siège strasbourgeois du Parlement européen, parce que les allées et venues entre Strasbourg et Bruxelles la dérangeaient. Curieuse conception des intérêts de la France… Avec de tels apparatchiks, le grand matin risque de faire retour au crépuscule de la veille.
La question européenne pourrit la politique de la France depuis le déplorable traité de Maastricht de 1992, adopté de justesse dans des conditions contestables. Quand cessera-t-on de qualifier d’« anti-européens » ceux qui ne font que contester le fonctionnement actuel de l’Union européenne ? L’Europe est à tout le monde, du moins à tous les Européens, qu’ils soient pour ou contre le fonctionnement actuel de l’Union. Rappelons-nous cette réflexion de Chateaubriand qui nous semble plus actuelle que jamais : « Je respecte l’opinion de l’Europe, mais elle ne sera jamais une autorité pour moi, en ce qui concerne les intérêts particuliers de mon pays ; je suis trop français pour oublier un moment ce que je dois à l’indépendance de la France. »