« Tous les criminels sont des cibles d’assassinat légitimes. » Face à la Commission d’enquête des droits de l’homme (CDH) qui l’interrogeait en 2009, Rodrigo Duterte, maire de Davao (1), ne manquait pas de verve. Ce qu’il ferait s’il se retrouvait face au chef des escadrons de la mort sévissant dans sa ville serait direct, radical : « Je l’arrêterais. Et s’il résiste et fait usage de violence, je l’abattrais. Ce ne serait pas une exécution sommaire, ce serait un acte d’autodéfense. » Élu une première fois maire en 1988, Rodrigo Duterte est un personnage controversé. Pour la majorité des Philippins, cet ancien procureur est l’homme qui a restauré la sécurité dans la troisième ville du pays. Autrefois malfamées, les rues de Davao seraient désormais parmi les plus sûres de l’archipel. Et pour cause : depuis l’ascension de Duterte à la mairie, des centaines de petits délinquants, toxicomanes et jeunes – certains mineurs – ayant eu à faire avec la police ont été abattus.
Mais, pour une minorité des Philippins, Rodrigo Duterte est aussi l’homme qui supervise les escadrons de la mort à Davao. Des motos sans immatriculation surgissant en plein jour sur les marchés et places publiques, des hommes agissant à visage découvert, traquant de présumés criminels et, sans autres formes de procès, les liquidant au calibre 45 (les mêmes modèles que ceux des forces de l’ordre). C’est aussi cela, la sécurité à Davao.
Après trois ans d’enquête, la CDH a rendu le 15 août dernier sa « résolution ». Sur les 375 meurtres recensés à Davao entre 2005 et 2009, 206 sont imputables à des exécutions extrajudiciaires commises par les escadrons de la mort. Assassinats commis sans que les autorités locales ne tentent sérieusement de conduire des investigations pour retrouver les coupables et mener les responsables devant la justice. Selon Loretta Rosales, présidente de la CDH : « Manifestement, il [Rodrigo Duterte] les a tolérés et, pour cette raison, il doit faire l’objet d’une enquête. » La Commission précise que les enquêtes antérieures n’ont jamais abouti, car les témoins des assassinats sont trop effrayés pour parler, d’autant plus que les autorités locales nient systématiquement l’existence de tels escadrons. Une peur qu’illustre la tuerie de novembre 2009 à Maguindanao, où périrent 57 personnes, dont 32 journalistes. Le procès du clan Ampatuan (les commanditaires présumés du massacre) piétine, trois témoins ont été abattus, trois proches de citoyens envisageant de témoigner contre ce clan ont été liquidés. En revanche, la majorité de la centaine de criminels impliqués dans la tuerie est toujours en liberté…
Vu le climat d’impunité régnant aux Philippines, la « résolution » courageuse du CDH a peu de chance de se conclure par une enquête impartiale. Surtout que Rodrigo Duterte est un allié du président Benigno Aquino. Durant sa campagne électorale, le futur président clamait avec véhémence sa volonté de « ne faire aucune différence entre les criminels en uniforme et ceux en civil ». Depuis, cette promesse est restée lettre morte. L’ouverture d’une enquête approfondie sur Rodrigo Duterte représente certes une opportunité de choix pour Begnigno Aquino, qui démontrerait ainsi sa volonté de lutter contre l’impunité, mais nombre d’observateurs estiment peu vraisemblable que le palais présidentiel appuie sincèrement une investigation sur l’allié gouvernant la troisième ville du pays. Les « Duterte death squad » (escadrons de la mort de Duterte), comme ils sont surnommés à Davao, ont vraisemblablement encore de beaux jours devant eux.
(1) Maire de Davao de 1988 à 1998, et entre 2001 et 2010. Depuis sa fille Sarah Duterte lui a succédé. Rodrigo occupe désormais le poste de vice-maire de la ville.