A cors défendus, recueil de poèmes de Nathalie M’Dela-Mounier, invite lecteurs et lectrices à la traversée du monde en perdition, ‘inhuman land’ des racismes et des inimitiés.
Auteure, en collaboration avec Aminata Traoré, d’un touchant Les Désenfantées -dialogues parallèles entre le Sahel et l’Europe des deux mères avec leurs enfants en quête du Djihad-, la romancière voyage sans discontinuer.
Elle en puise la lymphe de l’inspiration et de son engagement contre « la globalisation réussie des exclusions » : à Venise, où la mort d’un immigré gambien, noyé dans la lagune glacée et accompagné par les moqueries des présents, évoque, bien plus que sa disparition dans les eaux, celle de l’humanité dans la honte ; à Beyrouth, où les réfugiés syriens rêvent de défier l’ « immensité indigo » de la Méditerranée sur des « barques fantômes » pour atteindre Chypre ou la Grèce ; dans la banlieue de Tripoli, où les Africains rescapés de la mer subissent l’ignominie de la captivité, jadis vécue par leurs ancêtres.
Dans l’ensemble des textes, le récit s’ébauche par paliers enchevêtrés. Avec un style lyrique nourri par les expressions suggestives des lettres créoles, la géographie des lieux et des souffrances des migrants est tracée. Les lignes s’entrecroisent, d’Est en Ouest et de Sud à Nord, dans la mappe de ce tout monde en errance… Réfugiés, exilés, refoulés, gardés à vue ou expulsés, ces « interdits de territoire » sont les damnés de la terre du troisième millénaire.
Ils fuient les ‘frappes chirurgicales’, les groupes armés, la précarité sans fin. Déplacés d’une guerre érigée en méthode de gouvernance planétaire, ils sont cruellement l’objet d’une autre guerre, celle qu’on leur mène, impitoyable, à chaque frontière, dans chaque pays.
Pugnace et à la fois désenchantée, Nathalie M’Dela-Mounier est poignante lorsqu’elle convoque sa mémoire d’afro-descendante : « A travers le destin des migrants d’aujourd’hui, je ressens, d’une manière très profonde, viscérale, les échos d’un passé qui revient. J’ai écrit mon texte sous l’emprise d’une émotion très vive », nous dit-elle. Avec une réflexion qui n’est pas moins aigüe : « Cinque siècles après la traite transatlantique, un nouvel exode forcé est organisé et les tombeaux marins se remplissent à nouveau ».
Différents dans leurs origines et finalités, le commerce triangulaire et la saga tragique de ceux qui s’obligent de partir pour survivre sont actionnés par la même volonté de puissance productrice de ces déplacements massifs d’humains en conditions terribles. (1)
L’ode aux migrants de Nathalie M’Dela Mounier est un défi contre le déni de leur sort et des raisons profondes de cette déportation mondialisée. Désespérée de vivre dans « le temps de la défaite », elle nous rassure, heureuse, que « demain est vivant ». Car l’errance est occasion de rencontres entre les humains et « des belles histoires peuvent se passer ».
Métisse aux origines multiples, elle pense aux mots d’Edouard Glissant, ‘Agis dans ton lieu et pense avec le monde’ : «… Moi, j’ai l’impression d’être de plusieurs lieux, comme les migrants ». De ces identités plurielles se dégagent des lueurs d’espoir : « Jamais aucune frontière, barrière barbelée, murs de pierre, d’eau, de honte, de béton, des apparences, du silence ou des lamentations, n’empêchera la femme, ni l’homme dressé, sa peur déverrouillée, de devenir passe-muraille ».
Note
(1) A la question posée par Ouest France, ‘Y a-t-il un lien entre la traite des Noirs et les flux migratoires actuels ?’, l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau a répondu :
« Il y a des similitudes effrayantes. L’Atlantique est déjà un vaste cimetière et la Méditerranée est en train d’en devenir un. L’inhumain fait partie de l’humain, à n’importe quel moment notre imaginaire peut se dessécher et nous ne sommes plus en mesure de reconnaître en l’autre une humanité. Nous sommes dans une période où une part de notre capacité à éprouver de la sollicitude et à nous reconnaître dans l’autre s’est effondrée ».
A corps défendus, Nathalie M’Dela-Mounier. Editions Taama, Bamako, Mali. Diffusion L’Oiseau Indigo, Arles, France. 110 pages, 10 euros.
Luigi Elongui