Un réquisitoire sans concession contre la politique étrangère américaine par le neveu du président américain J.F. Kennedy dont le père – Robert Kennedy- fut assassiné, le 5 juin 1968, par Sirhan Bechara Sirhan, un Américain d’origine palestinienne, né d’une famille chrétienne originaire de Jérusalem.
C’est en partie parce que mon père a été assassiné par un Arabe, que j’ai fait un effort pour comprendre l’impact de la politique américaine au Moyen-Orient et, particulièrement, les facteurs qui, parfois, motivent des réactions violentes du monde islamique contre notre pays. Alors que nous nous focalisons sur l’essor d’État Islamique (IS) et cherchons les raisons de la barbarie avec laquelle tant de vies innocentes sont supprimées à Paris et à San Bernardino, nous devrions regarder au-delà des explications religieuses ou idéologiques qui nous arrangent. Nous devrions, au contraire, examiner les logiques plus complexes de l’Histoire et du pétrole – et comment celles-ci retournent le doigt accusateur sur nos propres rivages.
Le triste record des interventions américaines violentes en Syrie – peu connu du peuple américain, mais bien connu des Syriens – a créé un terreau fertile pour le Jihadisme islamiste qui complique aujourd’hui toute réponse efficace de notre gouvernement au défi de Daech (ISIL/IS). Tant que l’opinion publique américaine et les hommes politiques ignoreront le passé, toute intervention future ne fera probablement qu’aggraver la crise. Le Secrétaire d’État, John Kerry a annoncé un cessez-le-feu « provisoire » en Syrie. Mais parce que le poids et le prestige américains y sont diminués et que le cessez-le-feu n’inclut pas les combattants clé tels que Daech et al-Nousra, il ne peut s’agir, au mieux, que d’une trêve fragile. Tout comme l’accélération de l’intervention militaire en Libye par le président Barack Obama, avec les frappes aériennes sur un camp d’entraînement d’IS, la semaine dernière, renforcera plutôt qu’elle n’affaiblira les radicaux. Comme le rapportait le New York Times dans l’édition du 8 décembre 2015, à la Une, les chefs politiques d’IS et ses stratèges s’efforcent de provoquer une intervention militaire américaine. Ils savent par expérience que cela poussera un flot de combattants volontaires dans leurs rangs, drainera les voix des modérés et unifiera le monde islamique contre l’Amérique.
Aux racines du conflit syrien
Pour comprendre cette dynamique, nous devons regarder l’Histoire d’un point de vue syrien et, en particulier, les racines du conflit actuel. Bien avant que notre occupation de l’Irak, en 2003, ne déclenche le soulèvement sunnite qui s’est transformé, aujourd’hui en État Islamique, la CIA a nourri le Jihadisme violent comme arme de la Guerre Froide et a chargé les relations américano-syriennes d’une cargaison toxique.
Cela ne s’est pas passé sans controverse chez nous. En juillet 1957, suite à un coup d’État raté en Syrie, organisé par la CIA, mon oncle, le Sénateur John F. Kennedy, mit en rage la Maison Blanche d’Eisenhower, les dirigeants des deux partis et nos alliés européens avec un discours historique sur le droit à l’auto-gouvernance dans le monde arabe et la fin de l’ingérence impérialiste américaine dans les pays arabes. Toute ma vie, et particulièrement au cours de mes fréquents voyages au Moyen- Orient, d’innombrables Arabes m’ont rappelé avec émotion ce discours, expression, selon eux, la plus claire des idéaux qu’ils attendaient des États-Unis. Le discours de Kennedy était un appel à un nouvel engagement de l’Amérique par rapport aux plus nobles valeurs qu’elle avait défendues dans la Charte Atlantique. L’engagement formel que toutes les anciennes colonies européennes auraient le droit à l’auto-détermination après la Seconde guerre mondiale. Franklin D. Roosevelt avait forcé Winston Churchill et les autres dirigeants alliés à signer la Charte Atlantique en 1941, en en faisant la précondition du soutien américain aux Européens dans la guerre contre le fascisme.
Mais grâce en grande partie à Allen Dulles et à la CIA, dont les intrigues en matière de politique étrangère étaient souvent directement opposées à la politique officielle de notre pays, la voie idéaliste définie dans la Charte Atlantique fut celle à ne pas suivre. En 1957, mon grand-père, l’ambassadeur Joseph P. Kennedy, participa à un comité secret chargé d’enquêter sur les opérations illégales clandestines de la CIA au Moyen-Orient. Le Rapport « Bruce-Lovet » dont il était l’un des signataires, décrivait les complots de la CIA en Jordanie, Syrie, Iran, Irak et Égypte, tous bien connus des citoyens arabes, mais absolument méconnus du peuple américain qui prenait pour argent comptant les dénis de leur gouvernement. Le rapport accusait la CIA de l’anti-américanisme qui prenait mystérieusement racine « dans de nombreux pays du monde aujourd’hui ». Le Rapport Bruce-Lovett soulignait que de telles interventions allaient contre l’éthique des valeurs américaines et avaient compromis le leadership international de l’Amérique et son autorité morale sans que le peuple américain n’en ait connaissance. Le rapport disait aussi que la CIA ne se demandait jamais comment nous réagirions à de telles interventions si quelque gouvernement étranger les menait dans notre pays.
Telle est l’Histoire maudite que les interventionnistes modernes comme George W. Bush, Ted Cruz et Marco Rubio ignorent lorsqu’ils récitent leur rhétorique narcissique selon laquelle les nationalistes moyen-orientaux « nous détestent pour nos libertés ». Pour la plupart, ils ne nous détestent pas, mais s’ils nous détestent, c’est pour la façon dont nous trahissons ces libertés – nos propres idéaux – à l’intérieur de leurs frontières.
L’Histoire occultée
Pour que les Américains comprennent bien ce qui est en train de se passer, il est important de rappeler quelques détails sur cette Histoire sordide, mais souvent oubliée. Dans les années 1950, le président Eisenhower et les frères Dulles – le directeur de la CIA Allen Dulles et le secrétaire d’État, John Foster Dulles – rejetèrent la proposition soviétique d’un Moyen-Orient zone neutre pendant la Guerre Froide et de laisser les Arabes gouverner l’Arabie. Au lieu de cela, ils organisèrent une guerre clandestine contre le nationalisme arabe – qu’Allen Dulles assimilait au communisme – plus précisément lorsque l’autonomie arabe menaçait les concessions de pétrole. Ils injectèrent une aide militaire américaine secrète aux tyrans d’Arabie saoudite, de Jordanie, d’Irak et du Liban, privilégiant les pantins aux idéologies jihadistes conservatrices, qu’ils considéraient comme un antidote fiable au marxisme soviétique. Selon un memo enregistré par son secrétaire, le général Andrew J. Goodpaster, au cours d’une réunion à la Maison Blanche entre le directeur des programmes de la CIA, Frank Wisner, et John Foster Dulles, en septembre 1957, Eisenhower donna ce conseil à l’agence : « Nous devrions faire tout notre possible pour mettre l’accent sur l’aspect « guerre sainte ».
La CIA commença à s’ingérer en Syrie en 1949 – pratiquement une année après la création de l’agence. Les patriotes syriens avaient déclaré la guerre aux Nazis, expulsé leurs gouvernants coloniaux français de Vichy et mettaient en place une démocratie laïque basée sur le modèle américain. Mais en mars 1949, le président syrien démocratiquement élu, Shukri al-Quwatli, hésita à approuver le « Pipeline trans-Arabie », un projet américain visant à relier les champs de pétrole de l’Arabie saoudite aux ports du Liban, via la Syrie. Dans son livre Legacy of Ashes, l’historien de la CIA, Tim Weiner, raconte qu’en représailles au manque d’enthousiasme d’Al-Quwatli pour le pipeline américain, la CIA organisa un coup pour le remplacer par le dictateur choisi par l’agence américaine, un escroc condamné nommé Husni al-Zaïm. Al-Zaim eut juste le temps de dissoudre le parlement et d’approuver le pipeline américain avant que ses compatriotes ne le renversent quatre mois et demi plus tard.
Après quelques autres contrecoups dans le pays récemment déstabilisé, le peuple syrien essaya à nouveau la démocratie en 1955, en réélisant Al-Quwatli et son parti national, le National Party. Al-Quwatli était toujours un neutraliste de la Guerre Froide, mais, échaudé par la responsabilité américaine dans son renversement, il pencha alors vers le camp soviétique. Ce qui fit déclarer au dictateur de la CIA, Dulles, que « la Syrie est mûre pour un autre coup », et il envoya à Damas ses deux experts en coups d’État, Kim Roosevelt et Rocky Stone.
Deux ans plus tôt, Roosevelt et Stone avait orchestré un coup en Iran contre le président démocratiquement élu, Mohammed Mossadegh, après que ce dernier eut essayé de renégocier les termes des contrats léonins avec le géant britannique du pétrole, l’AngloIranian Oil Company (aujourd’hui BP). Mossadegh était le premier dirigeant élu en 4000 ans d’histoire iranienne et un défenseur populaire de la démocratie dans le monde en développement. Mossadegh expulsa les diplomates britanniques après avoir découvert une tentative de coup par les officiers des services du Royaume-Uni qui conspiraient avec BP. Mossadegh, cependant, fit l’erreur fatale de résister aux supplications de ses conseillers d’expulser aussi la CIA qui, comme ils le soupçonnaient à juste titre, était complice du complot britannique. Mossadegh idéalisait les États-Unis en tant que modèle pour la nouvelle démocratie iranienne et les pensait incapables de telles perfidies. Malgré les magouilles de Dulles, le président Harry Truman avait interdit à la CIA de s’associer activement à l’aventure britannique. Après avoir renversé Mossadegh avec l’Opération Ajax, Stone et Roosevelt installèrent le Shah Reza Pahlavi qui favorisait les compagnies pétrolières américaines, mais dont les vingt ans de règne sponsorisé par la CIA, caractérisé par la répression de son propre peuple depuis le trône du Paon, devait finalement généré la révolution islamique de 1979 qui a brouillé notre politique étrangère pendant trente-cinq ans.
Fort du « succès » de son Opération Ajax en Iran, Stone arriva à Damas en avril 1957 avec 3 millions de dollars pour armer et convaincre les militants islamistes, et corrompre les officiers militaires syriens et les hommes politiques en vue de renverser le régime laïc démocratiquement élu d’Al-Quwatli, selon Safe for Democracy : The secret Wars of the Cia, de John Prados. Travaillant avec les Frères musulmans et des millions de dollars, Rocky Stone planifia l’assassinat du chef des services syriens de renseignement, du chef d’état-major et du chef du Parti communiste, et organisa des provocations en Irak, Liban, et Jordanie qui pouvaient être mises sur le compte du parti Ba’ath syrien. Tim Weiner montre, dans Legacy of Ashes, comment le plan de la CIA visait à déstabiliser le gouvernement syrien et à créer un prétexte pour une invasion par l’Irak et la Jordanie, dont les gouvernements étaient déjà sous son contrôle. Kim Roosevelt prévoyait que le gouvernment fantoche nouvellement installé par la CIA « s’appuierait d’abord sur des mesures répressives et l’exercice arbitraire du pouvoir », selon les documents déclassifiés de la CIA cités par le journal The Guardian.
Mais tout cet argent de la CIA ne réussit pas à corrompre les officiers syriens. Les militaires rapportèrent les tentatives de corruption de la CIA au régime ba’athiste. En réponse, l’armée syrienne envahit l’ambassade américaine et arrêta Stone. Après un interrogatoire musclé, Stone fit une confession télévisée de son rôle dans le coup iranien et la tentative avortée de la CIA pour renverser le gouvernement légitime syrien. Les syriens expulsèrent Stone et les deux conseillers d’ambassade, première fois qu’un diplomate du Département d’état américain était banni d’un pays arabe. La Maison Blanche d’Eisenhower réfuta la confession de Stone qu’elle qualifia de « fabrication » et « diffamatoire », un déni que toute la presse américaine avala, en tête le New York Times, ainsi que le peuple américain qui partageait, comme Mossadegh, les vues idéalistes de leur gouvernement. La Syrie purgea tous les hommes politiques ayant des sympathies pour les États-Unis et exécuta pour trahison tous les officiers militaires associés au coup. En représailles, les États-Unis déplacèrent la 6ème Flotte en Méditerranée, menacèrent de guerre et poussèrent la Turquie à envahir la Syrie. Les Turcs rassemblèrent 50 000 soldats sur la frontière et ne se retirèrent que face à une opposition unie de la Ligue arabe dont les dirigeants étaient furieux contre l’intervention américaine.
Même après son expulsion, la CIA poursuivit ses tentatives secrètes de renversement du gouvernement laïc du parti Ba’ath démocratiquement élu. La CIA complota avec le MI16 britannique pour former un « Comité Syrie Libre » et arma les Frères musulmans pour assassiner trois membres syriens du gouvernement qui avaient contribué à dévoiler le « complot américain », selon Matthew Jones dans « The Preferred Plan : The Anglo-American Working Group Report on Covert Action in Syria 1957 ». La conduite malveillante de la Cia éloigna encore davantage la Syrie des États-Unis, la poussant dans des alliances à long terme avec la Russie et l’Égypte.
Après la deuxième tentative de coup d’état en Syrie, les manifestations violentes anti-américaines frappèrent le Moyen-Orient, du Liban à l’Algérie. Parmi les répercussions, il y eut le coup d’état du 14 juillet 1958, conduit par la nouvelle vague d’officiers anti-américains qui renversa le roi irakien pro-américain, Fayçal II et son Premier ministre et homme fort Nuri al-Saïd. Les auteurs du coup publièrent des documents secrets du gouvernement montrant que Nuri al-Saïd était une marionnette bien payée de la CIA. En réponse à la trahison américaine, le nouveau gouvernement irakien invita les diplomates et conseillers soviétiques en Irak et tourna le dos à l’Occident.
La CIA et ses coups tordus
S’étant aliéné l’Irak et la Syrie, Kim Roosevelt s’enfuit du Moyen Orient pour travailler comme cadre dans l’industrie pétrolière qu’il avait si bien servie pendant sa carrière à la CIA. Selon Weiner, le successeur de Roosevelt au poste de chef de bureau de la CIA, James Critchfield, échoua dans la tentative d’assassinat par mouchoir toxique du nouveau président irakien. Cinq ans plus tard, la CIA réussit finalement à renverser le président irakien et à installer le parti Ba’ath au pouvoir en Irak. Un jeune criminel charismatique nommé Saddam Hussein était l’un des éminents dirigeants de l’équipe ba’athiste de la CIA. Le secrétaire du Parti Ba’ath, Ali Saleh Sa’adi qui prit ses fonctions avec Saddam Hussein, dira plus tard, « Nous arrivâmes au pouvoir dans un train de la CIA », selon l’ouvrage de Said Aburish, A Brutal Friendship : The West and the Arab Elite. Ce journaliste raconte que la CIA avait fourni immédiatement à Saddam et ses copains une liste de gens « à éliminer sur le champ dans l’ordre pour garantir le succès ». Tim Weiner écrit que Chritchfield reconnut plus tard que la CIA avait littéralement « créé Saddam Hussein ». Pendant les années Reagan, la CIA a donné à Hussein des milliards de dollars pour l’entraînement, le soutien aux Forces spéciales, des armes et le renseignement, sachant qu’il utilisait des gaz moutardes, des gaz de combat et des armes biologiques, y compris de l’anthrax obtenu du gouvernement américain – dans sa guerre contre l’Iran. Reagan et le directeur de la CIA, Bill Casey, considéraient Saddam comme un ami potentiel de l’industrie pétrolière américaine et une barrière solide contre l’extension de la révolution iranienne. Leur émissaire, Donald Rumsfeld, a présenté Saddam avec des éperons en or de cowboy et un menu d’armes chimiques/biologiques et conventionnelles lors d’un voyage en 1983 à Bagdad. Au même moment, la CIA fournissait illégalement aux ennemis de Saddam, l’Iran, des milliers de missiles anti-tanks et anti-aériens pour combattre l’Irak, un crime qui fut connu lors du scandale de l’Iran-Contra. Les Jihadistes des deux côtés tournèrent ensuite un tas de ces armes fournis par la CIA contre le peuple américain.
Même s’ils assistent à une nouvelle intervention violente au Moyen Orient, la plupart des Américains n’ont pas conscience des nombreuses manières dont les répercussions des magouilles précédentes de la CIA ont aidé à forger la crise actuelle. Les échos de décennies de magouilles de la CIA continuent à retentir aujourd’hui à travers le Moyen-Orient dans les capitales nationales et depuis les mosquées jusqu’aux médersas, à travers le paysage complètement détruit de la démocratie et de l’Islam modéré que la CIA a aidé à anéantir.
Un défilé d’autocrates iraniens et syriens, y compris Bachar al-Assad et son père, ont utilisé l’histoire des coups foireux de la CIA pour justifier leurs régimes autoritaires. Ces histoires sont donc bien connues des peuples de Syrie et d’Iran qui interprètent naturellement l’intervention américaine dans ce contexte. Alors que la presse américaine complaisante répète comme un perroquet le discours selon lequel notre soutien militaire à l’insurrection syrienne est purement humanitaire, nombre d’Arabes voient la crise actuelle simplement comme une nouvelle guerre par procuration pour des raisons de pipeline et de géopolitique. Avant de s’enfoncer davantage dans cette conflagration, il serait sage que nous considérions les faits abondants soutenant cette analyse.
Les raisons cachées de la guerre contre la Syrie
De leur point de vue, notre guerre contre Bachar Al-Assad n’a pas commencé avec les manifestations civiles pacifiques du Printemps arabe en 2011. Elle a commencé en 2000, lorsque le Qatar a proposé de construire un pipeline de 1500 kilomètres pour un montant de 10 milliards de dollars à travers l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie. Le Qatar partage avec l’Iran les champs de gaz South Pars/North Dome, la plus importante réserve mondiale de gaz naturel. L’embargo international commercial interdisait jusqu’à récemment à l’Iran de vendre du gaz à l’étranger. Pendant ce temps, le gaz qatari peut arriver sur les marchés européens s’il est liquéfié et transporté par bateau, ce qui réduit le volume et augmente considérablement les coûts. Le pipeline envisagé aurait relié le Qatar directement aux marchés européens de l’énergie, via des terminaux de distribution en Turquie, permettant des taxes de transit lucratives. Le pipeline Qatar/Turquie donnerait aux royaumes sunnites du Golfe persique une domination décisive sur les marchés mondiaux de gaz et renforcerait le Qatar, allié le plus proche des Américains dans le monde arabe. Le Qatar accueille deux grosses bases militaires américaines et le quartier général du Commandement central au Moyen Orient.
L’Union européenne qui reçoit 30% de son gaz de la Russie, était aussi demandeuse de ce pipeline qui aurait donné à ses membres une énergie bon marché et l’aurait libérée du poids étouffant économique et politique de Vladimir Poutine. La Turquie, second importateur de gaz russe, était particulièrement impatiente de mettre fin cette dépendance par rapport à son ancien rival et de se positionner comme la plate-forme lucrative de transfert du pétrole d’Asie vers les marchés européens. Le pipeline qatari aurait bénéficié à la monarchie sunnite conservatrice saoudienne en lui permettant de mettre un pied dans une Syrie dominée par les chiites, l’objectif géopolitique des Saoudiens étant de contenir la puissance économique et politique du principal rival du royaume, l’Iran, un État chiite et précieux allié de Bachar Al-Assad. La monarchie saoudienne considérait la prise du pouvoir par les chiites sponsorisée par les États-Unis, en Irak, (et, plus récemment, la fin de l’embargo commercial sur l’Iran) comme une atteinte à son statu de puissance régionale, et était déjà engagée dans une guerre par procuration contre Téhéran au Yémen, caractérisée par le génocide des Houthis soutenus par l’Iran.
Bien sûr, les Russes qui vendent 70% de leur gaz à l’Europe, considéraient le pipeline Qatar/Turquie comme une menace existentielle. Selon Poutine, le pipeline est un complot de l’OTAN pour changer le statu quo, priver la Russie de son seul appui au Moyen-Orient, étrangler l’économie russe et mettre fin à la dépendance du marché européen de l’énergie. En 2009, Assad annonçait qu’il refuserait de signer l’accord permettant au pipeline de traverser la Syrie « pour protéger les intérêts de notre allié russe ».
Assad mit, ensuite, dans tous leurs états, les monarques sunnites du Golfe en soutenant un « pipeline islamique » approuvé par les Russes et allant du côté iranien du champ pétrolifère, à travers la Syrie, jusqu’aux ports du Liban. Le pipeline islamique ferait de l’Iran chiite, et non du Qatar sunnite, le principal fournisseur du marché européen et augmenterait considérablement l’influence de Téhéran au Moyen-Orient et dans le monde. Israël était aussi, on le comprend, déterminé à faire capoter le pipeline islamique qui enrichirait l’Iran et la Syrie et renforcerait probablement leurs mandataires, le Hezbollah et le Hamas.
Des messages et des rapports secrets des agences de renseignement américaines, saoudiennes et israéliennes indiquent qu’au moment où Assad rejetait le pipeline qatari, des planificateurs militaires et du renseignement arrivèrent rapidement au consensus que l’organisation d’un soulèvement sunnite en Syrie pour renverser le non coopératif Bachar Al-Assad était un moyen possible d’atteindre l’objectif commun d’achever la connexion Qatar/Turquie. En 2009, selon WikiLeaks, peu après le rejet par Bachar al-Assad du pipeline qatari, la CIA commença à financer des groupes d’opposition en Syrie. Il est important de noter que cela se passa bien avant le Printemps arabe engendré contre Al-Assad.
La famille de Bachar al-Assad est Alawite, une secte musulmane largement perçue comme alignée sur le camp chiite. « Jamais Bachar Al-Assad n’aurait dû être président », me disait Seymour Hersh au cours d’une interview. « Son père l’a ramené de l’université de médecine de Londres quand son aîné, l’héritier naturel, fut tué dans un accident de voiture ». Avant le déclenchement de la guerre, selon Hersh, Assad se dirigeait vers une libéralisation du pays. « Ils avaient internet et des journaux, des guichets automatiques bancaires et Assad voulait évoluer vers l’Occident. Après le 9/11, il donna des milliers de fichiers inestimables à la CIA sur les Jihadistes radicaux qu’il considérait comme un ennemi commun ». Le régime d’Assad était délibérément laïc et la Syrie très diverse. Le gouvernement syrien et l’armée, par exemple, étaient à 80% sunnites. Assad maintenait la paix parmi les différentes communautés grâce à une armée puissante, disciplinée, loyale à la famille Assad, une fidélité sécurisée par un corps d’officiers estimés nationalement et bien payés, un appareil de renseignement froidement efficace et un penchant pour la brutalité qui, avant la guerre, était plutôt modérée comparée à celle d’autres dirigeants du Moyen-Orient, y compris nos alliés actuels. Selon Hersh, « il ne décapitait certainement pas des gens tous les jeudis, comme les Saoudiens le font à la Mecque. »
Un autre ancien journaliste connu, Bob Parry, confirme cette opinion. « Personne dans la région n’a les mains propres, mais au royaume de la torture, des assassinats de masse, de la suppression des libertés civiles et du soutien au terrorisme, Assad est devancé par les Saoudiens. » Personne ne croit que le régime était menacé par l’anarchie qui avait déchiré l’Égypte, la Libye, le Yémen et la Tunisie. Au printemps 2011, il y avait des petites manifestations pacifiques à Damas contre la répression du régime Assad. C’était surtout l’effluve du Printemps arabe qui se propageait comme un virus à travers les États de la Ligue Arabe l’été précédent. Les messages de WikiLeaks indiquent, cependant, que la CIA était déjà sur le terrain en Syrie.
Le rôle des monarchies pétrolières dans le carnage syrien
Les royaumes sunnites avec des pétrodollars en quantité illimitée à disposition, voulaient, de leur côté, un engagement américain plus important. Le 4 septembre 2013, le secrétaire d’État, John Kerry, dit à une audition au Congrès que les royaumes sunnites avaient offert de payer la note d’une invasion américaine de la Syrie pour renverser Bachar Assad. « En fait, certains d’entre eux ont dit que si les États-Unis sont prêts à aller faire le boulot, comme nous l’avons fait ailleurs, (en Irak), ils en assumeraient le coût. » Kerry a renouvelé l’offre à la représentante républicaine de Floride au Congrès, Ileana Ros-Lehtinen : « Pour ce qui concerne les pays arabes qui offrent de payer le prix (d’une invasion américaine) pour renverser Assad, la réponse est oui, sans réserve. L’offre est sur la table ».
Malgré les pressions des Républicains, Barack Obama a renâclé à envoyer des jeunes Américains mourir comme mercenaires pour une compagnie de pipeline. Obama a sagement ignoré le tumulte républicain pour l’envoi de troupes sur le terrain en Syrie ou le transfert de fonds supplémentaires aux « insurgés modérés ». Mais à la fin 2011, la pression républicaine et nos alliés sunnites ont projeté le gouvernment américain dans la mêlée.
En 2011, les États-Unis s’allièrent avec la France, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie et le Royaume-Uni pour former la « Coalition des Amis de la Syrie » qui exigeait formellement le retrait d’Assad. La CIA apporta 6 millions de dollars à Barada, une station TV britannique, pour produire des preuves justifiant l’expulsion d’Assad. Des documents des renseignements saoudiens publiés par WikiLeaks, montrent qu’en 2012, la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite armaient, entraînaient et finançaient les combattants radicaux jihadistes sunnites de Syrie, d’Irak et d’ailleurs pour renverser le régime allié aux Chiites d’Assad. Le Qatar qui avait le plus à gagner, investit 3 milliards pour organiser l’insurrection et invita le Pentagone à entraîner les insurgés dans les bases américaines du Qatar. D’après un article de Seymour Hersh paru en avril 2014, les filières d’armement étaient financées par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.
L’idée de fomenter une guerre civile sunnite/chiite pour affaiblir les régimes syrien et iranien afin de maintenir le contrôle de l’approvisionnement pétrochimique de la région, n’était pas une notion nouvelle dans le lexique du Pentagone. Le rapport accablant 2008 de la Rand Corporation, think-tank financé par le Pentagone, proposait un schéma précis de ce qui allait arriver. Ce rapport observe que le contrôle du pétrole du Golfe persique et des gisements de gaz resteront pour les États-Unis « une priorité stratégique » qui « interagira avec celle de mener une longue guerre. » Rand recommandait d’utiliser des « actions secrètes, des opérations d’information, la guerre non conventionnelle » pour mettre en place la stratégie du « diviser pour régner ». « Les États Unis et leurs alliés locaux pourraient utiliser les Jihadistes nationalistes pour lancer une campagne par procuration » et « les dirigeants américains pourraient aussi décider de tirer profit de l’allongement de la durée du conflit Chiites-Sunnites en se mettant du côté des régimes sunnites conservateurs contre les mouvements chiites émancipés du monde musulman…. en soutenant, autant que possible, les gouvernements autoritaires contre un Iran continuellement hostile ».
Comme prévu, la réaction excessive d’Assad à la crise fabriquée à l’extérieur – larguant des barils d’explosifs (barrel bombs) sur les banlieues sunnites et tuant des civils – polarisa la division Chiites/Sunnites de Syrie et permit aux politiciens américains de vendre l’idée que la bataille pour le pipeline était une guerre humanitaire. Quand les soldats sunnites de l’Armée syrienne commencèrent à faire défection en 2012, la coalition occidentale arma l’Armée syrienne libre pour déstabiliser ensuite la Syrie. La presse fit un portrait délirant de l’Armée syrienne libre, la présentant comme un ensemble d’unités bataillons cohérentes formées de modérés syriens. En réalité, les déserteurs étaient regroupés en des centaines de milices indépendantes dont la plupart étaient commandées – ou alliées –par des militants Jihadistes parmi les combattants les plus engagés et efficaces. À ce moment là, les armées sunnites d’al-Qaeda en Irak étaient en train de traverser la frontière avec la Syrie et se regroupaient avec les escadrons de déserteurs de l’Armée syrienne libre, dont beaucoup avaient été entraînés et armés par les États-Unis.
Les faux « modérés » syriens, marionnettes des Américains
Malgré le portrait médiatique dominant du « soulèvement arabe modéré contre le tyran Assad », les planificateurs du renseignement américain savaient depuis le début que leurs marionnettes étaient des Jihadistes radicaux qui allaient probablement se découper un califat islamiste flambant neuf dans les régions sunnites de Syrie et d’Irak. Deux ans avant que les coupeurs de gorge d’ISIL n’arrivent sur la scène mondiale, une étude de sept pages datée d’août 2012, émanant de l’Agence de renseignement de la Défense américaine, avertissait que grâce au soutien par la coalition Sunnites/États-Unis, des Jihadistes sunnites radicaux, « les Salafistes, les Frères musulmans et AQI (devenu ISIS) sont les principales forces dirigeantes de l’insurrection en Syrie ». Utilisant les fonds américains et des États du Golfe, ces groupes avaient orienté les manifestations pacifiques contre Bachar Al-Assad dans « une direction sectaire claire (chiites, contre sunnites) ». L’article note que le conflit s’était transformé en une guerre civile sectaire soutenue par « les puissances sunnites religieuses et politiques ». Le rapport décrivait le conflit syrien comme une guerre internationale pour le contrôle des ressources de la région avec « l’Occident, les pays du Golfe, la Turquie soutenant l’opposition, tandis que la Russie, la Chine et l’Iran soutenaient le régime ». Les auteurs du rapport de sept pages du Pentagone semblent endosser l’avènement annoncé du califat d’ISIS : « Si la situation dégénère, il y a la possibilité d’établir une principauté déclarée ou non déclaré salafiste dans l’est de la Syrie (Hasaka et Der Zor) et c’est exactement ce que les puissances qui soutiennent l’opposition veulent pour isoler le régime syrien ». Le rapport du Pentagone avertit que cette nouvelle principauté pourrait s’étendre au-delà de la frontière irakienne vers Mossoul et Ramadi et « déclarer un État islamique par son union avec d’autres organisations terroristes en Irak et Syrie. » Bien sûr, c’est exactement ce qui est arrivé. Et ce n’est pas un hasard si les régions de Syrie occupées par État Islamique correspondent exactement au tracé proposé pour le pipeline qatari.
Les « démocrates modérés » sont des coupeurs de têtes !
Mais ensuite, en 2014, nos marionnettes sunnites ont horrifié le peuple américain en coupant des têtes et en faisant fuir un million de réfugiés vers l’Europe. « Les stratégies fondées sur l’idée que l’ennemi de mes ennemis est mon ami peuvent parfois vous aveugler », dit Tim Clemente, qui a dirigé la Force d’intervention rapide anti terroriste conjointe du FBI de 2004 à 2008 et a servi comme agent de liaison en Irak entre le FBI, la Police nationale irakienne et l’armée américaine. « Nous avons fait la même faute quand nous avons entraîné les moudjahidines en Afghanistan. Quand la Russie est partie, nos amis supposés ont commencés à faire exploser des sites archéologiques, à soumettre les femmes à l’esclavage, à couper des corps en morceaux et à nous tirer dessus » me disait Clemente dans une interview.
Lorsque « Jihadi John », membre d’État islamique, a commencé à tuer des prisonniers devant des caméras, la Maison Blanche a changé de position, parlant moins de renverser Assad et davantage de stabilité régionale. L’administration Obama a commencé à prendre de la distance avec l’insurrection qu’elle avait créée. La Maison Blanche pointa un doigt accusateur sur nos alliés. Le 3 octobre 2014, le vice président, Joe Biden, prononça ces mots devant les étudiants de l’Institut de Politique d’Harvard, au cours du forum John F. Kennedy Jr : « Nos alliés dans la région sont notre plus grand problème en Syrie ». Il expliqua que la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis étaient « si décidés de faire tomber Assad » qu’il avaient lancé une « guerre par procuration sunnites-chiites » en livrant illégalement « des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes à quiconque voudrait combattre contre Assad, sauf qu’il s’agissait d’ al-Nousra et al-Qaeda », les deux groupes qui s’unirent en 2014 pour former État Islamique. Biden semblait furieux que nos fidèles « amis » ne soient pas restés fidèles au programme américain.
Au Moyen-Orient, les dirigeants arabes accusent de façon récurrente les États-Unis d’avoir créé État Islamique. Pour la plupart des Américains, de telles accusations semblent délirantes. Cependant, pour nombre d’Arabes, la preuve de l’engagement américain est si flagrante qu’ils concluent que notre rôle dans l’émergence d’État Islamique ne peut être que délibéré. En fait, nombre de combattants d’État Islamique et leurs dirigeants sont les successeurs idéologiques et organisationnels de Jihadistes que la CIA avait nourris plus de trente ans auparavant depuis la Syrie et l’Égypte jusqu’à l’Afghanistan et l’Irak.
Comment Bremer a créé l’Etat islamique en Irak
Avant l’invasion américaine, l’Irak de Saddam Hussein ne connaissait pas Al-Qaeda. Le président George W. Bush a détruit le gouvernement laïc de Saddam, et son vice-roi, Paul Bremer, dans un monumental acte d’incompétence, a, effectivement, créé l’Armée sunnite, appelée aujourd’hui État Islamique. Bremer a porté les Chiites au pouvoir et banni le parti Ba’ath du régime de Saddam, en virant des ministères quelque 700 000 fonctionnaires majoritairement sunnites, du gouvernement et du parti aux enseignants. Il a dissout ensuite l’armée composée de 380 000 hommes à 80% sunnites. Les initiatives de Bremer dépouillèrent un million de Sunnites irakiens de leur grade, propriété, richesse et pouvoir, laissant une sous classe désespérée de Sunnites lourdement armés, éduqués, capables, entraînés qui n’avaient plus grand-chose à perdre : l’insurrection sunnite s’autoproclama Al-Qaeda en Irak (AQI).
En 2011, nos alliés financèrent l’invasion de la Syrie par des combattants d’AQI. En avril 2013, après être entrée en Syrie, AQI devint ISIL. Selon Dexter Filkins du New Yorker, « ISIS est dirigé par un conseil d’anciens généraux irakiens… dont de nombreux sont des membres du Parti Ba’ath laïc qui se sont convertis à l’Islam radical dans les prisons américaines. » Les 500 millions de dollars d’aide militaire américaine qu’Obama a envoyés en Syrie ont presque certainement finis dans les mains de ces activistes jihadistes. Tim Clemente, l’ancien président de la force d’intervention conjointe du FBI, me disait que la différence entre les conflits irakien et syrien réside dans les millions d’hommes en âge de combattre qui ont fui les champs de bataille pour l’Europe plutôt que de combattre pour leurs communautés. L’explication évidente est que les modérés fuient une guerre qui n’est pas leur guerre. Ils veulent simplement ne pas se retrouver entre l’enclume de la tyrannie d’Assad, soutenu par les Russes, et le dangereux marteau des Jihadistes sunnites que nous avons contribué à brandir dans la bataille mondiale pour des pipelines. On peut critiquer le peuple syrien de ne pas avoir adopté un plan pour leur nation imprimé à Washington ou à Moscou, mais les superpuissances n’ont laissé aucun choix concernant un futur idéal pour lequel des Syriens modérés pourraient envisager de se battre. Et personne ne veut mourir pour un pipeline.
Quelle est la réponse ? Si notre objectif est une paix durable au Moyen-Orient, la souveraineté des nations arabes et la sécurité intérieure, nous devons examiner toute nouvelle intervention dans la région avec un œil sur l’Histoire et un désir intense d’apprendre la leçon. Ce n’est que quand nous, Américains, nous comprendrons le contexte historique et politique de ce conflit que nous porterons un regard aigu sur les décisions de nos dirigeants. En utilisant la même symbolique et le même langage que ceux qui ont justifié notre guerre de 2003 contre Saddam Hussein, nos dirigeants politiques ont conduit les Américains à croire que notre intervention en Syrie était une guerre conforme à nos idéaux contre la tyrannie, le terrorisme et le fanatisme religieux. Nous avons tendance à rejeter avec cynisme les opinions de ces Arabes qui voient la crise actuelle comme un répétition du même vieux complot pour les pipelines et la géopolitique. Mais si nous voulons avoir une politique étrangère efficace, nous devons reconnaître que le conflit en Syrie est une guerre pour le contrôle des ressources, indiscernable de la myriade de guerres du pétrole clandestines et non déclarées que nous avons menées depuis soixante-cinq ans au Moyen-Orient. Et ce n’est que quand nous considérons ce conflit comme une guerre par procuration pour un pipeline, que les événements deviennent compréhensibles. C’est le seul paradigme qui explique pourquoi le GOP, (Grand Old Party ou Parti républicain – NDT) sur Capitol Hill, et l’administration Obama sont toujours obsédés par le « changement de régime » plutôt que par la stabilité régionale, pourquoi l’administration Obama ne peut trouver de Syriens modérés pour faire la guerre, pourquoi ISIL a pulvérisé un avion de ligne russe, pourquoi les Saoudiens ont exécuté un imam chiite puissant en représailles à l’incendie de leur ambassade à Téhéran, pourquoi les Russes bombardent des combattants non ISIL et pourquoi la Turquie est sortie de son espace pour abattre un jet russe. Le million de réfugiés qui fuient, aujourd’hui, en Europe sont des réfugiés de la guerre du pipeline et des mauvais coups de la CIA.
Clemente compare ISIL aux FARC de Colombie, un cartel de la drogue avec une idéologie révolutionnaire pour motiver ses troupes. « Il faut considérer ISIL comme un cartel pétrolier », dit Clemente. « À la fin, l’argent devient la logique qui gouverne. L’idéologie religieuse est un instrument pour motiver ses soldats à donner leur vie pour un cartel pétrolier. »
Une fois ôté l’aspect humanitaire de ce conflit et reconnu le conflit comme une guerre du pétrole, notre stratégie en matière de politique étrangère devient claire. De même que les Syriens fuyant en Europe, aucun Américain ne veut envoyer son enfant mourir pour un pipeline. En revanche, notre première priorité devrait être celle que personne n’a jamais mentionnée – nous devons botter nos compagnies pétrolières hors du Moyen orient, un objectif facilement réalisable, avec une indépendance énergétique grandissante des États-Unis. Ensuite, nous devons réduire considérablement notre profil militaire au Moyen orient et laisser les Arabes diriger l’Arabie. En dehors de l’assistance humanitaire et de la garantie de la sécurité des frontières israéliennes, les États-Unis n’ont aucun rôle légitime dans ce conflit. Alors que les faits prouvent que nous avons joué un rôle dans l’émergence de la crise, l’histoire montre que notre pouvoir de le résoudre est minime.
L’échec américain
En regardant l’histoire, on est frappé de voir avec quelle étonnante régularité chaque intervention violente de notre pays au Moyen Orient, depuis la Seconde guerre mondiale, s’est terminée en misérable échec, avec un retour terriblement coûteux On peut lire dans un rapport de 1997, du Département américain de la Défense que « les éléments montrent une forte corrélation entre l’engagement américain à l’étranger et une augmentation des attaques terroristes contre les États-Unis ». Regardons les choses en face : ce que nous appelons « guerre à la terreur », n’est en fait qu’une autre guerre pour le pétrole. Nous avons gaspillé 6 milliards de dollars dans trois guerres à l’étranger et pour la construction d’un état de guerre de sécurité nationale chez nous, depuis que le pétrolier Dick Cheney a déclaré la « Longue Guerre » en 2001. Les seuls vainqueurs ont été l’industrie militaire et les compagnies pétrolières qui ont empoché des profits historiques, les agences de renseignement dont le pouvoir et l’influence se sont développés de façon exponentielle au détriment de nos libertés, et les Jihadistes qui ont invariablement utilisé nos interventions comme leur instrument le plus efficace de recrutement. Nous avons compromis nos valeurs, massacré notre propre jeunesse, perverti nos idéaux et dilapidé nos trésors nationaux en aventures stériles et coûteuses à l’étranger. En même temps, nous avons aidé nos pires ennemis et transformé l’Amérique, autrefois le modèle mondial de la liberté, en un état de surveillance de sécurité nationale et un paria mondial de la moralité.
Les Pères fondateurs de l’Amérique avaient mis en garde les Américains contre les armées permanentes, les engagements à l’étranger et, comme le disait John Quincy Adams, contre l’idée d’ « aller hors des frontières pour chercher des monstres à détruire ». Ces hommes sages avaient compris que l’impérialisme à l’étranger est incompatible avec la démocratie et les droits civiques à la maison. La Charte de l’Atlantique reproduisait l’idéal fondateur américain selon lequel chaque nation doit avoir le droit à l’auto-détermination. Durant les sept dernières décennies, les frères Dulles, le gang Cheney, les néoconservateurs et autres du même acabit ont détourné notre appareil militaire et de renseignement pour servir des intérêts mercantiles des grandes compagnies et particulièrement, les compagnies pétrolière et les constructeurs militaires qui ont littéralement fait fortune avec ces conflits.
Il est temps pour les Américains d’éloigner l’Amérique de ce nouvel impérialisme et de revenir sur le chemin des idéaux et de la démocratie. Nous devrions laisser les Arabes gouverner l’Arabie et consacrer nos énergies au grand chantier de construction de notre nation, chez nous. Nous devons commencer ce processus, non pas en envahissant la Syrie, mais en mettant fin à l’addiction ruineuse au pétrole qui a perverti notre politique étrangère pendant la moitié d’un siècle.
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne
Source : Atlantico
*Robert F.Kennedy Jr, est le président de Waterkeeper Alliance, et auteur de plusieurs ouvrages.
Photos :
– Robert F. Kennedy
– Le président syrien Shukri Al-Kuwatli et Gamal Abdel Nasser
– Mohamed Mossadegh
– Le président Eisenhower et J. F. Dulles
– Assad, père et fils