L’Afrique a enregistré, au cours de la dernière décennie, des taux de croissance économique importants qui lui ont permis de talonner les Tigres asiatiques, au deuxième rang mondial. À tel point que les prévisionnistes entrevoient, pour bientôt, l’émergence de « Lions africains ». Ce schéma risque, toutefois, d’être contrarié ou retardé par un phénomène inquiétant : le retour de l’insécurité, en passe de devenir chronique en maints endroits du continent.
Pour expliquer ce phénomène, la plupart des analystes invoquent, en premier lieu, le chaos en Libye. Ce pays a été démantelé par les opérations militaires de l’Otan et livré en pâture à des chefs de tribus et milices qui ont créé de nouvelles poches d’insécurité dans un environnement maghrébin déjà affecté par les conséquences des printemps arabes. Déstabilisée et précarisée, la Libye post-Kadhafi est devenue un vecteur de violence aussi bien au Maghreb qu’en Afrique subsaharienne. Première victime de ce délabrement : le Mali. Naguère cité comme un exemple de stabilité politique et de vitalité démocratique, il est aujourd’hui atteint dans son intégrité territoriale par des combattants touaregs, rentrés de la guerre de Libye avec des armes sophistiquées, puisées dans l’arsenal militaire de Kadhafi, mais également dans celui des ex-rebelles libyens, eux-mêmes armés par des pays comme la France.
Le nord du Mali est devenu une zone de non-droit, où trafiquants de drogue, mouvements terroristes et groupes criminels font la loi. Épicentre des dangers qui menacent la paix et la sécurité dans l’ensemble de l’Afrique occidentale, le Sahel est désormais considéré comme une sorte de nouvel Afghanistan. Certains avancent même l’hypothèse d’une jonction de cette zone, via le Soudan déstabilisé par ses guerres internes et la sécession du Sud, avec la plus ancienne des zones troubles du continent : la Corne de l’Afrique et plus particulièrement la Somalie.
En Afrique occidentale, les risques de glissement vers l’insécurité généralisée sont d’autant plus élevés que les longues guerres civiles du Liberia et de Sierra Leone, bien qu’officiellement terminées, n’en ont pas moins jeté dans la nature des milliers de rebelles désœuvrés et toujours en possession de leur arsenal. Non intégrés dans les processus de désarmement et de réinsertion dans l’armée nationale ou toute autre activité, ces rebelles continuent en effet de faire « péter » leurs cartouches pour vivre. Beaucoup se sont transformés en mercenaires, passant d’une frontière à l’autre. C’est le cas des mercenaires libériens recrutés par l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, qui traversent régulièrement la frontière pour terroriser les populations de l’Ouest ivoirien, avant de se replier sur leur territoire.
L’Afrique centrale vit, quant à elle, sous les intimidations et les exactions à répétition de groupes armés dont les actions sont facilitées par des frontières poreuses entre États favorisant le trafic d’armes et permettant une libre circulation de brigades paramilitaires. À l’Est, la désintégration de l’État somalien et la prolifération de groupes extrémistes shebab et de pirates mettent en péril la sécurité de pays comme le Kenya ou la Tanzanie.
Le développement de l’insécurité est rendu encore plus effrayant par la multiplication des mouvements intégristes. Les connexions en cours entre les salafistes d’Ansar Dine au Mali, les shebab somaliens et les combattants de Boko Haram au Nigeria sont porteuses de graves menaces. Lorsqu’on y ajoute les violences postélectorales en voie de devenir endémiques en Afrique, le tableau s’assombrit encore plus.
Pour devenir les « Lions » économiques qu’ils ambitionnent d’être, les États africains devront trouver des réponses concertées à ces menaces. Cette préoccupation a été au centre des travaux du 9e Comité international des services de renseignements et de sécurité africains (CISS) qui s’est déroulé à Alger, en juin dernier. Le rôle de cette structure « est primordial dans la préservation de la paix et de la sécurité en Afrique », a précisé le premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, lors de son inauguration. Car si les menaces qu’affronte ce continent sont diverses – pauvreté, catastrophes naturelles, mauvaise gouvernance, guerres, circulation incontrôlée des armes, terrorisme et crime transnational organisé –, il n’y a pas mille voies pour en arriver à bout : la prévention plutôt que la guérison. Il faut à la fois se montrer implacable face à ces fléaux, mais aussi implacable face à ses causes. Si l’Afrique ne prend pas en main sa propre sécurité, nécessaire à son développement, il faut craindre que les organisations non africaines s’en emparent, avec des desseins forcément différents. C’est la principale conclusion des travaux du dernier CISS d’Alger. Sera-t-elle entendue ?