Le leader du PNT déclare que « Ghannouchi et Jebali sont des démocrates et Marzouki est opportuniste ». et que pour ces raisons qu’il « soutient l’initiative d’Essebsi ».
M. Faouzi Elloumi, président du Parti national tunisien, s’est dit optimiste quant à l’avenir de la Tunisie et serein quant à l’avenir de la démocratie dans le pays. Il a aussi indiqué que son appui fort à l’initiative de Béji Caïd Essebsi procédait d’un désir impérieux de créer une force politique à même d’apporter l’équilibre nécessaire au paysage politique tunisien afin de garantir une démocratie véritable et harmonieuse dans la Tunisie nouvelle. Dans ce même entretien, Elloumi parle de l’aile démocrate au sein du mouvement Ennahdha et de ce qu’il appelle « l’opportunisme » du président de la République provisoire Moncef Marzouki.
Afrique Asie : Avez-vous achevé la mise en place des bureaux régionaux du parti ?
Nous avons fini de mettre de l’ordre dans notre maison intérieure. Aujourd’hui, presque l’ensemble de nos bureaux fonctionnent correctement.
Quel fut l’impact du départ de quelque cinq partis qui se sont retirés d’un seul coup du Parti national tunisien ?
Ce départ n’a pas eu d’impact significatif dans la mesure où les partis qui ont quitté notre groupe n’étaient pas des partis forts et suffisamment structurés. A ceci s’ajoute le fait que certaines structures de ces partis ne se sont pas retirées du Parti national tunisien qui n’a donc pas eu à s’en ressentir.
Votre parti est un puissant support de l’initiative de Béji Caïd Essebsi. On dirait que vous lui avez donné un chèque en blanc.
Non. Nous n’avons donné de chèque en blanc ni à Béji Caïd Essebsi ni à personne d’autre. Nous travaillons à un grand projet destiné à jeter les jalons d’une force politique capable de rééquilibrer le paysage, de manière à ce que les valeurs démocratiques prennent racine dans la Tunisie nouvelle. Car, à défaut de force politique capable d’assurer l’alternance politique au pouvoir on ne saurait parler de démocratie véritable. En l’absence de cette partie politique forte, nous resterons dans une réalité quasi dictatoriale. Le meilleur exemple nous en est fourni par le monde développé et démocratique. Dans les différentes démocraties occidentales bien établies, il y a toujours deux grandes forces politiques qui se relaient au pouvoir avec, entre elles, une sorte de compétition lors des élections et de la coopération en temps de crise. Les autres petites formations n’en restent pas moins indispensables pour équilibrer la situation afin de permettre l’expression des sensibilités minoritaires et, le cas échéant, contribuer à la constitution d’une majorité viable pour gouverner.
Cela veut-il dire que le Mouvement Ennahdha n’a d’autre concurrents que les Destouriens ?
Non, je n’ai pas dit ça, d’autant que l’initiative de M. Béji Caïd Essebsi ne comprend pas que les Destouriens. C’est une initiative qui a pour crédos le centrisme et la modération. Si certaines de ses composantes ont émis des réserves, c’est au sujet des intentions de ceux parmi l’aile radicale du Mouvement Ennahdha qui veulent changer, voire de faire régresser le modèle de société de la Tunisie, à l’inverse de l’aile démocratique du mouvement, plutôt modérée. Notre vœu est que le courant modéré l’emporte au congrès du mouvement, prévu à la mi-juillet. Si tel est le cas, nous serons plus rassurés quant à l’avenir de la Tunisie.
Mais les sociétés sont rétives à tout modèle qui serait en opposition avec leurs spécificités…
Faute de parti fort, capable de défendre les choix stratégiques de la société, tous les projets de réforme tomberont à l’eau. Méditons l’exemple de certaines personnalités qui ont échoué aux élections de l’Assemblée nationale constituante malgré leur popularité et leur présence qui sont les siennes dans les différents milieux de la société tunisienne. Ceci est la preuve tangible que tout projet ou toute personnalité doivent être portés par un parti fort. De même, le rapprochement clair entre les différentes familles politiques centristes et démocratiques tend à fédérer les efforts et non à les disperser.
Mais l’initiative pourrait-elle s’accommoder du problème des égos qui fut directement à l’origine de l’échec de nombreux partis aux dernières élections ?
Aussi bien avant qu’après les élections, nous nous sommes employés à constituer des coalitions sans parvenir à trancher le problème des égos. Certains dirigeants de partis n’étaient pas en effet prêts à des concessions, ce qui provoque la crise. La solution serait qu’il y ait une personne qui peut être acceptée par tous les dirigeants des partis sans contestation possible.
C’est-à-dire Béji Caïd Essebsi ?
Oui. Lui n’a pas d’ambition politique. Il œuvre à fédérer cette famille élargie. Il sera question, par la suite, de s’entendre sur celui qui sera le candidat du Mouvement l’Appel de la Tunisie. M. Béji Caïd Essebsi aura, ainsi, été le catalyseur du projet de coalition entre les forces politiques démocratiques centristes et réformatrices, à l’instar de la famille islamiste conduite par Cheikh Rached Ghannouchi qui, lui aussi, dit ne pas avoir d’ambition politique, d’autant que son parti dirige le gouvernement et la coalition tripartite alors qu’il aurait pu accéder à n’importe quelle haute fonction de l’Etat. C’est, à mon avis, le fédérateur de toutes les composantes de la famille islamiste.
Qu’est-ce qui garantit le succès de l’initiative de Béji Caïd Essebsi afin qu’elle représente l’alternative politique à même de rétablir l’équilibre ?
Un parti ne peut pas réussir s’il est régi par un seul courant. Tout grand parti dans le monde se réclame d’une même idéologie tout en ayant, en son sein divers courants qui en garantissent la pérennité et qui se complètent. Il en va ainsi de l’initiative de M. Béji Caïd Essebsi qui comprend maints courants qui ont en commun de défendre les valeurs démocratiques et modernistes. En ce qui nous concerne, nous serons un courant réformateur parmi d’autres et ne nous dissoudrons pas dans ce nouveau parti. Nous avons nos propres idées et approches qui pourraient différer de celles de certaines composantes de cette initiative. Moi-même, par exemple, je ne peux pas être communiste, mais je n’exclus pas pour autant d’œuvrer avec des politiques porteurs de cette idéologie pour servir des objectifs et valeurs démocratiques qui nous rassemblent.
Le Mouvement l’Appel de la Tunisie sera-t-il un grand parti concurrent à Ennahdha ?
Non. Nous serons les partenaires d’Ennahdha. L’alliance des partis Ettakatol et le CPR n’est plus une alliance de partis mais d’individus dans la mesure où la coalition s’est effritée. La réalité de la Troïka aujourd’hui est que c’est Ennahdha qui gouverne pratiquement.
Vous êtes proche du parti d’Ennahdha. Jebali ne vous a-t-il pas convié, en effet, au dîner offert en l’honneur du Chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane ?
Je me vois proche des démocrates du Mouvement Ennahdha comme M. Hamadi Jebali et M Rached Ghannouchi. Les déclarations de Cheikh Rached penchent toujours du côté des choix démocratiques. Son intervention pour trancher la question de l’article 1 de la Constitution au sein même de Mouvement en dépit de l’opposition du courant conservateur qui y était hostile au nom de l’attachement à l’inscription de la Charia dans la Constitution en tant que source fondamentale et unique de la législation illustre bien mon propos.
Mais le Mouvement Ennahdha soutient le projet de décision sur l’exclusion politique qui pourrait mettre hors-jeu un certain nombre de militants d’un parti…
Je ne le crois pas. Il est vrai qu’il y en a, dans le Mouvement Ennahdha, qui appuient ce projet proposé par le groupe du Congrès pour la République. Je n’en suis pas moins persuadé que les démocrates d’Ennahdha ne soutiendront pas ce projet.
Je ne pense pas qu’un mouvement politique dont les militants furent exclus arbitrairement puisse soutenir l’exclusion des militants d’un mouvement tiers. Dans l’intérêt de la Tunisie et dans celui de la transition démocratique, nous nous devons de mettre fin au cercle vicieux exclusion-vengeance. Les fautes du passé ne peuvent justifier de nouvelles fautes ni aujourd’hui, ni demain.
Au cas où Ghannouchi et Jebali apportent leur soutien au projet de décision, maintiendrez-vous votre position à leur sujet ?
Je ne pense pas que Ghannouchi et Jebali appuieront ce projet.
Il se trouve qu’en Egypte l’exclusion des figures de l’ancien régime a été retenue…
La Cour constitutionnelle suprême d’Egypte a invalidé jeudi cette décision pour cause d’inconstitutionnalité, en vertu de quoi Ahmad Chafiq, dernier Premier ministre de l’ère Moubarak se maintient au deuxième tour de la course à la présidence. Nous gagnerions à nous inspirer de cette position adoptée par la plus haute juridiction égyptienne contre l’exclusion. Laissons aux électeurs la liberté de choisir ou d’écarter qui ils veulent par la voie des urnes. Révolu est le temps où une tutelle pouvait être imposée à la volonté du peuple.
Comment évaluez-vous le rendement du gouvernement dans la gestion des affaires publiques, s’agissant en particulier du dossier de la sécurité ?
Pour beaucoup, le gouvernement paraît hésitant. Les positions de ses membres manquent d’harmonie. Certains ministres de ce gouvernement parlent de tout, y compris hors de leurs attributions. Ce n’est, en fin de compte, qu’un gouvernement provisoire qui ne peut pas régler tous les problèmes en un court laps de temps. Nous en convenons. Mais le rendement du gouvernement est handicapé par l’incompétence de certains de ses ministres et par son absence de volonté de faire appel aux compétences nationales expérimentées pour des considérations politiques qui n’ont pas de raison d’être. Quant au dossier sécuritaire, c’est un dossier assurément épineux et délicat qui ne peut aucunement être traité à coup de rumeurs et par l’instrumentalisation politique par quelque partie que ce soit. Il y va avant tout de l’intérêt national supérieur de faire face aux risques de violence et surtout de terrorisme.
Parie-t-on sur le dialogue avec les extrémistes et les ultras ?
Nous ne sommes pas contre le dialogue avec qui que ce soit. Nous savons bien que certains étiquetages pourraient être injustes et servir d’alibi à exclure l’autre. Il ne faudrait pas, non plus, utiliser le dialogue comme prétexte à la non application de la loi.
Quelle lecture faites-vous des déclarations contradictoires et de temps en temps aux antipodes les unes des autres de la Présidence de la République et de la Présidence du gouvernement ?
L’explication en est que M. Moncef Marzouki a commencé prématurément sa campagne électorale et veut se présenter au peuple sous l’image du rebelle réfractaire au Mouvement Ennahdha. Chaque fois qu’il se rend compte de son incapacité à changer la réalité des choses parce que dépourvu des compétences qui l’autoriseraient à le faire ou par défaut de visibilité, nous le voyons pousser ses conseillers à s’en prendre au gouvernement. Je ne pense pas qu’un porte-parole de la Présidence puisse agir de son propre chef. Il est en effet pour le moins surprenant d’entendre le porte-parole officiel de la Présidence de la République plaider pour l’arbitraire et trouver à redire au sujet du fonctionnement de la justice et proférer contre des membres de l’ancien pouvoir des accusations gratuites et sans preuves d’implication dans les récents faits de violence. Nous ne pouvons pas faire confiance à Moncef Marzouki parce qu’il soutient tout le contraire des valeurs et principes des droits de l’Homme qu’il avait longtemps prétendu défendre. Ainsi, il apporte son soutien au projet relatif à l’exclusion politique collective tout en se présentant comme militant des droits de l’Homme. Extraordinaire paradoxe s’il en est. C’est encore lui qui avait promis des réformes dans un délai de six mois, faute de quoi il démissionnerait. Mais il vient aujourd’hui nous dire que la Tunisie se porte bien et qu’il refuse de démissionner alors que la réalité est tout à l’opposé de son propos. C’est quelqu’un d’opportuniste aux positions changeantes.
Le taux de croissance annoncé serait-il un signe positif ?
L’économie tunisienne est par essence robuste et capable de résister. Mais quand la sécurité fait défaut et les grèves se multiplient, il devient difficile de maîtriser l’économie et ses indicateurs. Nous devons nous employer à ce que l’économie retrouve sa vitalité. Autant nous devons nous réjouir de l’amélioration du rendement de l’économie, autant la dégradation de la notation souveraine de notre pays nous afflige.
Mais la grève n’est-elle pas un des droits des travailleurs ?
Ceci est incontestable. Mais les grèves obéissent à des règles et sont encadrées par des mécanismes. Elles doivent être précédées d’un préavis et constituer la solution ultime lorsque les canaux de dialogue viennent à faire défaut. Or, la plupart des grèves qui ont lieu en Tunisie sont impromptues et imprévisibles, ce qui rejaillit négativement sur l’économie nationale. De même, l’inquiétude du promoteur, de l’investisseur, de l’agent administratif et de tous les acteurs économiques empêchent l’économie de renouer avec son rythme d’activité habituel. C’est l’investisseur et non le gouvernement qui a la haute main sur l’économie d’autant que ce dernier, au lieu d’apporter un concours déterminant à l’effort de développement, a tendance à freiner l’investissement.
Serait-ce à dire que l’homme d’affaires tunisien recherche la quiétude pour renouer avec l’investissement ?
Tout-à-fait. C’est le vœu des hommes d’affaires et des investisseurs partout dans le monde.
Envisagez-vous avec optimisme l’avenir de la Tunisie ?
Absolument. Je suis optimiste car les contretemps passagers sont dans l’ordre des choses lors des révolutions. J’ai la certitude que la Tunisie sera le premier pays véritablement démocratique de la région à s’engager dans un pouvoir véritablement démocratique pour peu que nous abandonnions le processus de l’exclusion et de règlements de comptes. La Tunisie se doit d’ouvrir la voie de la participation à l’ensemble de ses enfants, de se focaliser sur la construction de l’avenir et de tourner la page du passé. Elle a les atouts nécessaires pour devenir une puissance économique prospère.