Voici le témoignage que les juges de Versailles auront à lire avant de rendre leur décision le 14 mai prochain. Merci à Jean Ziegler, Vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
Genève, le 4 mars 2018
Madame la Présidente,
Avec consternation j’apprends l’accusation portée contre Madame Olivia Zemor pour discrimination, au sens de l’article 24 de la loi de 1881, suite à son soutien au boycott culturel mis en œuvre contre le gouvernement de Tel Aviv par la chanteuse Vanessa Paradis. Madame Zemor est une personnalité du monde de la culture internationalement respectée, directrice d’une librairie prestigieuse et militante influente des droits de l’homme.
En appelant au boycott culturel du gouvernement de Tel Aviv, elle n’a fait, comme des centaines de milliers d’autres personnes, qu’exercer son droit à la libre expression de son opinion tel qu’il est garanti par la Constitution de la République française et par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies.
Les très nombreuses violations des droits de l’homme commises d’une façon répétée par le gouvernement de Tel Aviv – tortures, arrestations arbitraires, incarcérations administratives d’opposants politiques, emprisonnement d’enfants mineurs, exécutions extrajudiciaires, assassinats ciblés d’opposants, etc. – sont régulièrement condamnées par l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’hommes des Nations unies.
Par sa politique de colonisation et le rapt de terres, de ressources d’eau et de biens immobiliers appartenant aux habitants des territoire militairement occupés de Palestine, ce gouvernement viole d’une façon flagrante le droit international humanitaire, en particulier la Quatrième convention de Genève et ses protocole additionnels.
Le blocus économique du ghetto de Gaza depuis 2006 fait également partie de ces crimes contre le droit humanitaire.
La plus récente condamnation du gouvernement de Tel Aviv est intervenue lors de la 37e session du Conseil des droits de l’homme de février-mars 2018.
En formulant ses critiques à l’égard du gouvernement de Tel Aviv, Madame Zemor ne fait stricto sensu que défendre les positions des Nations unies en la matière, positions défendues également par la France, actuellement observateur du Conseil des droits de l’homme.
Je me permets une remarque plus personnelle. L’antisémitisme a conduit au siècle passé à l’un des crimes les plus effrayants de l’histoire de l’humanité. Elie Wiesel, survivant d’Auschwitz, prix Nobel de la paix en 1986, a été obsédé sa vie durant par le danger d’un retour de l’horreur antisémite. Toute son œuvre littéraire magnifique vise à fortifier, dans nos sociétés occidentales, les forces immunitaires capables d’empêcher le retour de cette horreur.
Dans un discours célèbre prononcé en 2005 au Festival international du livre de Mantoue, il mettait en garde contre ce qu’il appelait la « banalisation de l’antisémitisme ». Or, assimiler une critique argumentée du gouvernement de Tel Aviv à un acte d’antisémitisme affaiblit les forces immunitaires des sociétés civilisées contre les attaques du poison antisémite.
Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de ma haute considération.
Jean Ziegler
Vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
CAPJPO-EuroPalestine