Le ragoût du Brexit n’en finit plus de bouillir et va donner du goût à la politique britannique pendant de longues années.
La défaite de l’establishment britannique dans l’affaire du référendum sur le Brexit a été aussi inattendue (par eux) que capitale. Une armée hétéroclite de Brexiters dotée de leaders tout à fait inhabituels a triomphé de l’élégante Brigade des Rolls Royce de la Garde de l’UE dirigée par l’intégralité des grands de ce monde.
Je faisais partie de l’armée hétéroclite, mais davantage comme un guérillero, souvent derrière les lignes ennemies. Je devais garder ma liberté d’action parce que personne ne s’attendait à ce que je prenne des ordres de Boris Johnson, de Michael Gove ou de Liam Fox* – et même si j’étais en contact avec des gens comme Nigel Farage et son mouvement, nous savions tous deux que nous serions plus efficaces séparément. Notre vision de la Grande-Bretagne de l’après-Brexit est tout simplement trop différente.
Quand j’ai vu tous les ex-Premiers ministres vivants poser pour les photographes du camp du Remain, j’ai su que nous gagnerions. Avec un remarquable manque de recul, la classe dirigeante britannique n’a pas réalisé que le référendum portait tout autant sur leur action que sur l’UE. Ils n’avaient pas davantage compris que le peuple déteste cette classe politique, et que sa vengeance était enfin à portée de main.
C’était une révolte contre l’austérité, contre des années de baisse de niveau de vie pour les travailleurs, les chômeurs et les sous-employés.
La dégradation post-industrielle de pans entiers du pays, l’aliénation dans les villes et les communautés côtières, une suspicion devenue certitude selon laquelle ceux qui militent pour l’UE ne le font pas par amour, mais par intérêt. Un intérêt de toute évidence non partagé.
Les décennies de subversion d’institutions comme les médias, les universités et même les syndicats à coups des copieuses subventions de l’UE étaient plus que suffisantes pour obtenir l’adhésion aux élites et à leur compradores dans des contextes moins tendus. Mais face au test de résistance d’un référendum, elle était vouée à dérailler. Il n’y avait tout simplement pas assez de subventions pour arroser tous les mécontents.
Pour couronner le tout, la soi-disant liberté de mouvement d’une main-d’œuvre souvent bon marché de l’Europe de l’Est dans un marché du travail britannique déprimé — dérégulé, désorganisé, peu qualifié, précarisé, atomisé — était saluée par l’élite qui en bénéficiait comme une sorte « d’internationalisme progressiste ». Ceux qui s’en désolaient étaient simplement « des racistes ».
Et ce, même si l’immigration de l’UE était majoritairement blanche et que les premiers touchés par cette immigration étaient, de façon disproportionnée, des Noirs britanniques originaires du Commonwealth. Cela s’étendait jusqu’à moi, d’ailleurs !
Après toute une vie dans la cause anti-impérialiste et en tant que père de deux enfants arabes et de deux enfants indonésiens, j’étais apparemment devenu moi aussi un raciste parce que soutenais le camp du Brexit.
Mais tout cela s’est retourné contre ses auteurs, comme nous le savons aujourd’hui. Les dirigeants, les experts, les riches et les puissants ont été défaits par la jacquerie de 2016. Et ils n’arrivent plus à dissimuler leur colère, qui ne s’est pas calmée mais n’a fait que s’échauffer à mesure de l’approche de l’heure du départ.
Le Brexit tient aujourd’hui la Grande-Bretagne dans une impasse politique. L’élite dirigeante ne peut pas compter sur son propre parti, les conservateurs, pour servir ses intérêts et faire capoter le Brexit, ou du moins atténuer son impact en bricolant une solution de compromis.
Ceci parce que plus d’une centaine de députés conservateurs ne peuvent pas ou ne veulent pas défier leur base d’électeurs, qui reste farouchement anti-UE.
Les dirigeants ne peuvent pas non plus chercher de réconfort, comme ils l’auraient ait autrefois, dans un Parti travailliste transformé en bon toutou.**
Sous la nouvelle direction, les syndicats ne défendront pas leur bifteck
Outre leurs décennies d’euro-scepticisme, les dirigeants travaillistes actuels ne sont pas idiots. Des millions d’électeurs travaillistes — peut-être 5 millions — ont voté pour le Brexit. Près de 70 % des sièges parlementaires détenus par les travaillistes ont voté pour le Brexit.
Et même si plus d’une centaine de députés travaillistes n’ont qu’une seule idée, trahir leur leadership pour diverses raisons,*** leur nombre s’équilibre avec celui des partisans purs et durs du Brexit de leur camp, ce qui rend leur rébellion superflue. Ainsi, d’ailleurs, que leur carrière.
Ainsi, les personnes les plus riches de la Grande-Bretagne, tout le capital financier, la plupart de ce qui reste de capital industriel, les grands intérêts agricoles, la fonction publique, la BBC, la majorité des médias, l’État profond sont dans un état de stase. Et tout ce qu’ils peuvent faire, c’est fulminer. Mariner dans leur colère.
Leur idée d’un deuxième référendum s’est échouée sur des rochers saillants. Ils auraient toutes les chances de le perdre à nouveau.
Même si, par un prodige quelconque, ils pouvaient retourner la situation, Barry Gardiner, un membre du cabinet fantôme travailliste qui sait prendre la direction du vent, a averti cette semaine que la Grande-Bretagne verrait, « en quelques semaines », la plus forte augmentation de la droite jamais vue dans son histoire. La paix sociale du pays serait plus menacée que jamais auparavant depuis des siècles. L’existence du système lui-même pourrait être remise en question.
Les travaillistes ne soutiendront pas un deuxième référendum, non plus qu’une grande partie du Parti conservateur.
Ils ne peuvent pas aller de l’avant, et ils n’osent pas revenir en arrière. La classe dirigeante britannique est dans un bateau sans rames. C’est son heure la plus sombre.
George Galloway a été membre du Parlement britannique pendant presque trente ans. Il présente des émissions de radio et de télévision (y compris sur RT). C’est un célèbre réalisateur, écrivain et orateur.
Paru sur RT sous le titre Brexit now holds Britain in a headlock – George Galloway
https://www.entelekheia.fr/2018/08/23/royaume-uni-le-brexit-tient-les-elites-britanniques-en-echec/
Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Notes de la traduction :
* Boris Johnson, Michael Gove, Liam Fox : trois conservateurs (tories) partisans du Brexit de la frange néolibérale de droite.
** George Galloway fait allusion à l’époque où le Parti travailliste était mené par Tony Blair et les néolibéraux de « gauche ». Comme chacun sait, la direction du Labour est aujourd’hui passée à Jeremy Corbyn.
*** Ce sont les « blairites », les néolibéraux de Tony Blair restés dans le Parti travailliste. Ceux-là militent activement, et souvent agressivement, pour un retour à la ligne politico-économique de leur ancien leader.