Le massacre du 13 novembre à Paris et l’attentat confirmé contre l’avion russe au-dessus du Sinaï pourraient dégeler une situation diplomatique sans issue.
Le privilège des régimes autoritaires, c’est que, contrairement aux démocraties occidentales, ils ne s’embarrassent pas de scrupule quand il s’agit de faire la guerre. Leur efficacité n’a pas de frein moral : 48 heures à peine après le sommet du G20 à Antalya, en Turquie, au cours duquel les participants s’étaient mis d’accord pour s’attaquer au financement dont bénéficie Daesh, les bombardiers russes à long rayon d’action TU-22M3 sont entrés en action. Ils ont détruit 500 camions-citernes transportant du carburant de contrebande dans un lieu de rassemblement proche de la frontière irakienne. La veille, l’US Air Force, plus soucieuse que la Russie d’éviter des morts civils, avait envoyé en éclaireur des F16 pour disperser des tracts sur un autre rassemblement de camions. Ils avertissaient leurs chauffeurs de se mettre à l’abri avant que des chasseurs bombardiers ne détruisent à coups de missiles 116 véhicules transportant eux aussi du carburant en provenance de la région de Deir ez-Zor, au sud de Raqqa.
Même si attaquer l’État islamique au portefeuille est une nouveauté, ces opérations ont une portée symbolique qui dépasse leur objectif militaire, tout important qu’il soit. Elles sont pratiquement la première manifestation du virage russe dans le conflit syrien. Après avoir multiplié les missions aériennes contre les ennemis modérés de Bachar el-Assad, plus que contre les djihadistes de l’État islamique, Poutine reconsidère ses objectifs. L’ennemi numéro un de la Russie est désormais Daesh. Ce changement stratégique est directement motivé par la confirmation que c’était bien une bombe, placée à bord par des djihadistes, qui a fait sauter l’avion-charter russe de Metrojet et ses 224 passagers et membres d’équipage.
Realpolitik
Il intervient aussi au surlendemain des attentats qui, dans la nuit du 13 novembre, ont ensanglanté la capitale française. Et ont amené François Hollande à faire de son côté un virage spectaculaire dans la conduite que veut tenir la France à l’égard de la Syrie. Comme son discours devant le congrès de Versailles l’a confirmé, le président français laisse – provisoirement – de côté l’un de ses deux ennemis, Bachar el-Assad, pour consacrer toutes les forces de son pays à détruire l’État islamique.
C’est un revirement diplomatique tellement spectaculaire après des mois pendant lesquels le pouvoir français répétait que la priorité était de faire partir Assad que Vladimir Poutine a donné l’ordre à la marine russe de collaborer avec la flotte française désormais considérée comme une alliée de la Russie. Tout cela, deux mois après que l’affaire des Mistral a été considérée comme un affront à Moscou. La realpolitik a ses impératifs qui parfois se concilient mal avec la morale.
Convaincre Washington
Mais ces deux changements de politique, le russe et le français, auxquels Hollande va, mardi prochain, essayer de rallier Obama pourraient peut-être contribuer à débloquer la situation en Syrie. Et permettre enfin de s’attaquer au mal absolu qu’est Daesh. Comme l’a précisé Gérard Araud, l’ambassadeur français aux États-Unis, « on ne gagnera pas la guerre avec nos seuls avions. Il faut des troupes au sol. Et, pour avoir des troupes au sol, il est urgent de mettre fin à la guerre civile syrienne ». Autrement dit, trouver une solution politique acceptable par l’opposition modérée et le pouvoir officiel syrien. Avec ou sans Bachar el-Assad ? On préfère laisser le flou sur cet aspect pourtant essentiel du problème pour ne pas irriter les Iraniens, défenseurs toujours inconditionnels du dictateur syrien.
C’est qu’il y a urgence. Le président français veut en convaincre Obama : « Nous ne pouvons attendre dix-huit mois ou deux ans. C’est maintenant que nous devons régler le problème. » Si, jusqu’à présent, les États-Unis n’ont pas été directement concernés par des attentats fomentés par Daesh, le souvenir du 11 Septembre est encore présent dans les mémoires américaines. D’autant plus que, ces dernières heures, des images, heureusement fictives, ont été aperçues sur les réseaux sociaux : celles d’un homme se promenant dans Times Square, à New York, avec une ceinture d’explosifs autour de la taille.
Source : Le Point.fr