L’article ci-dessous a été publié initialement dans le Bangkok Post, le 14 Octobre 2003, à l’occasion du trentième anniversaire de cet horrible massacre.
Les massacres des « barils rouges » de Phattalung il y a 30 ans
Les massacres des barils rouges, il y a 30 ans, représentent les excès de la contre-insurrection dont personne ne veut parler. Mais les souvenirs ont la vie dure et la façon la plus saine de vivre avec les horreurs est de les admettre.
Au moins 3008 personnes, accusées d’être des suspects communistes [chasse aux communistes organisée avec la CIA, ndlr], ont été tuées après avoir été enfermées vivantes dans des barils de pétrole de 200 litres et incinérées [Le nombre cité par le Bangkok Post, est le nombre prouvé de Thaïlandais ayant été incinérés vivants par l’armée thaïlandaise. Il semble que le vrai chiffre approche les 25000, ndt]. Les atrocités ont commencé dans des camps militaires dans un petit village de la province de Phattalung deux ans avant les événements du 13 octobre 1973, et ont continué jusqu’en 1975, selon un ancien officier de la police spéciale.
Croquis des barils rouges et du mémorial publié dans le Bangkok Post le 14 octobre 2003
Afin de mettre au repos les âmes des villageois, des milliers de personnes des provinces méridionales de Phattalung, Surat Thani, Songkhla, Trang et Nakhon Si Thammarat, ont convergé de manière à organiser des rites religieux dans une plantation de caoutchouc à Ban Kho Lung, un village situé dans le sous-district de Si Nakarin de la province de Phattalung le 10 Avril de cette année (2003).
Aujourd’hui, le terrain (où ont eu lieu les massacres) est occupé par deux compagnies de soldats, l’une de la caserne Senanarong à Songkhla, et l’autre de la caserne Ingkayuth Boriharn à Pattani. « C’était la politique du gouvernement du général Thanom Kittikachorn afin de se débarrasser, de façon décisive, des insurgés communistes », a expliqué l’ancien officier de la police spéciale. Mais le gouvernement n’a jamais précisé ce que « façon décisive » signifiait. Alors qu’à Ban Kho Lung, les soldats mettaient les suspects dans des barils rouges afin de les incinérer, les forces armées de Nakhon Si Thammarat massacraient des familles entières et laissaient les corps sur place, a-t-il ajouté. « En tant que subordonnés, les fonctionnaires n’ont fait que suivre les ordres. Les erreurs étaient inévitables. »
La police a également joué son rôle dans la répression drastique, tuant des suspects sur la base de listes transmises par les unités de renseignement, a-t-il confirmé. Ils ont envoyé certains des suspects dans les camps militaires à Ban Kho Lung. Mais l’officier a souligné qu’il n’a jamais assisté à l’une des exécutions des barils rouges. Ce massacre mené par l’armée et la police a conduit des milliers de villageois à rejoindre le Parti Communiste hors la loi de Thaïlande.
Fon Silamul, qui est aujourd’hui conseiller provincial, était l’un d’eux, son front opérationnel était la chaîne de montagnes Phu Banthad. Il se souvient comment la peur l’a convaincu de se joindre au Parti Communiste après que des soldats et des policiers se soient rendus au domicile de ses parents et aient embarqué tous les hommes afin de les interroger au camp de Ban Kho Lung. Lorsque les parents sont allés visiter les hommes au camp deux jours plus tard, on leur a dit que certains avaient été libérés mais que d’autres étaient maintenant morts. Mais aucun (y compris les soi-disant « libérés ») n’est jamais rentré chez lui.
Fon a affirmé qu’il ne se souvenait pas d’un seul homme, « jeune ou vieux », qui soit resté chez lui dans les villages de Ban Na, Lamsin, Khao Khram, Ban Tone, Ban Loh Kwai, Ban Lam Nai, Ban Na Wong, Ban Rai Nua et Ban Kongla après que les nouvelles aient commencé à circuler comme quoi les personnes accusées d’aider le Parti Communiste Thaïlandais étaient brûlées vives. « Que pouvaient faire les villageois comme nous alors que nous étions pris en sandwich entre les représentants du gouvernement et ceux du PCT? Si nous refusions de coopérer avec l’un ou l’autre nous nous mettions en grand danger. Prendre parti pour le PCT semblait être la meilleure façon de survivre dans des circonstances sous lesquelles les agents de police et de sécurité ne pouvaient nous fournir une protection (bien au contraire) et tout nous semblait être un véritable gâchis ».
Fon se souvient des voyous et des voleurs qui sont venus voler du bétail la plupart des nuits jusqu’à ce que il n’y ait plus un seul animal dans son village. La police craignait pour sa propre sécurité car elle était surpassée en nombre par ces gangs. Elle refusait de répondre aux appels des villageois lui demandant d’extirper les voleurs. Quand les gens ont constatés qu’ils ne pouvaient pas compter sur les représentants du gouvernement, ils se sont tournés vers les membres du front uni du Parti Communiste Thaïlandais qui s’étaient installés dans la région « neuf ans plus tôt » (depuis le début des années 1960). Ces hommes et ces femmes ont promis de les sauver des atrocités militaires et de maintenir la loi et l’ordre.
Les choses sont devenues pire pour de nombreux villages qui étaient suspectés d’abriter parmi eux des membres du PCT et des hooligans et les chefs de village dénonçaient souvent des personnes innocentes mais avec qui ils étaient en conflit. Ces gens ont été arrêtés mais n’ont pas été exécutés avant l’année 1970. Auparavant, ils devaient subir une « rééducation ».
Les massacres ont commencé en 1970, quand des « rangers » ainsi que des groupes d’escadrons de la mort de Lop Buri et les troupes de la caserne Ingkayuth Borihan ont été envoyés pour écraser les insurgés communistes. Lorsque on a demandé à M. Fon et à d’autres villageois vivant près du camp de Ban Kho Lung comment ils savaient que les personnes arrêtées devenaient plus tard les victimes des barils rouges flamboyants, ils ont expliqué qu’ils pouvaient entendre le bruit des camions militaires, utilisé pour couvrir les cris de ceux que l’on brûlait vif, tout au long de la soirée après que des suspects communistes aient été amenés dans le camp. Les villageois sentaient l’odeur de brûlé de la chair humaine et voyaient les fumées s’élever dans le ciel nocturne. « Dans le même temps, certains villageois de Surat Thani arrêtés ont été jetés à partir d’hélicoptères sur la chaîne de montagne de Phu Banthad, » affirme M. Fon.
Quand on lui a demandé s’ils avaient des preuves de cette tuerie de masse, M. Fon et d’autres villageois ont dit avoir trouvé des crânes et des ossements humains éparpillés le long de Klong Muay, à côté du camp de Ban Kho Lung, après sa fermeture à la fin de 1975. « Beaucoup d’enfants utilisaient ces crânes pour jouer au football et on nous a dit que les cendres ainsi que les autres restes avaient été jetés dans Lamphan, une partie de Thalae Luang (Thalae signifie grand lac ou mer) à Phattalung. » Les habitants de Phattalung ne savent pas grand chose sur les atrocités des barils rouges. Tout ce qu’ils savent, c’est que les soldats tuaient les communistes parce qu’ils étaient en guerre avec les troupes gouvernementales.
Le chiffre de 3008 personnes exterminées dans des barils rouges a été dévoilé en 1975 par les membres d’un comité enquêtant pour la Fédération étudiante de Thaïlande qui avait été envoyés pour visiter la région afin de recueillir des informations sur les victimes. Il n’y a pas d’exemplaires connus de ce rapport disponible actuellement.
Les villageois ont dit qu’ils n’avaient aucune rancune contre ceux qui ont apporté tant de terreur dans leur vie. Ils n’avaient aucun désir de se venger contre la police et l’armée. « Oublions le passé, et modifions nos différences d’idéologie », a déclaré M. Fon. « Je comprends parfaitement que les troupes impliquées dans l’affaire des barils rouges devaient suivre les ordres et les villageois pensaient se battre pour leur survie et pour une vie meilleure. Personne n’était vraiment en faute car il était très fréquent de voir des pertes des deux côtés lorsque chaque partie prétendait se battre pour un meilleur système de décision ».
Pour l’ancien officier de la police spéciale, les événements d’il y a 30 ans peuvent être considérés comme un cas de réaction disproportionnée de l’Etat. Mais pour les fonctionnaires de l’Etat, puis, le danger rôdait dans tous les coins, en particulier dans le district de La Kong, dans lequel ils ne pouvaient pas se rendre, pas même quand le nombre des morts a commencé à monter.
Les massacres des barils rouges a pris fin en 1975, deux ans après la chute du régime Thanom, et lorsque la Thaïlande a établi des relations diplomatiques avec la Chine, a expliqué l’officier.
Bien que les souvenirs des événements de Ban Kho Lung s’estompent, la plupart des villageois qui ont survécu aux horreurs refusent toujours d’en parler.
Leur seul désir, disent-ils, est de faire du mérite en l’honneur de ceux qui ont péri dans les barils rouges parce que « quand ces gens ont été tués, ils n’ont eu aucune chance de voir des moines pour leur dernière bénédiction ». « Nous voulons que le cas des barils rouges soit une leçon et ne soit pas oublié par la prochaine génération car leurs ancêtres ont sacrifié leurs vies pour la démocratie. » affirme un villageois.
Un groupe de villageois a déjà acheté un lopin de terre 450 000 baht afin de construire un centre d’information et un monument aux morts, un plan qui suscite apparemment l’opposition des autorités de l’Etat, et parmi elles celle de l’ancien agent spécial.
Mais comment les fantômes des barils rouges pourront-ils se reposer?
Source :https://asiaprovocateur.blogspot.co.uk/2014/06/roasting-people-alive-thai-armys-red.html
Traduit et publié le 30 juin 2014 par Liberez-somyot
Lire aussi: https://arretsurinfo.ch/les-etats-unis-ont-soutenu-le-massacre-dun-demi-million-dindonesiens-en-1965/