Spécialiste d’anthropologie politique, notamment sous la direction de Claude Lévi-Strauss, l’auteur consacre cet ouvrage à un quartier qui connut un réel bouleversement après l’installation d’artistes au sein d’un complexe industriel encore en activité, le 798.
Pour mieux saisir l’évolution du Dashanzi Art District, du nom du quartier, Marc Abélès s’immerge dans un microcosme où se mêlent création, art contemporain, marché de l’art et politique culturelle. Aujourd’hui lieu avant-gardiste, le 798 est considéré comme l’un des sites les plus branchés de la capitale chinoise, attirant amateurs et professionnels de l’art du monde entier.
Néanmoins, ce site reste lié à son histoire. Inauguré en 1957, ce complexe fait partie du projet d’industrialisation dans le cadre d’un mouvement de réformes du Grand Bond en avant instauré par Mao Zedong au milieu des années 1950. C’est lorsque la production devient obsolète à la fin des années 1990, provoquant le déclin de plusieurs usines, que l’on voit rapidement s’installer des artistes. Ils investissent les lieux, profitant d’un espace important et d’édifices monumentaux construits dans le style Bauhaus.
À travers les entretiens avec des artistes tels que Huang Rui, pionnier du projet 798, les Gao Brothers, connus notamment pour leur portrait satirique de Mao, Cang Xin ou encore Zhang Xiaogang, l’auteur montre comment le 798 contribue à leur visibilité. Dès 2001, le lieu devient officiellement un espace culturel où des galeries, librairies, lieux d’exposition et commerces voient le jour. Cet événement coïncide avec l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001, permettant au marché de l’art chinois de s’exporter, et par conséquent à l’art contemporain de faire partie intégrante du développement économique et culturel du pays. Le 798 devient alors la vitrine de l’art contemporain pékinois, si bien que les pouvoirs politiques s’en félicitent lors des jeux Olympiques de 2008.
Toutefois, il existe encore une grande ambiguïté entre l’art, la création et les politiques culturelles. Marc Abélès rappelle que la situation reste ambivalente entre d’une part un marché de l’art en pleine croissance, et d’autre part une politique figée et méfiante envers les artistes, les autorités n’hésitant pas à annuler, voire réprimer certaines expositions et performances jugées équivoques vis-à-vis de l’ancien régime de Mao Zedong. De fait, le portrait de ce dernier reste une source d’inspiration, preuve que le spectre de l’ancien président de la République populaire de Chine est bien présent au 798.
Alors qu’il se qualifie comme non-spécialiste de la Chine et de l’art, Marc Abélès offre pourtant dans cet ouvrage un résumé remarquable de la situation du marché de l’art contemporain chinois.
Pékin 798 – Un ethnologue au village des artistes, Marc Abélès, Éd. Stock, 2011, 238 p., 19,80 euros.