Concha Buika chante pour vivre et vit pour chanter. C’est l’évidence qui s’impose, comme une réplique soudaine aux questionnements qui surgissent dès que les premières notes d’une voix rude et implacable nous raclent le cœur : « D’où vient-il cet élan sensuel, ce souffle tragique qui émane contagieux lorsqu’elle foule la scène totalement libre devant son public ? » Nous nous étions ainsi interrogés en écoutant encore son septième album, La noche mas larga, qui vient de paraître. Puis, nous l’avons rencontrée et lui avons demandé… de nous introduire dans l’univers de ses émotions. « Mon inspiration vient de l’absence de la peur de vivre et de la reconnaissance de ma liberté, nous a-t-elle confié. J’ai le courage de vivre, je vis et je raconte. Et je ne crains pas le jugement des gens, car tous ont droit aux erreurs, tous en font. »
Maria Conception Balboa Buika, « Concha » Buika, ou plus simplement Buika dans sa carrière de chanteuse, est née un 11 mai 1972 à Palma de Majorque, dans l’archipel des Baléares, en Espagne. Ses parents y sont arrivés de Guinée Équatoriale, des profondeurs d’une Afrique entourée de forêts denses et d’eaux océaniennes, où les anciens rituels cosmogoniques survivent dans l’expressionnisme des gestes et l’étirement sublime des chants.
À Palma, Buika passe son enfance au milieu d’une communauté gitane et en apprend les envolées fiévreuses et sombres d’un répertoire de chanson issues d’un périple millénaire. « Le flamenco a toujours été en moi, car je suis née et j’ai grandi dans le Barrio Chino, le quartier des Gitanes. Quant à mes origines, je sais que mes ancêtres sont présents en moi. »
Dès qu’elle explose sur la scène, les évocations de ces deux mondes, l’africain et le gitan, mais aussi d’autres, s’y invitent dans la fougue des gestes et les fulgurances d’une voix voilée. Legs croisés, liens obscurs, difficiles à déchiffrer.
Séduit par cette tempête vocale, l’écrivain djiboutien Abdourahman Weberi ne s’était-il pas exclamé : « Buika, c’est aussi des mondes mêlés, si distants et si proches, si différents et si semblables dans chaque note, chaque couplet et chaque respiration. Buika, ce sont les inflexions rauques de la grande diva du jazz, la flamme du flamenco, la générosité des percussions et les mystères du pays de ses parents. »
Avant de rédiger ces lignes, Waberi avait écouté Mi Nina Lola, le quatrième album de Buika, paru en 2006. Dans ses deux plages « Buleria Alegra » et « Loca », l’éclat vif de la musique andalouse est harcelé par les frappes sourdes et têtues des tambours de la grande forêt équatoriale.
La voix habitée du flamenco et le battement de l’Afrique. Le vécu de l’artiste et sa mémoire génétique. Le miracle d’une rencontre inopinée. Car, comme le dit Buika : « La liberté est un rêve magnifique et la vie est un miracle. À 41 ans, je n’ai pas d’identité… Finalement, mon identité est sur une note libre. »
La noche mas larga, Warner Studio.