Au delà de la gesticulation verbale, aucune puissance occidentale n’a la volonté ou les moyens d’intervenir dans un pays très divisé.
« Inacceptable. » Voilà comment l’Otan a réagi à la destruction d’un avion militaire turc par la Syrie. Ankara a souligné que cet événement montrait que le régime était « devenu une menace claire et proche pour la sécurité de la Turquie comme pour son propre peuple », y voyant un « acte hostile » et une « attaque lâche du régime de Bachar el-Assad« .
Pour convoquer la réunion de l’Otan, la Turquie a invoqué l’article 4 du traité prévoyant que « tout pays membre peut porter une question à l’attention du Conseil quand il estime que son intégrité territoriale ou sa sécurité est menacée ». C’est seulement la seconde fois depuis sa création, en 1949, qu’est évoqué cet article, la précédente datant de 2003, également à la demande de la Turquie, à propos de la guerre contre l’Irak. Le débat rassemblait les ambassadeurs des 28 pays membres au siège de l’Alliance atlantique à Bruxelles.
Toutefois, l’Otan n’a pas invoqué le cinquième article. Ce dernier réfère au droit à la légitime défense collective et dispose qu’une attaque armée contre un ou plusieurs des membres de l’Otan sera considérée comme une attaque dirigée contre tous les membres. Et il autorise le recours à la force en cas d’agression.
Complexité syrienne
Mais, pour le moment, « il n’y a pas de volonté politique. À l’heure actuelle, personne ne veut une intervention en Syrie », confie au Point.fr le docteur Jeangène Vilmer. Pour cet interventionniste, il est possible de concevoir une intervention contournant l’ONU, comme ce fut le cas au Kosovo. Pourtant, la situation syrienne est bel et bien différente.
Le politologue décrit la complexité actuelle : « Il n’y a pas en Syrie uniquement un tyran isolé et un peuple opprimé. C’est bien plus compliqué que ce que les médias occidentaux ont tendance à dire. Il y a un peuple divisé avec différents groupes, dont certains très opprimés, et d’autres qui soutiennent le pouvoir. Il faut se demander si une intervention extérieure est vraiment souhaitée par la majorité de la population syrienne, ce qui n’est pas évident. Un acte militaire implique des conséquences qui, évidemment, sont à prendre en compte. Une intervention ne ferait-elle pas plus de morts que ceux que l’on prétend sauver ? »
Par ailleurs, « les difficultés financières de l’Otan sont aussi à prendre en considération. En termes de décisions concrètes, rien ne va découler de cette réunion, car aucun des pays membres n’a les moyens ni la volonté d’une grosse intervention. Or une intervention en Syrie sera nécessairement importante », prophétise-t-il.
« Une balle dans le pied »
Il n’est donc pas surprenant qu’aucune décision concrète n’ait émergé à l’issue de cette réunion, qui, d’après une source diplomatique, portait surtout sur une présentation par le représentant turc de l’incident de vendredi, suivie d’une discussion. « Je ne pense pas que la situation continuera à s’envenimer », a estimé le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen. « Je pense que la Syrie va prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter qu’un tel événement se reproduise à l’avenir au regard de l’évolution de la situation dans la région », a-t-il ajouté.
Les pays membres de l’Alliance atlantique ont aussi le souci de ménager les relations avec l’ONU. Et si l’Otan décidait trop tôt et unilatéralement d’intervenir, cela ruinerait l’autorité du Conseil de sécurité, alors même que les pays qui tiennent l’Otan sont ceux qui y siègent. « Ça reviendrait à se tirer une balle dans le pied », estime Jeangène Vilmer. En effet, les responsables de l’Alliance affirment que les conditions qui avaient été établies en 2011 pour intervenir en Libye ne sont pas réunies pour la Syrie, à savoir une base légale internationale sous la forme d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et l’appel de l’opposition syrienne à une intervention.
Ainsi, le ministre turc des Affaires étrangères a déclaré que l’option militaire n’était pas d’actualité. « Une intervention militaire étrangère n’est pas la bonne voie pour la Syrie », a également déclaré le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, avant la réunion.
« Une question de communication »
Pourquoi une telle réunion, alors ? La Turquie ne fait que montrer ses muscles, explique le politologue. « C’est une manière d’exister dans la région. La Turquie est une puissance montante assez importante. Face au poids des Occidentaux qui pèse contre la Russie, la Turquie veut aussi compter. Beaucoup d’actions diplomatiques des États sont faites pour une question d’image », ajoute le docteur Jeangène Vilmer. De même, l’Otan souhaite rappeler son existence et prouver qu’elle joue son rôle. « Elle ne pouvait pas ne pas faire de réunion. L’action de Damas est totalement inacceptable, le but est de montrer la solidarité de l’Alliance atlantique avec la Turquie, mais c’est essentiellement une question de communication et de faire pression sur Damas. »
Ainsi, cet acte ne conduira pas à une intervention militaire globale, mais il attise les tensions régionales déjà vives. « Tout élément militaire qui posera un risque et un danger de sécurité à la frontière turque venant de la Syrie sera considéré comme une cible militaire », a affirmé le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan.
Source : Le Point.fr – 26/06/2012